samedi 25 août 2007 par Fraternité Matin

J'étais fonctionnaire des Postes et Télécommunications quand je jouais au football. Aujourd'hui je suis à la retraite et je me sens bien dans cette peau. Je vis de ma pension?. Celui qui tient ces propos, se nomme Yoro Alphonse, l'ancien ailier de charme de l'Asec Mimosas et des Eléphants de Côte d'Ivoire.
Malgré le poids des ans (61 ans), l'homme n'a rien perdu de son charme. Avec beaucoup de passion, l'Américain noir venu de Tezié, S/P Saïoua, égrène son passé et porte un jugement sur la génération actuelle et jette un regard sur l'avenir du football ivoirien. C'était le 22 août, à notre rédaction; donc loin de sa base de Koumassi Sicogi. En 1963, au sein d'une formation dénommée ESPOIR, une mosaïque de jeunes talents attire les foules. Entre autres, Laurent Pokou, Bazo Christophe, Guidi Edouard, Baï Secret, Akassou Akran et Alphonse Yoro. Les dirigeants de l'ASEC Mimosas de l'époque, séduits par les qualités de ces jeunes loups aux dents longues, réussissent à convaincre les dirigeants de l'équipe de l'Espoir de la pertinence d'une fusion. Cela donne Asec Juniors. Cette génération fera le bonheur du club Jaune et noir pendant plusieurs années. Yoro Alphonse, étonnant de classe et de culot, réussit son baptême du feu en Division 1, en 1965, contre l'Union Sportive des Clubs de Bassam (USCB). L'Asec l'emporte (3-0) au stade Géo André (devenu stade Félix Houphouet-Boigny). Une des réalisations porte la griffe de Yoro, le bout d'homme? venu de l'Espoir. J'ai servi l'Asec de toutes mes forces pendant plus d'une décennie (1965-1976). Au plan national, j'ai tout eu avec mon équipe. Cinq fois champion et vainqueur de la coupe nationale et une fois vainqueur de la coupe Houphouet-Boigny. Au plus fort de notre domination, nous avons, par quatre fois successivement (72, 73, 74 et 75), été sacrés champions de Côte d'Ivoire?, se souvient l'ancien international.
Yoro faisait partie des joueurs qui ne savaient pas tricher. Il avait un tempérament de gagneur. Il a surtout marqué de son empreinte les derbies Asec-Africa. Je n'ai jamais inscrit de but contre l'Africa mais j'en faisais marquer. Pokou et Yobouet en ont largement profité?, fait-il savoir. Pour Yoro, la rivalité Asec-Africa fait le charme du football ivoirien. Dans chaque camp, personne ne voulait perdre. Les consignes d'avant-match étaient strictes. Les dirigeants savaient motiver physiquement, psychologiquement et financièrement les joueurs. En fait, ce sont les supporters qui dramatisent cette rivalité. Partout où ils (Membres associés et Actionnaires) se retrouvent, ils se tirent dessus. Mais, entre les joueurs, c'était fair-play. Sur le terrain, on ne se faisait pas de cadeau mais après le match, on se retrouvait et dans une ambiance bon enfant, on se taquinait?, raconte l'ancienne gloire. Avant d'ajouter que ses parents et ceux de Bazo Christophe comprenaient mal leur appartenance à l'Asec. Pour certains, c'était inadmissible de voir de jeunes bété (en général les Bété supportent l'Africa) défendre crânement les couleurs de l'Asec face à l'Africa. Mais nous leur répondions que c'est un choix que nous assumions. C'est la loi du sport. Nous avions souvent essuyé des injures pour notre appartenance à l'Asec?.
