vendredi 22 février 2008 par Fraternité Matin

L'Afrique observe un silence de cimetière. A l'exception de la République sud-africaine, qui a émis fermement des réserves, et du Sénégal, qui l'a reconnue, le continent adopte la position du singe de la gravure (ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire), alors que l'indépendance supposée du Kosovo mobilise toutes les diplomaties occidentales et défraie la chronique. N'ayant jamais voix au chapitre et surtout parce que ne sachant sur quel pied danser - pour ne pas courir le risque de s'aliéner, par imprudence, des alliés dans cette affaire qui sent le roussi - les pays africains, à commencer par ceux qui siègent, en ce moment, au Conseil de sécurité, sont dans l'expectative. Et refusent, obstinément, de se prononcer. Pourtant, la crise kosovar concerne aussi - et interpelle !- l'Afrique. Elle constitue un sérieux avertissement dans des contextes de crises politico-militaires larvées ou ouvertes qui menacent la stabilité des Etats. En effet, elle signifie tout simplement que le sacro-saint principe de l'intangibilité des frontières toujours brandi par les organisations africaines, pour tenter de préserver l'intégrité de nos pays peut désormais être battu en brèche. Elle signifie également que les velléités sécessionnistes ou séparatistes auxquelles sont confrontés des pays comme le Sénégal avec la crise casamançaise, le Maroc avec l'affaire de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et la Tanzanie avec le problème de l'archipel de Zanzibar, pourraient être, à nouveau, d'actualité. Elle signifie enfin que, abandonnés par l'ONU qui préfère des cieux plus cléments comme la Côte d'Ivoire, les Somaliens peuvent faire le deuil de leur réunification. Le démantèlement de leur pays après la chute de Siyad Barre peut être considéré comme un fait établi. Le Kosovo est donc un véritable casse-tête diplomatique. Depuis 1999, et tout de suite après le retrait de ses troupes, la Serbie n'exerce plus aucune souveraineté sur cette province méridionale placée sous administration de l'ONU et perfusion de l'Union européenne. Ce protectorat international n'a pas seulement été des plus coûteux (au moins 22 milliards d'euro), non compris le déploiement militaire pour l'opération de la Mission des Nations unies pour le Kosovo (MINUK), pour des résultats qui laissent réellement à désirer; il était aussi de plus en plus mal vécu par les Kosovars albanais qui l'assimilaient à une sorte de colonisation ou de prise en otage. Et pour ne pas arranger les choses, ces derniers n'entendaient plus retourner dans le giron de la Serbie, après les massacres et les nettoyages ethniques dont ils ont été les victimes sous le règne de Slobodan Milosevic. De leur côté, les minorités non albanaises, notamment serbes, protégées par la KFOR, vivent dans la peur et ont organisé des manifestations de colère dans l'enclave de Mitrovica, pour exiger leur rattachement à la mère patrie. Et plus, 100 mille Serbes étaient hier dans les rues de Belgrade au son de le Kosovo est à nous?. Entre une mauvaise solution et une très mauvaise solution?, selon les inquiétudes exprimées par certains diplomates occidentaux, les dirigeants albanais du Kosovo ont choisi, en proclamant l'indépendance de façade et unilatérale de l'ex-province, depuis dimanche. C'est un saut dans l'inconnu. Car le Kosovo est un Etat de fait plus qu'un Etat de droit. La désagrégation de la République socialiste fédérale de Yougoslavie, à partir des années 1990, lors de guerres qui ont déchiré les Balkans, s'est, en effet, effectuée sur les bases des républiques qui ont fait sécession: Slovénie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Monténégro et Croatie. Le Kosovo est, certes, peuplé majoritairement par les musulmans albanais qui, arrivés par vagues migratoires, ont colonisé?, par leur démographie, les orthodoxes serbes; mais c'est une province autonome