lundi 16 juillet 2007 par Le Temps

37 ans après l'initiation du projet "Yabra", conçu par feu Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte d'Ivoire moderne, qu'est devenue cette expérience agricole ivoirienne ?
Yabra est un village du département de Yamoussoukro, situé sur l'axe Yamoussoukro-Bouaflé. 26 km de route séparent Yabra de Yamoussoukro (ville) dont 15 km de voies bitumées et 11 km de terre battue (carrefour Sahabo-Yabra). Yabra est aussi distant de 3 km de Gogokro, village maternel de M. Jean-Baptiste Akrou, actuel Directeur général du quotidien Fraternité Matin. C'est donc en ce lieu que se construit, une partie de l'histoire de quelques communautés vivant à Yamoussoukro. En effet, en 1970 est initié par feu le Président Houphouët-Boigny, une expérience dont l'objectif est connu : Endiguer l'exode rural massif constaté et son corollaire de chômage des jeunes en milieu urbain, parce que non qualifiés. Aboutir à travers cette expérience, à une autosuffisance alimentaire nationale. Ainsi se résumait l'initiative dont la vocation était aussi de favoriser, par ailleurs, le retour à la terre des jeunes ivoiriens. Celle-ci fut dénommée "Opération Yabra ou retour des jeunes à la terre". Et le village de Yabra fut choisi comme site d'expérimentation ; village d'accueil de ces jeunes en quête de mieux-être. Au départ de l'opération, ce sont environ 650 jeunes déscolarisés enregistrés dans le starting block. Après une formation professionnelle sérieuse et rigoureuse dans des structures agricoles connues à cet effet, 200 agriculteurs modernes ont été retenus, sur le plan national, pour s'installer à Yabra. Depuis 1974, une superficie de 650 hectares aménagés et irrigués pour la culture du riz et 180 hectares défrichés pour la culture des ignames etc., est mise en valeur par ses jeunes agriculteurs modernes. Du succès des jeunes revenus à la terre. Et depuis cette période, ces jeunes gens ont exploité régulièrement ces superficies et ont été suivis puis encadrés progressivement par le ministère de l'Agriculture par l'intermédiaire de la SODERIZ, de 1974 à 1977 ; la CIDT, de 1977 à 1988 ; la CIDV, de 1989 à 1993 puis enfin, par l'ANADER. Ces jeunes ont toujours entretenu de très bons rapports avec les différentes structures spécialisées du ministère de tutelle. Collaborations qui leur ont permis de connaître plusieurs succès, dans leurs travaux champêtres modernisés. Conscient de la crise généralisée et de la récession économique, Yabra s'est organisé en coopérative pour se prendre en charge, vu le désengagement de l'Etat. Ainsi, en 1990, Yabra s'est transformé en Petite et Moyenne Entreprise agricole (PMEA) afin de repartir sur une nouvelle base et redynamiser ses activités propres. Et pour y parvenir, des dossiers techniques et financiers ont été déposés et acceptés par certaines banques telles que la Banque africaine de Développement (BAD), le Conseil de l'Entente etc. qui ont donné leur accord de principe pour le financement et le suivi des activités des planteurs modernes de la Côte d'Ivoire. Selon les enquêtés, un exemplaire de ce dossier a été transmis au ministère de tutelle qui les a félicités. Désormais, conscients que le bonheur se trouve à portée de main, ces jeunes agriculteurs vont entreprendre des actions de développement à Yabra : Construction d'une (1) école primaire de 6 classes, d'un (1) dispensaire, de deux (2) églises, d'une (1) mosquée et d'une (1) garderie d'enfants Autant d'infrastructures réalisées sur fonds propres, par ces jeunes agriculteurs modernes. (Voir photos d'école et centre de santé). Ils ont également participé aux achats des logements en location-vente, à Yamoussoukro. "Yabra a fait de nous un tout. De la situation de démunis, nous sommes devenus riches en un laps