vendredi 16 juillet 2010 par Le Temps

par Professeur Bruno Gnaoulé Oupoh au nom de ses compagnons prisonniers politiques du camp militaire de Séguéla en 1971 à l'occasion de la veillée académique à l'université de Cocody le lundi 12 juillet 2010.

Classe Echimane

C'est à moi ton petit frère, le soldat de deuxième classe Gnaoulé Ouphoh Bruno matricule 001-70-7459 classe 70/1 A deuxième bataillon deuxième compagnie Séguéla qu'est revenu le devoir de te parler de toi au moment où tu nous quittes, au nom de tes compagnons prisonniers politiques au camp militaire de Séguéla en 1971.

Il y a de cela maintenant quarante ans, Notre pays, la Côte d'Ivoire, qui célèbre cette année ses cinquante ans d'indépendance, n'en était qu'au tout début de sa deuxième décennie d'expérience. Le contexte politique de l'époque, un des nôtres, l'historien Laurent Gbagbo, l'a si opportunément bien campé dans l'avant propos de la seconde édition de son ?uvre dramatique Soudjata, Lion du Mandingue, écrite et créée en détention.

Nous en commentons ici quelques extraits

"Nous sommes en 1970, au mois de mars. C'est le règne du parti unique : le parti démocratique de Côte d'Ivoire, section du Rassemblement démocratique africain ( Pdci-Rda. La majorité des élèves, des étudiants et des enseignants contestent le régime. A la suite d'une série de grèves, consécutives à la dissolution de l'Union syndicale des élèves et étudiants de Côte d'Ivoire (Useeci), syndicat opposé au Mouvement des élèves et étudiants de Côte d'Ivoire (Meeci), organe Pdci, des arrestations surviennent. Notons à cet effet que les libertés d'association, de pensée de parole et d'actions pourtant inscrites dans la constitution au chapitre des Droits de l'Homme et du Citoyen n'étaient pas acceptées par l'ordre établi qui les considéraient comme un délit. Près de quatre cents élèves et étudiants sont arrêtés. Ils sont internés au camp militaire d'Akouédo quand le pouvoir décide de faire arrêter également Djéni Kobina, Secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement secondaire de Côte d'Ivoire (Synesci), Francis Wodié, Secrétaire général du Syndicat national de la recherche et de l'enseignement supérieur (Synares) et, dans la même foulée, un jeune professeur d'histoire au Lycée classique, Laurent Gbagbo.
Les deux syndicats d'enseignants avaient refusé de participer à la préparation du Ve Congrès du Pdci.

C'est pourquoi, Djeni est arrêté. En lieu et place du Secrétaire général du Synares, c'est le Directeur de Cabinet du ministre de l'Education nationale, Albert Hoba, qui est arrêté pour avoir signé l'autorisation d'absence de Francis Wodié, parti en France pour préparer son Agrégation de Droit. Quant à Laurent Gbagbo, il lui est reproché, officiellement, de ne pas donner de bons conseils à sa s?ur Jeannette Koudou et à son fiancé, Séraphin Niangoran Porquet, tous deux opposés au Meeci. En réalité, l'orientation de ses cours ne plaît pas au régime et son arrestation manquée en novembre 1970 avait provoqué une grève générale de protestation dans les établissements scolaires du pays.

Marié à une communiste de Lyon. Il était aussi interdit d'être communiste. Laurent Gbagbo était depuis un certain temps dans le collimateur du régime.

Lui, Djeni Kobina et Hoba sont arrêtés le 31 mars 1971 à l'Assemblée nationale.
Au terme d'un tri, le pouvoir choisit de n'envoyer au camp militaire de Séguéla que ces trois fonctionnaires et un certain nombre d'élèves et étudiants présentés comme les meneurs : Echimane, jeune étudiant en première année de médecine.

Tu étais de ceux-là. Tu avais déjà, à 20 ans, accepté de mettre en veilleuse une carrière médicale prometteuse pour défendre les libertés en vue de l'avènement de la démocratie dans notre pays. Certes, le chemin à parcourir sur ce chapitre est encore long et parsemé d'embûches, mais tu as contribué à en poser les jalons. Pars donc avec la conscience du devoir accompli.
Le Seigneur, à qui il a plu de te rappeler auprès de lui, a certainement d'autres tâches et missions à te confier. Et nous sommes persuadés que tu les accompliras avec les mêmes déterminations et dévouement. A Séguéla, nos chefs, au moment de nous mettre en rang pour les corvées, demandaient au plus grand de taille de se poser en élément de base. Tu étais le plus grand et nous avions pris l'habitude, de ce fait, de t'appeler encore jusqu'à ta disparition, Echimane de base.
Derrière toi, il y avait dans le rang, par ordre décroissant, Fian, Assemian, Gbagbo Laurent, Wouné Bléka, Ali Kéita, Vamissa Koné, Laurent Akoun, Séry Bailly; les autres au milieu, Aphing Kouassi René, Yao Gbaka, Bouan Kan Emile, N'Dori Raymond, Kodjo Richard et Zokou Gogoua se disputent la queue.

Une bande de taulards au moral d'acier.

Beaucoup nous ont quittés : Ayé Jean-Pierre, Djeni Kobena, Enoh Augustin, Kadio Morokro Jean, Kouassi Emile, Niangoran Porquet Séraphin, Touré Sarata, Wouné Bléka et tu viens, malheureusement, d'allonger la liste.

Echimane, sois sûr et certain que tu resteras gravé dans nos esprits et nos c?urs, à jamais.
Nous sommes venus nombreux ce soir pour te rendre cet ultime hommage, conduit par
- Hoba Albert notre adjudant de compagnie, Secrétaire général du Ces.

- Madame et les enfants Echimane, sachez que nous serons toujours à vos côtés comme une famille sur laquelle vous pouvez compter.

Tous ceux qui sont ici présents et absents, se joignent à moi pour te souhaiter en ch?ur un très doux repos éternel, Echimane.

Prof Gnaoulé Oupoh Bruno

Université de Cocody

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