de la Serbie, le berceau de son histoire. C'est pour cette raison qu'il n'a jamais eu le statut de république? au sein de la Yougoslavie. De tous les Etats nés de l'ex-Yougoslavie, le Kosovo est ainsi le seul à avoir été tracé selon des frontières ethniques. C'est un dangereux précédent susceptible d'ouvrir la boîte de Pandore. D'abord dans des pays européens, en proie, eux aussi, aux pulsions séparatistes, de la Flandre à la Catalogne en passant par le Pays basque et la Corse. En Asie, ensuite, où l'indépendance du Kosovo inspire fatalement la République de Chine (ou Taïwan) que la République populaire de Chine continue de considérer comme partie intégrante de son territoire, au point de menacer de recourir à la force en cas de velléité d'indépendance. En Afrique, enfin, où nombre de dirigeants, sur leurs gardes, restent muets comme une carpe. En raison d'un équilibre socio-politique très fragile qui prévaut chez eux. En outre, seule la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l'ONU adoptée le 10 juin 1999 reste, jusque-là, la base politique et légale pour résoudre le problème de statut du Kosovo. Confirmant la résolution 1160 de l'organe onusien adoptée le 31 mars 1998, qui prévoyait un statut renforcé pour le Kosovo qui comprendrait une autonomie sensiblement accrue et une véritable autonomie administrative? dans le respect de l'intégrité des frontières de la Serbie, la 1244 se prononce en faveur d'une autonomie substantielle? et d'une auto-administration? du Kosovo, mais en tenant compte du principe de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Serbie. Le Conseil de sécurité de l'ONU n'a, depuis lors, pris aucun autre texte pour se dédire ou revoir sa position. Mais ses résolutions, destinées à baliser le terrain du règlement de la crise dans l'ex-Yougoslavie, viennent d'être bafouées sans qu'aucune voix s'élève pour dénoncer ces violations flagrantes. Il y a deux leçons à retenir de cette situation. Premièrement, tout comme le flatteur ne vit qu'aux dépens de celui qui l'écoute, l'ONU n'a généralement de réel poids qu'aux yeux de ceux qui se laissent impressionner. Elle apparaît, de plus en plus, comme une sorte de croque-mitaine créé pour effrayer les petits pays, notamment africains, et leurs dirigeants. Deuxièmement, les résolutions onusiennes ne sont pas les Dix commandements de Dieu. Elles sont adoptées pour être violées. De sorte qu'il faut plaindre tous ces responsables politiques ivoiriens qui ne cessent de se battre, bec et ongles, pour confier leur propre sort et l'avenir de la Côte d'Ivoire à l'ONU, ce machin?. De ce fait, la reconnaissance du nouvel Etat, surgi en Europe, est sujette à caution et divise la communauté internationale. Le Parlement serbe a annulé? la déclaration d'indépendance du Kosovo, déclarant qu'elle violait l'intégrité et la souveraineté de la Serbie. Les USA, le Sénégal et quatre grands? de l'Europe ? Allemagne, Angleterre, France et Italie ? entre autres ne sont pas de cet avis. Ces derniers ne sont pas suivis notamment par la Russie, la Chine et six pays européens ? Espagne, Grèce, Chypre, Roumanie, Bulgarie et Slovaquie - hostiles à cette indépendance qui, à leurs yeux, ne respecte pas le droit international.
C'est donc le chacun pour soi et un chaos diplomatique qui s'annonce. Après le Maroc, qui s'est retiré de l'Union africaine pour protester contre la reconnaissance de la RASD, et la Chine, qui a rompu ses relations diplomatiques avec les pays qui, comme le Burkina Faso, collaborent avec Taïwan, les autorités serbes ont adopté des mesures de représailles: rappel de leurs ambassadeurs dans les pays qui ont reconnu l'indépendance du Kosovo et expulsion de leurs représentants à Belgrade. Finalement, le Kosovo, en raison du veto russe, ne siégera pas à l'ONU. Et son indépendance pourrait bien être mort-née.




Par Ferro M. Bally

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