de temps. Notre train de vie avait du coup changé et on se permettait de faire des vacances hors de notre Yabra, en toute confiance. Certains de nos amis qui avaient fui la formation, venaient régulièrement nous solliciter pour satisfaire à leurs besoins. En fait, nous étions aux anges. (Et ce), grâce à Feu Boigny qui malgré nos débuts difficiles, envoyaient régulièrement ses conseillers pour nous suivre et nous prodiguer de sages conseils. On était choyé par " Nanan ", le bélier de Yamoussoukro. Et nous avions en retour, l'obligation morale de réussir ce pari avec lui pour rehausser son image car, nombreuses étaient les personnes sceptiques qui, au départ, doutaient de la réussite du projet. Du moins, personne ne croyait en nous. Et les mauvaises langues disaient même que c'était un gâchis de plus ", se souvient M. Gueu Jeannot, chef du village de Yabra. Ces 200 jeunes, venus de divers horizons, ont définitivement élu domicile à Yabra, cadre spatial à eux donné par la République de Côte d'ivoire, après entretien et accord du peuple Baoulé Akouè de Yamoussoukro. Houphouët n'a-t-il pas dit publiquement que, " la terre appartient à qui la met en valeur " ? Ce qu'ont fait les agriculteurs modernes de Yabra. Tous leurs enfants y sont nés, y ont grandi, fréquentés. Aujourd'hui, 37 années après, certains de ces jeunes sont devenus des pères, grands-pères et arrières grands-pères. D'autres malheureusement, ont tiré leur révérence. Pour ces agriculteurs, " Feu Houphouët n'est autre qu'un bienfaiteur, un sauveur dont l'image grandiloquente reste à jamais gravée dans leur mémoire". Mais Yabra, ce cadre si paisible, enchanteur et accueillant au départ, va connaître au fil des ans, toujours sous le régime du PDCI, la descente aux enfers. Le si beau rêve d'antan va progressivement se muer en cauchemar, sous le règne du Sphinx de Daoukro, à partir de 1994 Difficultés des agriculteurs de Yabra. Convaincus que Yabra est devenu désormais un cadre incontournable pour eux, ces agriculteurs s'y sont investis au maximum et sans hésiter ou sans arrière pensée, pour participer à son développement. En améliorant leur condition de vie. L'époque joviale d'Houphouët prenanit fin en 1993. Une autre époque, celle de Henri Konan Bédié va s'installer, la même année. Berçant ces modèles (jeunes agriculteurs modernes) du chant du cygne. C'est le début de la fin d'un rêve, avec toutes les stratégies utilisées par les proches collaborateurs de l'homme fort de Prépressou : ministre, Directeur de Cabinet, Préfet de la Région des Lacs, Directeur régional de l'Agriculture et des Ressources animales des Lacs, sous-préfet du département de Yamoussoukro, Directeur départemental de l'Agriculture et des Ressources animales de Yamoussoukro et le Président Directeur général expatrié de la rizière du Bandama Des personnalités (dont les noms figurent sur les PV des rencontres avec les agriculteurs de Yabra) qui, à partir de 1993, se sont signalés, avec l'intention pour certains, d'exproprier ces jeunes infortunés abandonnés à eux-mêmes par Houphoueët-Boigny. Déjà, le 30 octobre 1993, M. Timité Amadou Ahmed ou Hamed, conseiller de M. Lambert Kouassi Konan, ministre de l'Agriculture et des Ressources animales, ouvre le bal. Il débarque à Yabra en compagnie d'un certain John Lee, présenté comme étant un opérateur économique chinois. Héliporté sur les lieux pour dit-on, "nous fournir une variété de riz à haut rendement dont dispose John Lee " déclare Gueu Jeannot, chef du village de Yabra. Avant de poursuivre : " Cette annonce a fait l'objet d'une réjouissance populaire car, nous nous sommes dits que l'Etat de côte d'ivoire, sous le régime de Bédié était en train d'?uvrer pour nous encourager davantage en nous aidant à atteindre le même objectif d'antan. Alors