mercredi 6 janvier 2010 par Nord-Sud

Les mois de janvier passent et ressemblent, d'autant qu'ils constituent des moments de tension sur les salaires des travailleurs. Moustapha Soumahoro, Ingénieur des ressources humaines et responsable de la formation spécifique à la Sir, propose ses solutions.


Le mois de janvier est depuis longtemps considéré par les salariés comme une période longue et difficile financièrement. Qu'est-ce qui explique cela ?

C'est une situation qui ressemble à une fatalité. C'est comme si c'était prémédité. Chaque travailleur sait les actes qu'il pose pour que ce mois de janvier devienne plus longue et difficile à passer financièrement. Mais en réalité il succède au mois de décembre qui reste par excellence une période de fête. On a beaucoup d'excès pendant cette période. C'est donc le résultat de ces excès qu'on paie en début d'année.


Ne pensez-vous pas que la pression familiale est l'une des causes qui emmènent les salariés à engager des dépenses hors budget au cours de cette période ?

Cela peut être une explication. C'est vrai qu'il y a la pression familiale, mais il y aussi le goût de la mode. On veut faire comme les autres. Dans cette grisaille, d'autres travailleurs arrivent à s'en sortir parce qu'ils restent eux-mêmes. Ils ne suivent pas la mode et ils ne cherchent pas à faire comme les autres. Mais la raison fondamentale de cette situation difficile que traversent les travailleurs, c'est qu'ils ne font pas de prévision. On vit au jour le jour. Sinon on peut fêter. Si à partir de janvier 2010, on programme qu'on doit fêter en décembre, on peut constituer une économie pour préparer sans pression cette période. Cela nous éviterait de faire des dégâts après. Malheureusement, beaucoup de salariés attendent la fin du mois de novembre pour se rendre compte que les fêtes sont proches. Donc, tout vient se greffer sur le seul salaire.


Croyez-vous que c'est possible pour tout le monde, même quand vous ne voulez pas suivre la mode. Que faire alors devant les sollicitations familiales ?

Il y a deux voies. Soit vous dites que vous ne pourrez rien faire. Donc, cela ne sert à rien de faire des efforts, puisque vous ne pourrez pas réussir. Et vous continuez de vivre sans faire de prévision. Je suis convaincu qu'on peut s'en sortir quand on veut. On a vu un gardien avec un revenu de 50.000 Fcfa, construire un immeuble. Comment ce dernier a pu le faire ? Surtout qu'il n'a pas utilisé l'argent qui ne lui appartient pas. Avant d'arriver à la pression familiale, il y a notre comportement de tous les jours. Nous posons des actes tous les jours qui nous conduisent vers le gouffre. La vie est basée sur des règles que j'appelle règles de la vie. Quand vous ne les respectez pas, elles se font respecter. Je ne dis pas que le salarié ne peut pas avoir de problèmes, mais quand ce dernier applique certaines règles de la vie, il arrive à surmonter bon nombre de situation. Le premier principe, c'est de ne jamais paraître, mais il faut être. La pression familiale est une réalité qui est basée sur notre culture. A la limite, il y a une logique là-dedans. Parce que quand vous étiez à l'école, certaines personnes se sont inquiétées pour vous et vous ont même apporté une aide financière. C'est tout à fait normal qu'à votre tour, d'autres personnes vous sollicitent. Mais, pour résoudre ce problème, il faut avoir du caractère. Puisqu'à un moment donné, l'on doit pouvoir accepter qu'on ne parle pas en bien de vous. Vous ne devez pas avoir peur de cela. Sinon, qu'est-ce qui va se passer ? A la fin du mois où vous êtes en train de programmer vos dépenses de loyers, d'électricité, d'eau, de santé,, il y a un individu qui est assis quelque part et qui se programme dans votre budget. Il ne faut pas être trop large au point de pénaliser votre propre famille.


Comment doit finalement vivre un salarié ?

Le salarié doit pouvoir vivre selon ses moyens. On ne doit pas vivre selon les autres et la mode. Cela veut dire qu'on ne doit pas avoir honte de se présenter tel qu'on est. C'est plus grave que la pression familiale. La plupart des travailleurs n'arrivent à se présenter aux autres tels qu'ils sont et c'est ça leur problème. Si je vaux 50.000 Fcfa et que je veux paraître à 100.000 Fcfa et bien je suis obligé d'aller chercher cet écart ailleurs. Cela veut dire que si je n'ai pas les moyens de m'offrir une voiture, il faut que je sois suffisamment courageux de ne pas l'acquérir et d'affronter le regard de la société. Si vous atteignez ce niveau, vous résolvez 50% de vos problèmes. Aujourd'hui, on voit des travailleurs avec deux ou trois téléphones portables, tous des appareils sophistiqués et extrêmement coûteux. Or, ce ne sont pas des opérateurs économiques. Ce n'est pas un besoin pour eux et non plus une nécessité. Même s'ils n'ont pas de cellulaires, ce n'est pas grave. Cela fait naître une autre problématique : comment établir les priorités ? Qu'est-ce tout salarié doit faire dans l'ordre ? La vie est constituée d'un certain nombre d'actions qu'il faut ordonner. Dans le cas contraire, vous vous enfoncer chaque jour. Parce que si tu n'as pas les moyens et que tu vas acheter une voiture, toute ta vie, tu vas travailler pour l'entretien de ce véhicule. Vous serez constamment en déséquilibre financier. Il n'y a pas une priorité standard. Votre priorité peut ne pas être ma priorité. Mais en fonction de ton revenu, il faut pouvoir trouver la priorité qui y correspond. Si jamais vous n'arrivez pas à faire cela, il y a des choses que vous ne pourrez jamais faire dans votre vie.