SOUVENIRS
Son plus grand souvenir, c'est incontestablement son titre de meilleur ailier du continent au terme de la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) de 1970, à Khartoum (Soudan). Ce fut une grande consolation pour moi et pour toute la sélection ivoirienne. A cette Can, les Eléphants, par la qualité de leur jeu et de leur effectif, devaient monter sur la plus haute marche du podium. Mais, par la volonté du gardien de but ghanéen, Mensah, nous avons été éliminés en demi-finale par les Black-Stars (1-2). En match de classement, nous nous sommes imposés devant le pays organisateur. Par ailleurs, Laurent Pokou s'était adjugé le titre de meilleur buteur (6 buts)?. En fait, la première apparition de Yoro en équipe nationale date de 1968. C'était en compagnie des Kallet Bially, Laurent Pokou, Gnégnéry Denis, Losséni Diomandé, feu Akran Jean-Baptiste, Moh Emmanuel, Blé Théodore, Fanny Ibrahim, Gnakouri Joseph, Tahi François et Marc Gohi et autre. Avant de ranger ses crampons, Américain noir a participé à une troisième CAN, en 1974. Une malheureuse aventure car les Eléphants ont été éliminés dès le premier tour. L'Etat avait dégagé les moyens qu'il faut. Nous avons effectué un stage d'un mois au Brésil. Malgré le renfort de Pokou (qui évoluait en France), les Eléphants ont connu la désillusion. En trois rencontres, nous avons concédé deux défaites et enregistré un nul?, se souvient notre interlocuteur. Avec l'Asec, son club, Yoro n'a pas, non plus, été heureux au plan africain. Il retiendra des échecs de l'Asec, les douloureuses éliminations de l'équipe en 1973 et 1976 face au Hafia Fc de Guinée de Petit Sory, Chérif Souleymane, N'Djo Léa, Bernard Sylla, Papa Camara et bien d'autres. Nous possédions une belle équipe à l'époque mais la chance nous a tourné le dos. En 1976 notamment, au match aller, à Bouaké, l'Asec s'était largement imposée (3-0) mais, au retour, à Conakry, elle tombait lourdement (0-5), dans des conditions douloureuses, anti-sportives. Je n'ai pas pris part à cette rencontre?, raconte-t-il, le c?ur en peine. Yoro n'oublie pas également l'élimination de l'Asec par le Canon de Yaoundé en quart de finale. Je ne me souviens plus de la date. A Abidjan, l'Asec s'était imposée (3-1) et à Yaoundé, ce fut un cauchemar. Nous avions lourdement perdu. Ce jour-là, Marc Gohi, notre gardien, a été sauvagement agressé et a été ramené à Abidjan par un vol spécial. Même nos dirigeants d'alors dont Mamie Koko, n'ont pas échappé à la furia des Camerounais. Ils ont été frappés dans les tribunes?, explique Yoro. Bien que à la retraite, le meilleur ailier d'Afrique de 70 suit l'actualité sportive. Yoro suit l'évolution de la jeune génération de l'Asec. Avant la dernière journée de la phase de poules de la Ligue des Champions, il évalue les chances de son équipe qui se déplacera au pied des pyramides pour y croiser le fer avec le National Al Alhy. Les chances des Mimos sont réelles. Notre qualification ne dépend pas d'une autre équipe mais de nous-mêmes. Si l'Asec gagne, elle continue l'aventure. Dans le cas contraire, c'est l'élimination. Je pense qu'il faut faire confiance aux joueurs qui doivent aussi croire en leurs possibilités. S'ils mouillent le maillot et que la chance leur tourne le dos, on ne les brûlera pas. Il faudra plutôt tirer les leçons pour préparer l'avenir. Le sport n'est-il pas fait de victoires et de défaites??
Par ailleurs, Yoro n'impose pas un classement à l'entraîneur Liewig mais il lui suggère d'aligner des joueurs qui savent se battre, vaincre la pression. Je souhaiterais voir en attaque Umoh Emmanuel qui aura en soutien Iddrisu Nafiu. Dans l'entre-jeu (pas sur les côtés), Laby Kassiaty et Adegoké feraient l'affaire. Quand il évoluait à Enyimba, Adegoké était un milieu typique. Il ne jouait pas sur les côtés?, explique-t-il pour convaincre.
Enfin, Yoro pense que l'avenir du football ivoirien est prometteur. Cependant, il demande à la fédération d'organiser un championnat des jeunes. Sans cela, l'échec est inévitable.
Témoins de... son temps
Laurent Pokou(ancien joueur de l'Asec)
Un partenaire très appréciable?
Nous avons commencé ensemble à jouer, à Sol-Béni, précisément à l'Ecole régionale. Yoro fut un partenaire très appréciable. J'ai inscrit assez de buts sur des centres ou retraits de Yoro. Quand il dribblait, il avait la tête baissée. Alors que dans les écoles de football, on enseigne au joueur de lever la tête quand il contrôle un ballon. Malgré tout, Yoro s'en sortait. C'était un joueur clairvoyant, technique et capable d'apporter beaucoup à une équipe. Il était plus collectif et serviable. Dans la vie, c'est un garçon toujours calme. Son défaut sur le terrain, c'était sa lenteur et puis, il dribblait tête baissée (rires); mais cela lui réussissait?
