mardi 29 mars 2011 par Eburnews

L'on assiste depuis 2002, année de l'éclatement de la rébellion armée en Côte d'Ivoire, à un foisonnement d'annonces dites prophétiques. Celles-ci sont le fait d'hommes et de femmes se disant tous "Hommes de Dieu". Chacun se distinguant, toutefois, du titre particulier qu'il se donne à lui-même : prophète, prophétesse, pasteur, berger, bishop, . Si au début de la rébellion, certains d'entre eux avaient prophétisé, au nom de Dieu, qu'elle ne durerait pas 3 mois, le constat leur a donné tort.

Au lieu que cette évidence achève de convaincre du caractère imaginaire de ces prophéties, les Ivoiriens s'habituent à une autre forme de "révélation" où Dieu lui-même leur "parle", si l'on s'en tient aux interprétations faites de certains phénomènes par les journalistes chrétiens de la radio et télévision ivoirienne (RTI).

Ces jours-ci en effet, la télévision publique ivoirienne fait régulièrement écho de faits insolites dans lesquels elle croit y déceler un message divin. Tel est le cas d'une figure géométrique en forme de c?ur, dont elle a dit apparaître à la surface d'une soupe. Tels sont aussi les cas du supposé nuage tombé du ciel après un combat entre "rebelles" et militaires ; et de l'arc-en-ciel ayant entouré le soleil, dont la RTI s'est empressé de donner un message divin. Ailleurs, c'est la vierge Marie que d'autres disent avoir vue dans le firmament.

Les interprétations de ces phénomènes sont toutes orientées dans un sens chrétien, comme s'il n'y a que le christianisme en Côte d'Ivoire. Il semble que cette religion est érigée en religion d'Etat au détriment de l'islam, du bossonnisme, de l'animisme, du bouddhisme, ... pour que la RTI passe son temps à diffuser des "prophéties" et des messages chrétiens. La Côte d'Ivoire n'est plus une République laïque, à partir du moment où des journalistes travaillant pour le compte d'un média public ne jurent et ne font des commentaires que dans une univocité religieuse. Les téléspectateurs sont gavés de musique chrétienne, si bien qu'ils tendent à confondre leur télévision à une chaîne confessionnelle.

Le constat est d'autant vrai que derrière chaque phénomène observé, l'on ne voit que Jésus. Les commentaires et interprétations des journalistes rapportant ces faits abondent tous dans ce sens. C'est Jésus, l'"éternel des armées" qui combat désormais aux côtés des Ivoiriens. Jésus est invoqué comme le pourfendeur des méchants qui veulent détruire la Côte d'Ivoire. Et les méchants, ce sont Alassane Ouattara, la France, les Etats Unis, la Cedeao, L'UA, L'EU, et tous ceux qui reconnaissent Ouattara comme le vainqueur de l'élection présidentielle ivoirienne. Le problème, c'est que Jésus risque de prendre la place du méchant, à force de détruire toujours les "méchants".

Chaque jour, sur les antennes de la RTI, des prophètes et prophétesses, des pasteurs et autres Hommes de Dieu se succédant pour parler de Jésus et de son "parti pris" pour Laurent Gbagbo. Son épouse Simone est devenue elle-même "prophétesse". Tout est fait comme si le dieu chrétien n'aime pas la vérité ou, à tout le moins, que ce dieu se trouve du seul côté de Gbagbo.
Pourtant, Gbagbo lui-même sait qu'il a perdu les élections ; le monde entier lui a donné tort. Au lieu que ces Hommes de Dieu acceptent de jouer franc-jeu en exhortant le président sortant à quitter le pouvoir parce que telle est la volonté de Dieu (vox populi vox dei : la voix du peuple est la voix de Dieu), ils l'encouragent à se persuader du caractère "divin" de son pouvoir usurpé. Il n'y a pas pire manière de s'apostasier et trahir sa fidélité envers le divin que de cette façon. Voilà comment des Hommes d'Eglise font du faux au nom de Dieu !

L'évangélisme outrancier de ces hommes et femmes, loin d'éclairer les Ivoiriens, les précipitent dans les ténèbres. Leurs messages, leurs prophéties ne sont que des appels insidieux à la haine de l'Autre. Ils sont des incitations à la diabolisation de la religion d'autrui. Alassane Ouattara et ceux qui le suivent ne sont-ils pas aussi fils de Dieu pour que la vérité soit de leur côté ?
Ces Hommes d'Eglise engagés politiquement ; ces patriotes qui brandissent l'argument du néocolonialisme pour invoquer Jésus à "sauver" ou à "bénir" la Côte d'Ivoire deviennent finalement ridicules. Ils veulent combattre le mal avec un produit issu du même mal. En effet, le christianisme est le plus vieil héritage de la colonisation. A ce titre, Jésus est d'abord un dieu occidental avant d'être un dieu africain. Il est un "sauveur" imposé aux Africains comme la guerre dont les patriotes croient qu'elle est imposée à la Côte d'Ivoire par la France. Ou encore, comme Alassane Ouattara dont Laurent Gbagbo dit que la communauté internationale veut l'imposer aux Ivoiriens.

Le patriotisme ou le nationalisme vrai commande de combattre l'ennemi avec des moyens locaux. Autrement, Jésus qui est le dieu des Blancs, ne vaincra pas la France de Sarkozy au bonheur des Africains, en particulier des Ivoiriens.

Au total, des Ivoiriens croient trouver en Jésus-Christ une justification de leur méchanceté envers les autres. Ils les combattent au nom du fils de Marie. Ils combattent d'autres Ivoiriens qu'ils prennent pour diaboliques, parce qu'ils reconnaissent Alassane Ouattara comme le président. Il faut donc les brûler au nom de Jésus ; il faut décréter des jours de jeûne contre eux ; il faut des séances de prière contre eux. Ceux qu'ils combattent au nom du Fils ne manquent pas pourtant d'amour pour la Côte d'Ivoire.

Finalement, c'est la peur que l'Autre suscite qui oblige à vouloir sa mort par le "sang" de Jésus. En effet, comment conjurer l'angoisse que suscite la présence de l'adversaire, un adversaire qui est partout à la fois et nulle part, à l'image du commando dit "invisible" qui sème la désolation dans le camp Gbagbo ? La peur justifie tout, même les interprétations incongrues. Elle peut faire voir partout des fantômes et des signes divins ; elle peut faire en sorte que des phénomènes ordinaires tels que les éclipses, les arcs-en-ciel comme ceux rapportés par les journalistes de la RTI, apparaissent comme des messages chrétiens dans lesquels l'on se réfugie pour dissiper sa peur de l'adversaire.

Si des milliers d'Ivoiriens ont fui Abidjan pour se réfugier dans les villages et villes de l'intérieur, c'est parce que des pasteurs et autres prophètes les ont apeurés en prophétisant l'apocalypse.

Le besoin de protection s'accompagne donc, bien souvent en Côte d'Ivoire, de comédie "divine". Tel est le sens de l'activisme de certains chrétiens ivoiriens qui disent prêcher l'évangile du Christ, alors qu'ils ne véhiculent que la haine. Brou Amessan Pierre Israël ? le sulfureux directeur de la RTI ? est l'un de ces chrétiens [ces crétins]. Lui qui, dans chacun de ses journaux télévisés, transgresse les règles élémentaires du journalisme en ne faisant qu'insulter la France et les adversaires de Laurent Gbagbo, et qui termine toujours par "Que Dieu bénisse la Côte d'Ivoire !". Quelle comédie !

Ces croyants ne cesseront pas de nous étonner.

Lilian Kesthelot, journaliste

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