qu'au-delà de ce que nous pensions, un autre plan était mis en ?uvre pour nous vider comme des malpropres, des lieux ". Effectivement, cette liesse populaire n'a été que de très courte durée, vu l'évolution des faits, avec la deuxième visite du même conseiller, toujours en compagnie de l'asiatique John Lee. Mais cette fois-ci, "En voiture, quelques mois plus tard ", confie Philippe Bressoué un des agriculteurs modernes de Yabra. Ainsi le 12 septembre 1994, soit moins d'un an seulement après la mort d'Houphouët, M. Timité tient la population informée de l'installation de l'opérateur chinois sur " le périmètre des agriculteurs de Yabra, puisque le ministère de l'Agriculture et des Ressources animales lui a délivré un arrêté (N°0378/MINAGRA/SADR du 12 septembre 1994) de concession provisoire d'une durée de 5 ans " déclare le chef de Yabra. Indignés par de telles allégations, plusieurs oppositions par écrit ont été adressées au ministère de tutelle le 3 mars 1994. "La tutelle nous a adressé une lettre de félicitation et d'encouragement le 5 septembre 1994 et paradoxalement, le 12 septembre 1994 soit, 7 jours après le message de la tutelle, M. Timité fait signer un arrêté (ACP) au bénéfice de M. John Lee, pour l'installer sur notre site de travail : le périmètre agricole de Yabra. Depuis 1994, nous avons multiplié démarches et entretiens avec la tutelle et John Lee. Entre-temps, John Lee, en occupant l'espace de Yabra, a pris la décision de vider le barrage alimentant nos champs. Le litige que cela a orchestré, nous a valu des arrestations de la part de la gendarmerie de Yamoussoukro. Cinq (5) d'entre nous, ont été arrêtés. (Voir photo du corridor de John Lee) Après 21 jours à la gendarmerie de Yamoussoukro, nous avons été transférés sur Toumodi où nous avons passé 10 jours avant d'être relâchés. Puisque notre dossier était vide [et preuve d'une manigance]. Etant en prison, John Lee a poursuivi la destruction de tous nos champs d'ignames, de riz et de manioc en vidant le barrage comme il le préconisait au départ. Environ 80 hectares de riz détruits. Le Service domanial de Yamoussoukro (SADR) est venu faire un constat et a, par la suite, constitué un dossier. (Voir photo de bas-fond en friche). Le ministre Lambert Kouassi de la tutelle s'est rendu sur les lieux. Il nous a promis régler favorablement ce litige", affirme toujours le chef de Yabra. Et, depuis, rien. Exaspérés, ils se décident enfin de s'adresser à qui de Droit. D'où la marche organisée sur Daoukro.
La marche des
agriculteurs de Yabra sur Daoukro. Semblable à celle des épouses des cheminots de Dakar-Niger dans les bouts de bois de dieu avec toute la horde de souffrance que cela comporte, cette marche restera à jamais gravée (négativement) dans la mémoire des paisibles populations d'antan de Yabra. Populations actuellement à nouveau en quête de mieux-être, du fait des exactions et autres manigances du régime PDCI, très contesté à l'époque. Exposé aux larmes du soleil de plomb parce que venus de Yamoussoukro pour troubler le sommeil du Sphinx de Daoukro, ces agriculteurs qui ont fait leur preuve, ont été reçus dans la rue, par un ceretain Touré, Directeur de Cabinet de Bédié. Avec la promesse très ferme de les réinstaller sur le périmètre (litigieux) de Yabra. Message du Président Bédié à eux donné. De retour dans leur espace de vie, c'est une fois de plus un silence radio qui rythme leur quotidien. Ils ne voient rien venir (promesses). Une fois de plus, ils décident d'écrire au ministre résident à Yamoussoukro, le 7 octobre 1996. Aucune suite n'est donnée à cette correspondance. Tout le système est verrouillé. Et le sieur John Lee de son côté, s'adonne paisiblement à l'exploitation de leur espace, illégalement arraché et vendu, par le régime PDCI.
