mardi 26 février 2008 par Le Matin d'Abidjan

Abidjan et les autres villes de l'intérieur du pays sont loin d'être logées à la même enseigne quand on parle de livre. Dans le pays profond, élèves et étudiants s'accrochent plus aux belles lettres. Ce qui n'est pas le cas à Abidjan. Constat et explications !

Aboisso, capitale du Sanwi dans le pays agni. Samedi 23 février. Il est dix heures. Le soleil est au zénith. On se croirait en plein midi. Et comme une pluie qui s'abat sur la ville, le soleil vous agresse de ses rayons venus tout droit du ciel. L'atmosphère est donc très lourde. L'air est sec. Pourtant dans l'enceinte du lycée moderne, grouille un monde fou. Ils sont nombreux, ces élèves venus des villes environnantes comme Ayamé et Maféré. Ajoutés aux élèves des établissements secondaires de ladite localité, on comprend aisément pourquoi ce beau monde a du mal à contenir dans le foyer du lycée, doté pourtant d'une capacité d'accueil de plus de 500 places. Bon nombre d'entre eux ont dû, la mort dans l'âme, se résigner à rester au dehors. A ces élèves, il faut ajouter le grand nombre d'enseignants. Pour leur part, ils n'ont pas voulu rester en marge de l'événement de ce jour-là. De quoi s'agit-il en fait ? Qu'est-ce qui peut bien réunir une foule nombreuse d'élèves et de professeurs en ce week-end dans un lycée, alors même que samedi n'est pas jour d'école ? Assurément, l'événement doit être d'envergure. Ce n'est pas faux. Puisqu'il s'agit d'un café littéraire. C'est-à-dire une rencontre autour des belles lettres et du livre. Dans les villes de l'intérieur du pays, ce genre d'événements n'est pas donné tous les jours. Ce café littéraire qui devrait avoir lieu depuis fort longtemps, a été ajourné à plusieurs reprises. Cette fois a été la bonne. On comprend alors la forte mobilisation. Pour la circonstance, l'invité au centre des débats, c'est plus le livre ''La Rose des vents'' que son auteur, le médecin Georges Ibrahim Zreik, lauréat du prix du Salon international du livre d'Abidjan (SILA), en 2002. L'auteur dont le livre est étudié en classe de terminale des lycées et collèges de la Côte d'Ivoire était tout de même attendu. 10 heures trente minutes. On donne le top départ. Les dés sont jetés par Koffi Koffi, journaliste critique littéraire, patron de Point de Lecture, structure de promotion du livre et de la lecture en terre ivoirienne. Il signale de passage la présence d'auteur et des professionnels du livre : Gina Dick, prix Noma ; Henri Nkoumo, journaliste et homme de culture, actuel directeur du musée de Cocody ; des responsables de NEI /CEDA, éditeur du livre au centre des débats sont présents. Le premier thème abordé est une critique très acerbe des relations internationales au triple plan social, économique et politique. Zreik exprime son inquiétude face à un monde qui assurément détruit tout sur son passage avec les moyens technologiques qu'il a à sa disposition aujourd'hui. Jamais l'humanité n'a été aussi puissante. Mais il faut prendre garde pour ne pas tout détruire , instruit-il. Les débats sont denses et intenses. Les élèves montrent leur grand intérêt pour le livre et la lecture. Un deuxième thème est abordé. Il table sur l'innovation dans l'écriture de l'auteur. Cette partie ne reste pas moins animée. A la fin , c'est une longue file indienne que suivent les élèves pour faire dédicacer leurs livres par l'auteur : Georges Zreik. Flash back. Dans la même veine, en 2006, l'auteur de ''Le printemps de la liberté'', Camara Nangala a animé deux autres cafés littéraires dans les villes de Sassandra et Grand-Béreby, sur la côtière, au Sud-Ouest de la Côte d'Ivoire. Là aussi, il y a eu une forte affluence. Elèves et enseignants se sont déplacés nombreux pour écouter et discuter avec l'artiste créateur. Ils sont repartis très heureux d'avoir beaucoup appris. L'année passée, à Yamoussoukro, dans la capitale économique de la Côte d'Ivoire, le CAFOP supérieur, en collaboration avec l'Université Charles Louis de Montesquieu avait organisé courant septembre un séminaire sur l'ouvrage à succès '' Management des services publics'' de Charles Koffi Diby. Là aussi, il y a eu un monde fou. Composé essentiellement d'élèves et étudiants des grandes écoles du district. La salle des fêtes du CAFOP avait même refusé du monde. Dans la même année, la structure '' Point de Lecture'' a remis le couvert des cafés littéraires. Notamment, à la fondation KIYI Mbock et à la bibliothèque nationale. Même s'il y a eu de l'engouement, il reste que les élèves et les étudiants n'ont pas répondu à l'invitation de Point de Lecture. Or, les organisations prennent toujours soin d'inviter les établissements scolaires et universitaires (Grandes écoles, lycées et collèges, les Universités...) à ces débats d'idées. Par ailleurs, lors des nombreuses cérémonies de dédicaces qui ont eu lieu à Abidjan, rares sont les élèves et étudiants qui pointent le nez. On peut donc le dire, à l'intérieur du pays, alors que le livre et la lecture sont une profonde préoccupation pour les élèves et étudiants, dans la capitale économique du pays, ce n'est pas du tout le cas. On dirait que dans ce domaine, Abidjan et les autres villes, c'est comme le jour et la nuit. Comment expliquer alors cet état de fait? S'il n'y a pas match, cela est dû au fait que dans les villes de l'intérieur du pays, les élèves sont plus studieux,, explique un enseignant du lycée d'Aboisso. Ils se concentrent plus sur leurs études , poursuit un autre professeur. Mais, au fond, à y regarder de près, dans le pays profond, élèves et étudiants sont moins exposés aux agressions des événements culturels et artistiques. Même si les manifestations ne manquent pas, il reste que rares sont les concerts dans les contrées du pays profond. A contrario, concerts et autres spectacles qui affichent complet dans les salles et stades sont légion. Vidéo club (hier) et salles de jeux de Play station (aujourd'hui) ne manquent pas de pousser comme de vrais champignons. Aux abords des écoles pilullent maquis et autres bars. Très souvent, élèves et enseignants deviennent de grands potes qui partagent les verres de bière dans les mêmes bistrots, autour des mêmes tables et dans les environs des établissements scolaires et universitaires. Les week-ends, ce sont les belles plages de Bassam, Assouindé et Assinie qui accueillent la plupart des élèves et étudiants du district d'Abidjan. Quel temps disposeront-ils pour se consacrer à la lecture et aux activités du livre qui leur demandent certainement trop de réflexion et de plus de temps ? Interrogation qui en dit long sur le large éventail d'activités de loisir qu'offre la première ville du pays. Alors adieu donc la lecture !

Marcel APPENA

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