samedi 11 fevrier 2012 par L'intelligent d'Abidjan

En séjour à Paris, le président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (Cdvr), Charles Konan Banny était vendredi 10 février 2012 l'invité de Rfi. Dans cet entretien, l'ex-Premier ministre a évoqué plusieurs sujets dont la libération des cadres pro-Gbagbo.

Cela fait six mois que la Commission a été mise en place. Pour l'instant, elle n'est pas très visible. Qu'est-ce que vous avez fait depuis le mois de juin ?
Quand vous avez décidé de construire une maison, vous identifiez le terrain. Ensuite, vous faites le plan et vous essayez de creuser les fondations. Tout cela n'est pas visible. C'est exactement ce que nous faisons.

Cette partie invisible consiste en quoi depuis six mois ?
D'abord, j'ai mené des activités pour sensibiliser les populations. J'ai rencontré des milliers de personnes pour savoir si oui ou non, nous étions tous prêts à aller à la réconciliation.

Vous avez fait tout cela, mais dans un message transmis à New York la semaine dernière, l'Onuci a montré des signes d'impatience. Elle dit que vos travaux ne vont pas assez vite ?
Je ne sais pas de quoi l'Onuci parle. Elle est présente en Côte d'Ivoire depuis plus de dix ans. J'ai suffisamment d'expérience, j'ai suffisamment été acteur de ce processus de normalisation de la Côte d'Ivoire, je me méfie des avis intempestifs.

Est-ce que l'Onuci a empêché que les Ivoiriens s'entredéchirent ?

Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Je vous dis une chose : moi, je veux bien que ceux qui veulent nous aider, nous aident. Mais on ne peut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Je n'ai pas l'intention de laisser ce processus échapper aux Ivoiriens. J'ai bien conscience que nous devons gérer l'impatience des gens.

C'est normal, si on veut une paix durable, qu'on nous laisse travailler. Nous avons deux ans pour finir le processus. Ceux qui sont responsables doivent se garder de bien porter des jugements avant terme.

Est-ce que vous n'avez pas fait un peu de people en nommant par exemple Didier Drogba dans cette commission ? On sait bien que ce footballeur n'aura pas beaucoup de temps à vous consacrer. Est-ce que ce n'est pas un gadget pour journalistes ?

Non, je ne crois pas. D'abord, c'est un Ivoirien. Deuxièmement, Drogba est fils d'une région qui à tort ou à raison se sent aujourd'hui un peu victime. Hier , les Ivoiriens considéraient que cette région qui est celle de l'ex-président était responsable. Je pense qu'il n'y a pas de responsabilité collective. Mais on a appelé Drogba qui est considéré comme un digne fils de cette région de même qu'un digne fils de la Côte d'Ivoire. C'est une icône. C'est vrai que son métier fait qu'il n'aura pas assez de temps à nous consacrer. Mais la réconciliation, ce n'est pas un travail de postier où il faut aller pointer tous les matins à une heure fixe. C'est un travail de relations et de persuasion. Et je crois que Drogba a les qualités pour cela.

C'est comme en Afrique du Sud, pour réconcilier il faut interroger les bourreaux et les victimes. A l'heure actuelle, plus de soixante cadres de l'ancien régime de Laurent Gbagbo sont en prison. Est-ce que vous allez les auditionner ?

Non, pour le moment ils sont en prison. La seule chose que je peux faire, c'est d'aller leur rendre visite et je le ferai pour avoir leur opinion sur le processus de réconciliation. Mais il y a un temps pour tout. S'il y a quelque chose sur laquelle nous sommes tous d'accord, c'est qu'il faut donner droit et priorité aux victimes, celles qui ont souffert dans leur corps, qui ont été mutilées, d'autres même sont mortes et leurs parents sont là. C'est ça les victimes. Il faut leur apporter de la compassion. Ceux qui sont en vie, il faut les mettre en situation d'accepter d'aller de l'avant, d'oublier leurs peines pendant un certain temps et de se réconcilier avec l'ensemble des Ivoiriens.

Donc, vous allez entendre les victimes et les criminels supposés. Est-ce que vous allez organiser des confrontations ?

Oui, le moment venu, et c'est inéluctable. C'est cette étape-là que tout le monde attend d'ailleurs.

C'est la plus connue en Afrique du Sud avec Desmond Tutu ?
Voilà et ça ne se fait pas du jour au lendemain. Cette phase doit permettre de chercher la vérité. Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi cela s'est passé ?

Ces criminels et ces victimes sont déjà interrogés par la Commission nationale d'enquête mise en place par le président Ouattara. Est-ce que vous ne faites pas double emploi ?

Non, chacun fait son travail selon le mandat qui lui a été donné. Nous faisons une justice de réparation, de pardon si nécessaire, mais pas une justice de condamnation. Ce qui est sûr, c'est qu'il peut y avoir complémentarité. S'il y a des éléments des enquêtes qui me semblent dignes d'intérêt qui doivent être pris en compte, pourquoi pas ? Nous allons échanger, nous n'allons pas l'ignorer. Nous faisons le même travail mais je conduis un processus mené par une autorité indépendante. C'est important d'insister là-dessus, non pas que je soupçonne la commission gouvernementale mais elle est gouvernementale.

Pour l'instant, Charles Konan Banny, la réconciliation, ça ne marche pas. La preuve, les législatives de décembre ont été boycottées par les partisans de Laurent Gbagbo. Est-ce qu'il faudrait libérer un certain nombre des 60 personnalités actuellement en prison comme le demande le Fpi ?

Non, je ne suis pas d'accord quand on dit que la réconciliation ça ne marche pas. Voyez-vous, mon opinion est que nous ramenons trop le sort d'une nation à la nomenclature politique. Et la nation, c'est plus que les partis politiques.

Est-ce qu'il ne faut pas envisager la libération d'un certain nombre de cadres du Fpi ?
C'est la justice. Je ne suis pas certain que s'ils n'avaient pas été mis en prison, la Côte d'Ivoire serait réconciliée. De la même façon vous avez raison, le fait qu'ils soient en prison ne facilite pas la réconciliation. Mais il faut trouver un équilibre.

Mais, il y a actuellement plus de soixante personnes d'un camp qui sont en prison et zéro personne de l'autre camp. Est-ce que cela est équitable ?

Mais écoutez, je ne suis pas le ministre de la Justice. Laissez le processus continuer. A un moment donné, si le processus ne prend pas en compte tout ce que je dis et tous les a priori que les uns et les autres ont, dont vous vous faites le porte-parole, à ce moment-là, vous pouvez venir me poser la question.

Retranscrit par Touré Abdoulaye

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