Aujourd'hui, ces paysans qui faisaient la fierté de Yabra et de toute la côte d'ivoire sont livrés à eux-mêmes, malgré leur savoir-faire. Ils n'ont plus de parcelles à exploiter pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs progénitures ou ascendants. La peuplade de Yabra qui croît à un rythme exponentiel gît, par ailleurs, dans une misère sans nom, du fait des politiciens du PDCI-RDA. C'est désormais un peuple réduit à néant où la famine, la pauvreté, la misère, le vol, bref, tous les maux sévissent. Ironie du sort, certains des leurs sont à nouveaux partis à l'aventure, parce que ne sachant que faire sur place. L'exode rural ou l'immigration. Ce sont les deux mamelles nourricières des désespérés de Yabra. Retour donc à cette même vie d'errance (naguère fui par leurs parents, en s'installant à Yabra) pour selon les partants, "tenter sa chance". La population de Yabra a donc considérablement diminué. Mais depuis l'extérieur, de leur lieu d'exil, ces personnes espèrent toujours revenir, un jour, pour reprendre leurs places abandonnées de force et s'adonner à nouveaux aux travaux champêtres.

Voici pourquoi Yabra a été vendu à John Lee, par le PDCI

A l'origine des faits, se trouvent la politique et la vengeance. En effet, le régime PDCI sous Bédié avait en son temps, souhaité installer une section dans le village de Yabra. Le chef Gueu Jeannot et ses collaborateurs d'alors, militants convaincus du Front populaire ivoirien (FPI), parti du Président Laurent Gbagbo alors vomi, ont dérouté le PDCI. Plusieurs démarches ont été menées par certains barons du parti cinquantenaire, en vain. Chef Gueu Jeannot et ses proches collaborateurs étaient des gens bien engagés dans le courant idéologique du FPI, leur parti politique. Après, des menaces ont vu le jour. Devant la fermeté des gens de yabra, une autre stratégie fut adoptée : celle de les chasser de leur site d'accueil. D'abord, en vendant cet espace à un expatrié dont la première venue sur le site s'est faite en hélicoptère, pour les intimider. Puis, la population baoulé (Akouè) avec qui ces planteurs vivaient en bonne intelligence, a été montée, pour réclamer "ses terres", "chasser" les "kangan", et autres étrangers, en faisant le jeu du chinois. Car, à en croire le chef, " John Lee avait promis à ses complices et alliés, du travail pour développer leur village. A cela s'ajoutent les promesses relatives aux travaux d'électrification des villages environnants. Quand nous avons été chassés, les cadres PDCI nous demandaient de rejoindre Mama, chez le Président, sous prétexte qu'il y a de la terre pour nous ". Toutes ses menaces, signes d'intimidation, n'ont pas eu raison de la grande confiance que ces populations placent en leur parti, le FPI. Cette situation qui n'est d'ailleurs pas la première du genre dans l'histoire des stratégies politiques du PDCI pour maintenir des populations sous son joug, a été vécue par nombre de peuples et fonctionnaires.
Lueur d'espoir. Avec le coup d'Etat de 1999 du Général Robert Guéi, John Lee qui a vu ses parrains du PDCI renversés, a fui le pays. Et depuis lors, Yabra est abandonné. Cet espace irrigué ne l'est plus parce que le barrage a séché. Les paysans qui ces derniers temps, commencent à revenir, veulent le remettre en valeur, pour leurs besoins. Mais ils demeurent toujours sceptiques, vu les tournures juridiques et les arrestations qui s'opèrent en leur sein. Que faire ? " Une rencontre avec le Président Laurent Gbagbo ", tel est le v?u des populations de Yabra , qui ne demandent qu'une chose : Travailler dans leurs champs ou leurs exploitations pris en otage par le PDCI.

Correspondant permanent à Yamoussoukro
Yam_leprince@yahoo.fr

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