Kouamé Lucien (ancien joueur du Stella)
Un tempérament de gagneur?
Yoro avait en lui, ce tempérament de vouloir toujours gagner. Cela donnait de l'allant à l'Asec. Yoro, c'était aussi l'esprit sportif. Il était collectif, bon dribbleur, altruiste et complémentaire. Bien que Bété, Yoro n'avait pas de complexe à jouer contre l'Africa. Il livrait ses grands matches contre cette équipe (en général, le bété est supporter de l'Africa). En dehors du terrain, il est bon enfant et respectueux. L'?il du chroniqueur : Talent et disponibilité
Phase finale de la Can 70, Gnaoré Bernard Patcheco, l'ailier de charme des Eléphants, est out pour la compétition. Peter Shinnigher, l'entraîneur de l'époque des Eléphants, décide de transformer Yoro Alphonse, le milieu offensif de l'Asec, en ailier droit. Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître. Le joueur étale tout son talent et est plébiscité meilleur ailier d'Afrique. Ce fut le plus grand souvenir de la carrière de l'enfant terrible de Tezié. La popularité de Yoro est partie de là. Formé à l'école de l'entraîneur et ancienne gloire de l'Asec, Ignace Wognin, Yoro a fait sien le tempérament de cet illustre personnage, durant toute sa carrière. Il fut un footballeur calme et très appliqué. Par ses dribbles étourdissants, ses crochets, ses retraits et son aisance et sa polyvalence, il a rendu beaucoup de services à son club et au football ivoirien. Son tandem avec Laurent Pokou (l'homme d'Asmara) a causé beaucoup de dégâts. En dehors du terrain, Yoro est un homme serviable, disponible, gentil. Fonctionnaire à la retraite, Yoro vit ses vieux jours dans la discrétion. Il reconnaît que le football lui a permis de tisser beaucoup de relations mais, au plan professionnel, affirme-t-il, le ballon rond lui a nui. Car à force de se consacrer à ce sport, Yoro n'a pas connu de promotion à la mesure de sa valeur, dans son entreprise.
Avec tous les services que j'ai rendus à la Côte d'Ivoire, je n'ai pas eu de décoration. Cela me fait très mal. J'espère que ce grand jour arrivera de mon vivant. Mais si ça doit être à titre posthume, ce n'est pas la peine?, avertit-il.
Bon à savoir
Admiration. Yoro Alphonse avait de l'admiration pour des dirigeants tels que feu Kamano Kata François, Lanzéni Coulibaly, Me Dervain (Asec), Me Mondon Konan Julien et Koffi Gadeau , Konan Kanga (Stade d'Abidjan), Lucien Yapobi (Africa). C'était des passionnés qui mettaient la main à la poche et qui étaient aussi très proches des joueurs?. Au niveau des joueurs, il y avait Laurent Pokou (rage de vaincre), Kallet Bially (clairvoyance, intelligence et technique), Dehi Maurice (dribble déroutant et frappe lourde), et Depognon Georges (grand attaquant), Tapé Aimé, Sery Wawa, Diagou Mathias, Konan Henri, Kouamé Lucien, Bedé Christian, Amanzoulé, Assé-mian Georges et N'Zi Apollinaire. Sans oublier les entraîneurs Santa Rosa (Brésilien) et Peter S. (Allemand). Avec Peter, c'était la rigueur et Santa, la technique?. Modestie. J'ai de la considération et du respect pour Dagobert Banzio, l'actuel ministre de la Jeunesse, du Sport et des Loisirs. Il est dynamique et humble. Je lui demande de continuer sur cette voie?, a dit Yoro.
Décès. Yoro est orphelin. Son père Semlin Georges et sa mère Gasi Blêhoua Jeannette sont décédés depuis une vingtaine d'années. Sobriquet. Yoro a été surnommé Américain noir parce que son teint clair ne ressemble pas tellement à celui des Africains du Sud du Sahara.
Digest
Nom et prénom: Yoro Alphonse
Age: 61 ans
Taille: 1, 67 m
Poids: 73 kg
Situation matrimoniale: marié et père de quatre enfants
Profession: footballeur
et fonctionnaire des PTT
à la retraite.
Club: Asec
Nombre de sélections: plus d'une cinquantaine.
Distinction: Meilleur ailier d'Afrique à la CAN de 1970

Jean-Baptiste Behi

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