lundi 29 octobre 2007 par 24 Heures

Depuis l'entrée en jeu du procureur de la République, les principaux dirigeants des structures de la filière café-cacao sont acculés. Instinct de survie ? Pris dans l'étau de l'appareil judiciaire, après six années de gestion plus qu'opaque, ils jettent leurs dernières forces dans la bataille et brandissent une arme a priori fatale : des dossiers très compromettants pour la présidence de la République et des ministres, en exercice ou en congé.

Le scandale des détournements de fonds dans la filière café-cacao n'a pas fini de livrer tous ses secrets.
Acculés par la justice, pressés par la police économique lors d'interrogatoires serrés, lâchés par le chef de l'Etat et livrés en pâture au public, les dirigeants de la filière, mus par l'instinct de survie et, dans un sursaut de préservation de leurs intérêts, mais également afin de ne pas apparaître comme les moutons du sacrifice, ont décidé de faire front commun.
Dans notre édition du vendredi dernier, nous faisions état de ce que le président Gbagbo, lors d'une rencontre à huis-clos au palais de la République, il y a plus d'une semaine, avait quasiment ordonné aux présidents de conseils d'administration des structures de la filière de justifier toutes les sorties de fonds et de se mettre totalement à la disposition de la Justice.
Cette attitude du chef de l'Etat a été perçue par ses interlocuteurs comme un véritable lâchage.
La réaction de Lucien Tapé Doh (BCC), Kili Angéline (Frc), Henri Amouzou (Fdpcc) et Placide Zoungrana (Arcc), ne s'est pas fait attendre.
Devant le danger qui les guette, les antagonismes entre structures ont été aussitôt tus et les divergences oubliées.
L'urgence commandant de trouver un moyen imparable de défense commun.
Ainsi, au lendemain de la rencontre avec le Président de la République, les principaux dirigeants de la filière, aidés de leurs conseils et d'experts financiers, se sont immédiatement mis au travail.
Ils ont réuni tous les documents financiers justifiant les nombreuses sorties de fonds au profit des tenants du pouvoir, rassemblés en cinq volumineux dossiers plus qu'accablants pour le pouvoir.
Selon plusieurs sources proches du dossier de la filière, les dossiers ont été intégralement transmis au Président Gbagbo, en début de semaine dernière, par le truchement de l'un de ses proches collaborateurs.
Dans ces dossiers, les dirigeants de la filière ont réuni toutes les preuves de l'implication directe du pouvoir dans la gabegie qui a eu cours dans la filière depuis les réformes du début des années 2000.
On parle de plusieurs dizaines, voire de centaines de milliards qui ont ainsi été décaissés au profit de la présidence de la République et de plusieurs ministres, de même que certaines personnalités politiques du camp présidentiel.
Copie de ce dossier qui a été remis au chef de l'Etat, a été adressée, selon nos sources, au procureur de la République.
Bien entendu, des avocats et plusieurs autres personnes sures sont en possession du dossier fatale, avec instruction de le faire publier par voie de presse si jamais un seul des dirigeants des structures était emprisonné ou persécuté.
Le contenu de ce dossier serait tellement scandaleux pour le pouvoir que les dirigeants de la filière sont convaincus qu'avec une telle arme, ils deviennent, de fait, intouchables.
Ils détiennent ainsi une bombe qui pourrait, si elle explose, frapper durement le régime Gbagbo déjà fragilisé dans l'opinion par le train de vie insolent de ses cadres, nouveaux riches des temps de misères économique, politique et sociale.
En passant en revue l'ensemble du dossier transmis au chef de l'Etat, on note qu'un volet concerne directement les fonds décaissés pour la présidence de la République, des conseillers du président et divers proches dont la première dame et les dirigeants du parti au pouvoir, le FPI.
Un autre volet porte la mention Paul Antoine Bohoun Bouabré, ex-ministre d'Etat, ministre de l'Economie et des Finances, aujourd'hui candidat au poste de gouverneur de la BCEAO (la banque centrale).
Trois autres volets concernent les décaissements effectués au profit des différents ministres de l'Agriculture qui se sont succédés à la tête du département : d'abord Alphonse Douaty, ensuite Sébastien Dano Djédjé et enfin Amadou Gon Coulibaly.
Ainsi, durant sept ans, ce sont plusieurs dizaines de milliards de Fcfa, selon les moins alarmistes, des centaines de milliards, d'après une autre source, qui sont sortis des caisses du FDPCC, du FRC, du FGCC et de partout où étaient logés les recettes tirées des retenus effectués dans la filière café-cacao au profit des planteurs.
Selon une source bien informée du dossier, plus de 15 milliards auraient été décaissés par le Fdpcc pour financer divers opérations du palais présidentiel.
Le Frc serait pour sa part concerné à hauteur de plusieurs dizaines de milliards, voire plus de la centaine, rien que pour alimenter le camp présidentiel.
Un avocat proche des dirigeants de la filière soutient avoir été frappé par la rigueur avec laquelle les sorties de fonds ont été archivées par les services financiers des structures aujourd'hui au banc des accusées.
Les responsables de ces structures, vraisemblablement, s'attendaient tôt ou tard à devoir rendre des comptes.
L'essentiel des fonds sortis sont matérialisés par des décharges dûment cacheté au nom des services de la présidence et des ministères concernés.
Ces décharges et les signatures des responsables chargés de ces missions, constituent pour ceux qui sont aujourd'hui dans le box des accusés, une assurance vie.
Du moins, en sont-ils convaincus.
Car, comment les mouiller sans arroser le pouvoir au plus haut niveau ? En clair, si je tombe, tu tombe avec moi?.
Comment Gbagbo a-t-il accueilli cette contre-attaque des dirigeants de la filière ? Nos sources sont quasiment restées évasives sur la question.
Selon certains avis, le chef de l'Etat serait très embarrassé par la nouvelle tournure des évènements et le procureur ne saurait plus très bien par quel bout prendre les choses.
D'autres soutiennent quant à elles que le Président, qui a horreur de ce genre d'acte qu'il assimile à un chantage, a déjà préparé depuis belle lurette la parade à cette attaque et s'apprêterait à frapper durement.
IL aurait même donné des consignes très fermes dans ce sens à son puissant ministre-à-tout-faire, Désiré Tagro.
Certaines sources prêtent au président l'intention de passer à la phase active de son plan de restructuration de son entourage et de la moralisation de la gestion des biens publics.
Quitte à faire des exemples de poids.
Il faut absolument, selon un proche du chef de l'Etat, donner une nouvelle image du régime à l'opinion nationale et internationale plus qu'ulcérée par le vol et la corruption généralisées qui ont cours dans la gestion des fonds publics.
Notre source insiste même pour nous révéler que la filière café-cacao n'est qu'une étape dans le nettoyage qui se prépare à grande échelle dans l'entourage du président Gbagbo.
Pour l'heure, chaque acteur du feuilleton scandale dans la filière café-cacao? affûte ses armes et dort comme un crocodile.
Les jours à venir nous situeront probablement sur la suite de ce duel passionnant qui oppose désormais Gbagbo à ceux qui hier encore, se prenaient pour ses pupilles intouchables.


Une correspondance particulière de Sansan Kouadio

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