samedi 15 septembre 2007 par Notre Voie

"Le Blues de la République", ainsi s'intitule la dernière contribution dans Fraternité Matin du président de l'Assemblée nationale, Pr. Mamadou Koulibaly. Si cet article n'a en rien surpris ceux qui connaissent et apprécient la constance et la force de conviction de l'homme, le moins que l'on puisse en dire, c'est qu'il a totalement bouleversé chez ses adversaires politiques, l'univers très figé de la pensée unique et stagnante. De quoi s'agit-il au fond ? Si ce n'est simplement d'expliquer aux pourfendeurs de la refondation, que le bilan de la crise ivoirienne qu'ils tentent désespérément d'imputer en bloc à la refondation, n'est autre que le résultat inévitable d'une vendetta programmée et lancée contre notre pays, notre constitution et nos institutions républicaines. A quoi s'attendre, lorsque l'on mélange une eau limpide avec de la boue ? Le résultat est une eau trouble et infectée de déchets, susceptibles de nuire à la santé de n'importe quel colosse de la nature. A plus forte raison, lorsque cette étrange mixture contamine une économie en convalescence...
Pour commencer, la démarche du président de l'Assemblée nationale procède tout naturellement d'une logique démocratique. A savoir impulser une approche politique qui de toute évidence manque cruellement à nos sociétés en développement : celle du débat démocratique, dans le respect et la courtoisie de l'adversaire. Toute chose qui échappe encore à l'entendement de ses interlocuteurs... Et qui manifestement ne constitue pas la seule lacune...
Dans le cas d'espèce, il est difficile de s'étonner ou de s'offusquer de voir les héritiers du parti unique continuer leur ?uvre. Eux qui par esprit de vengeance, semble-t-il, ont pensé de tout leur poids pour soutenir et entretenir la déstabilisation de la République, procèdent le plus naturellement du monde, à la moisson des mauvaises graines qu'ils ont préalablement semées.
Après avoir installé le désordre, il s'agit à présent de convaincre l'opinion publique que toute cette chienlit est l'?uvre de la refondation. Et tout ceci, bien entendu, au mépris de l'intelligence des Ivoiriens. Ne savaient-ils pas qu'encourager, que dis-je, forcer... le croisement de deux espèces totalement opposées ne pouvait qu'engendrer des monstres hybrides ? Et que les ?uvres de cette monstruosité ne pouvaient que se manifester dans les pratiques que nous constatons avec regret : intensification de la corruption, enrichissement illicites etc. ? C'est cette monstruosité que le président Koulibaly a décrite sous le néologisme de "rebfondation". Qu'ya-t-il de commun entre la rebfondation et la refondation ? Pas grand- chose, si ce n'est que leur attelage contraint et forcé a donné lieu à un spécimen de gouvernement contre-nature, savamment baptisé "gouvernement de réconciliation nationale," avec lequel nous ne pouvons que stratégiquement composer jusqu'aux élections afin de remettre de l'ordre dans la République. Mais pour ceux qui n'auraient pas remarqué que le terme "rebfondation" est un mot valise qui concentre ironiquement les vocables "rébellion" et "refondation", il est toujours temps de comprendre que c'est ce mélange de genre voulu, cautionné et défendu avec acharnement par le PDCI, qui a donné le bilan qu'a expertement dénoncé Pr. Koulibaly dans son article "le blues de la République". D'ailleurs, il le dit très clairement lui-même : "Mais la Rebfondation n'est pas la Refondation. Et cette dernière n'a pas échoué, comme nous venons de la voir.... La Refondation est la grande victime de cette crise... Les faits le démontrent. Il est donc faux d'accuser la Refondation d'être la cause, l'origine ou la responsable de l'état de dégénérescence de notre pays, de nos valeurs et de nos rêves". D'où vient donc cette effervescence du côté des légataires de la pensé unique... ou du parti unique (pardon !) ? D'où viennent de la part d'illustres intellectuels ivoiriens, ces amalgames intentionnels et de mauvais goût ? Au risque de me répéter, il s'agit bien d'une "pauvre" stratégie qui a vécu et qui consiste à attribuer aux autres, la responsabilité de leurs propres actes, manquements et autres errances. Posons-nous un instant, mais tout à fait innocemment, la question suivante : quelle aurait été l'issue de cette pénible crise, si le PDCI, dans un élan de sagesse et de patriotisme, avait démontré sa force de conviction et sa consistance, en rejetant purement et simplement l'agression faite à la République, plutôt que d'en user à des fins politiciennes et vindicatives ? Il se serait certainement créé l'opportunité inespérée de se positionner comme le grand redresseur de tort. Cette simple, mais ô combien noble posture aurait eu un double bénéfice :
1) Se poser en sauveur de cette République dont ils semblent si nostalgiques afin de rallier les indécis ;
2) profiter de la situation afin de récupérer, démocratiquement j'entends, le "trône" dont la perte inconsolable leur fait perdre toute raison... Mais hélas, pour les houphouétistes en herbe, nul ne peut se prétendre victime de sa propre turpitude...