L'endettement auprès des banques et des usuriers est-il une solution ?

Il y a une autocritique à faire. Comment vous êtes arrivé à cette situation. Si le travailleur ne reconnaît pas cela, ce sera difficile pour lui de changer. Quand on fait des dégâts, il faut assumer. Il faut éviter l'endettement dans la mesure du possible. Au niveau des banques, vous connaissez aujourd'hui le niveau des taux d'intérêt. C'est vrai qu'on peut s'endetter pour certaines choses, par exemple, pour une opération immobilière. Si vous avez une opportunité d'acquérir une maison, vous pouvez opter pour le crédit bancaire. Parce qu'il s'agit de sécuriser votre famille. Mais vous n'allez pas contracter une dette pour acheter un véhicule. Il faut plutôt opter pour l'épargne pour satisfaire certains besoins.


Quels sont donc les conseils que vous pouvez donner aux salariés ?

Nous pensons que nos populations ont besoin de sensibilisation sur cette question. Mais, cela doit être d'abord une préoccupation au niveau du gouvernement. Mais, si on apprend aux uns et autres à gérer avec de petits modules, beaucoup de choses vont changer. Au niveau de chaque entreprises, les dirigeants devraient initier des séances de formation, cela peut produit des résultats intéressants. Nous avons fait la formation chez nous. Il y a des travailleurs qui étaient lourdement endettés. Nous sommes allé dans leur famille et rencontrer leurs épouses pour les sensibiliser. Les choses avaient vraiment changé. Malheureusement, certaines personnes replongent encore dans les mêmes comportements du passé. Cela suppose qu'il faut un suivi. Il faut changer de comportement. Tu ne pourras pas avancer si tu n'as une hygiène de vie qui n'est pas bien. Par exemple, si l'on veut tout, tout de suite. Si vous dépassez ce niveau, vous pouvez appliquer certaines techniques qui sont simples. Il y a la technique de l'enveloppe accessible même aux personnes qui ne sont pas allées à l'école. A la fin du mois, vous avez différentes enveloppes sur lesquelles sont inscrites les charges mensuelles : loyer, popote, transport, électricité, frais médicaux, Vous prenez l'argent physique et vous l'affecter à chaque enveloppe en fonction du montant. Il y a une rigueur qui s'impose. Pour les intellectuels, il y a la solution Excel qui est très efficace. Vous faites un tableau en listant et en classifiant les dépenses dans la première colonne. Les deuxième et troisième colonnes enregistrent respectivement les montants et la dépense effectuée. Et vous notez les écarts dans la quatrième colonne. A chaque opération, le tableau vous donne le solde que vous devez contrôler rigoureusement. C'est vrai qu'il peut avoir des cas d'urgence par exemple le décès, le mariage et autres. Mais vous devez affecter un montant que vous ne devez pas excéder dans votre budget.


Ces solutions sont-elles faciles appliquer maintenant ?

Le problème est profond pour qu'on s'en sorte. Certaines personnes pensent que ce sont les élections qui ne sont pas une solution magique. Quand les pères fondateurs se sont réunis pour fonder la Côte d'Ivoire, on n'était pas présent. Mais pourquoi ils ont choisi Union-discipline-travail comme notre devise. Ils étaient convaincus que c'est avec ces trois valeurs qu'on pourra bâtir notre pays. Mais entre nous, est-ce qu'on n'a pas déchiré cette union pour la jeter à la poubelle. Or c'était une force. Aucune région ne peut se développer seule. Jusqu'à présent, cette union tarde à se refaire. Au niveau de la discipline, c'est malheureux de constater que les élèves bastonnent les enseignants. Dans l'armée, le général donne l'ordre, mais on n'exécute pas. Les ministres ne maîtrisent plus leurs collaborateurs. On ne travaille plus également dans notre pays. Les jeudis, ce sont jours de mariages et les vendredis, ce sont les funérailles et on va pour l'enterrement. Dans le meilleur des cas, les travailleurs reviennent lundi ou mardi pour d'autres. Nos valeurs fondamentales ont disparu. Comment on peut construire un pays dans ces conditions et où les travailleurs n'arrivent plus à gérer correctement leurs revenus ?


Interview réalisée par Cissé Cheick Ely

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