mercredi 5 juin 2013 par nouvelobs.com

Jean-Louis Billon, le ministre ivoirien du Commerce, dénonce l'attribution au groupe français de la gestion du deuxième terminal à conteneurs d'Abidjan. Interview.

Double victoire pour Vincent Bolloré : après avoir obtenu, en 2004, la gestion du premier terminal à conteneurs du port d'Abidjan dans des conditions contestées, il vient de décrocher la gestion du deuxième terminal. Le groupe français va donc jouir d'un monopole, alors que l'appel d'offres visait à "accroître la compétitivité du port d'Abidjan par le jeu de la concurrence". Dans une interview exclusive au "Nouvel Observateur", Jean-Louis Billon, ministre ivoirien du Commerce, dénonce les conditions de passation de ce marché, stratégique pour son pays et le reste de l'Afrique de l'Ouest. Interview.

Que pensez-vous de la récente attribution du deuxième terminal à conteneurs du port d'Abidjan au groupement APM Terminals, Bolloré Africa Logistics et Bouygues Travaux publics ?

- L'idée de départ était d'ouvrir à la concurrence le port d'Abidjan et on finit avec un supermonopole multiplié par deux. Ce n'est pas une bonne chose pour notre économie. On aurait voulu brider l'économie ivoirienne, on ne s'y serait pas pris autrement. C'est une situation que je regrette profondément.

Pourtant, l'offre financière de ce groupement a été la meilleure...

- L'offre financière est une chose, le développement de notre économie en est une autre. La compétition est vertueuse. On voit déjà les conséquences du monopole de Bolloré sur le premier terminal : la manutention portuaire y est parmi les plus chères de la sous-région, de 20 à 30% en plus selon certaines estimations. Ce manque de compétitivité engendre des coûts qui se répercutent directement sur le consommateur ivoirien.

Grâce à ce monopole, Bolloré se permet aussi des pratiques anticoncurrentielles, comme les ventes liées : l'armateur CMA-CGM, par exemple, n'a pas d'autre choix que de sous-traiter à Bolloré la manutention de ses navires. Je me demande pourquoi, chaque fois qu'on arrive sous les tropiques, on se permet ce qu'on ne ferait jamais chez soi. Moi, je veux faire respecter la loi. Je me réjouis de la prochaine mise en place de la commission de la concurrence, ainsi que de l'application d'une loi dans ce domaine.

Si les prix pratiqués par Bolloré sur le premier terminal sont si élevés, pourquoi le même consortium a-t-il obtenu le deuxième terminal ?

- J'ai beaucoup d'interrogations à ce sujet... A mes yeux, Bolloré n'aurait même pas dû être admis dans la compétition car l'appel d'offres prévoyait très clairement une mise en concurrence entre les deux terminaux, mais il a réussi à passer cette première barrière. Cela nous a desservis : des concurrents sérieux comme le port de Singapour se sont retirés de la course. En termes de gestion portuaire et de terminaux à conteneurs, c'est pourtant l'exemple à suivre aujourd'hui dans le monde. Mais ils n'ont pas compris la présence de l'exploitant du premier terminal dans cet appel d'offres et ont alors considéré que ce processus n'était qu'un maquillage pour lui attribuer le deuxième terminal. J'avais tenté à l'époque de les convaincre de participer, mais ils ont refusé en qualifiant l'opération de mascarade.

Ce qui vient de se passer leur donne raison et c'est triste. Pour nous qui nous battons pour attirer le maximum d'investisseurs en Côte d'Ivoire, ce n'est pas un bon exemple, comme s'il n'y avait pas de place pour de nouveaux opérateurs. C'est une décision regrettable. Bolloré est le seigneur des transports en Côte d'Ivoire. Les pays de l'intérieur se plaignent de cette situation : avec un opérateur unique, ils n'ont pas de marge pour négocier les prix. C'est déjà bien que Bolloré ait pu conserver le premier terminal, obtenu dans des conditions obscures en 2004. On lui maintient son premier terminal, de grâce ne lui en donnons pas un second !

Vous aviez déjà contesté la façon dont Bolloré avait obtenu la gestion du premier terminal à conteneurs en 2004... ... suite de l'article sur Autre presse

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