Aussi, la leçon démocratique du professeur Koulibaly tombe-t-elle à pic. Seulement, il n'est pas certain que les élèves de circonstance saisissent toute la plénitude et la hauteur d'un tel enseignement : le progrès par l'autocritique. C'est bien de cela qu'il s'agit. Et l'enseignement est ici à double sens. En même temps que le professeur pose le débat de la responsabilité de chacun dans cette crise (sans épargner son propre parti), ce qui relève d'une attitude responsable, il nous donne par l'autocritique, une leçon universelle de morale d'abord et de politique ensuite. Reconnaître ses faiblesses est le commencement de la sagesse et du progrès. Mais encore faut-il que l'auditoire visé ait les "moyens" de saisir la portée du message. Le message Koulibaly a-t-il peut-être surestimé la capacité d'entendement de ses adversaires politiques ? Aussi innocemment que le noble chevalier se veut respectueux des règles du duel, le président de l'Assemblée nationale a voulu placer ses adversaires à son niveau. Hélas, cette marque de respect a été mal appréciée. Mais l'incompréhension passe encore. Le plus regrettable se situe au niveau de la méprise sur le sens de l'autocritique. Dans n'importe quelle démocratie qui se respecte un tant soit peu, l'autocritique est une valeur sûre, signe de maturité et d'avancement.
Un parti qui peut et sait se mettre en cause est un parti qui non seulement se prépare au succès, mais qui s'inscrit aussi dans la durée. Et lorsque ces pays dont nous voulons copier les valeurs démocratiques sont en face d'un conflit international, il n'existe plus ni démocrates, ni républicains, encore moins de parti de gauche ni de droite. Il n'y a plus que des citoyens patriotes qui parlent d'une même voix et luttent d'une même force. L'exemple le plus frais et le plus révélateur dans nos esprits n'est-il pas celui du couple Hollande -Royal ? Au plus fort de la crise où les socialistes ivoiriens avaient plus que jamais besoin de leur soutien, ils se sont comportés en patriotes vis-à-vis des leurs, se rangeant aux côtés de leurs adversaires politiques, tous solidaires des intérêts de leur pays ? A l'intérieur de leur propre parti pourtant, l'autocritique, les remises en question deviennent le moteur du changement et du progrès. L'autocritique n'affecte nullement les réalisations accomplies ; elle exprime simplement qu'à cotés de ces réalisations, il y a eu des ratés, des erreurs de jugement, quelques mauvaises appréciations des uns et des autres. Elle permet de tirer les conséquences des erreurs passées et présentes afin de préparer l'avenir. Est-ce là l'ultime aveu de culpabilité ? Cela doit-il nécessairement traduire une volonté de scission ? Est-ce parce que les cadres pédécéistes n'ont pas su ou voulu se soumettre à un tel exercice à la suite du coup d'État de 1999, qu'ils croient devoir tirer des conclusions hâtives sur l'avenir du parti au pouvoir ? On se demande alors si ces conclusions hâtives font toujours parti du jeu... ou si l'on doit attribuer ces réactions épidermiques aux séquelles du parti unique... Nous sommes à la veille de présidentielle. Les campagnes ont, semble-t-il, officieusement commencé. A l'heure qu'il est, chacun doit avoir affûté sa stratégie de campagne pour les présidentielles. On peut tout au moins l'espérer, sinon il est encore temps. La stratégie des socialistes semble se dessiner. Elle paraît simple et naturelle. Mais elle révèle en réalité à qui veut y regarder de près, toute l'intelligence d'une stratégie bien pensée. Le mea culpa. Au lendemain d'une crise d'une telle envergure, indexer les autres pour leur responsabilité ne suffit pas quand on est le parti au pouvoir. Ce seul statut engage la responsabilité vis-à-vis du peuple, aussi minime soit cette responsabilité. Aussi, la première étape doit-elle commencer par le mea culpa. Une telle position n'est pas peu significative. Cela prend une dose d'humilité, d'honnêteté et surtout des valeureux et courageux politiciens. Car on parle d'un esprit. Et même d'une culture qui prend ses sources dans des années de lutte politique. Cette qualité manifestement n'est pas l'apanage des perdants mais bien des gagnants, car elle demande une hauteur d'esprit qui manque au camp adverse. Et pour cause... L'houphouétisme nous a peut-être laissé de "valeureux" intellectuels mais des démocrates... difficile à apprécier, au vu des actes qui ont été posés tout au long de cette crise. Peut-on alors s'étonner que beaucoup d'entre eux ne sachent apprécier les bienfaits de l'autocritique ? Eux qui ont été nourris au lit de la dictature douce ? Oui, douce, certes, mais dictature tout de même. C'est cela aussi l'héritage de l'houphouétisme. De purs produits du parti unique, allergiques à la remise en cause, étrangers à l'auto-critique, enfermés dans un système décadent de pensée unique dont les conséquences se déclinent aussi dans la grande crise ivoirienne des années 2002-2007. L'auto-critique, il est vrai n'est pas chose aisée. Cependant, elle doit être encouragée. Car le développement démocratique auquel nous aspirons aussi cruellement n'est pas qu'une affaire de croissance économique. elle doit partir avant tout d'une révolution des mentalités. Et en la matière, le fait que l'exemple vienne d'en haut, des dirigeants politiques, qu'il s'agisse d'un Mamadou Koulibaly du FPI ou d'un Laurent Dona Fologo, père du sursaut national, ne peut qu'être un gage de... "Développement durable". A la condition, toutefois, de privilégier des pratiques démocratiques telle que l'auto-critique, aux méthodes peu recommandables de coups d'État successifs.

Viviane Gnakalé Agnero
Auteur de: Laurent Gbagbo, pour l'avenir de la Côte d'Ivoire (Harmattan)

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