jeudi 30 août 2007 par Le Matin d'Abidjan

Au moment où le pays amorce la sortie définitive de la crise sociopolitique qui l'a maintenu divisé en deux zones pendant cinq ans, l'on est curieux de savoir comment vivent les populations dans les localités aux mains des forces nouvelles. Surtout, on se demande si la réunification qui a été célébrée à Bouaké par le Président Gbago et le Premier ministre Soro Guillaume le 30 juillet dernier est une réalité. Tout comme la suppression de la zone de confiance et le redéploiement de l ?administration nationale. C'est à toutes ces questions que notre reporter a tenté de répondre après deux séjours récents dans le département de Danané, dans l'extrême ouest du pays. Carnet de route.

A la faveur de deux récents séjours dans l'extrême ouest du pays, nous avons pu prendre le pouls de la vie dans cette région qui a connu les pires atrocités au cours de la crise politico-armée. Aidé de mercenaires libériens, guinéens et sierra-léonais, le Mouvement patriotique ivoirien pour le grand ouest (MPIGO) parvient à chasser les forces gouvernementales, de la région, au terme d'intenses combats qui ont débuté à Danané le 28 novembre 2002. La guerre dans la région a été très difficile, favorisée par la proximité du Liberia et de la Guinée, deux pays qui partagent des frontières poreuses avec la Côte d'Ivoire. Très vite, les mercenaires libériens s'imposeront comme les vrais patrons du département de Danané, tenant en otage les populations qui ont souffert le martyr pendant de longues années. Cinq ans après, les traces de la guerre et ses conséquences sont très visibles dans la région. Tant sur les infrastructures publiques qui présentent un état de dégradation avancé que sur les visages profondément marqués par la misère grandissante ; les populations ayant été délestés de la quasi-totalité de leurs biens et de leurs moyens de production.

Libre circulation ? Repassez demain
Le voyageur qui arrive pour la première fois dans la région de Danané, en pleine zone assiégée, est surtout curieux de constater sur le terrain, l'impact de la suppression de la zone de confiance et de la cérémonie de la flamme de la paix qui s'est déroulée le lundi 30 juillet dernier à Bouaké. C'est donc avec beaucoup d'intérêt que l'on franchit le dernier barrage des forces de défense et de sécurité dans la région de Duékoué, pour s'engouffrer dans la zone de confiance. Première destination, la ville de Bangolo. Le véhicule commence alors à rouler à vive allure au point que nous nous ne pouvons nous empêcher d'interpeller le conducteur, vu le taux élevé des accidents de la circulation sur nos routes ces derniers temps. ''Sur ce tronçon, c'est ainsi qu'il faut rouler si vous ne voulez pas être la cible des coupeurs de route qui continuent de sévir dans la région malgré les patrouilles de la brigade mixte'', répond le chauffeur du car. Son témoignage est appuyé par les autres voyageurs qui citent plusieurs cas où des véhicules sont tombés sur des barrages érigés sur ce tronçon par les malfaiteurs. La peur au ventre donc, surtout qu'il faisait déjà nuit ce 26 août 2007, nous traversons les différentes localités nous séparant de la zone rebelle. Au dire de certains passagers, des coupeurs de route auraient même ouvert le feu sur des véhicules de patrouille du contingent bangladeshi de l'ONUCI qui escortaient des véhicules de transport avant la décision de suppression de la zone de confiance. Les casques bleus auraient replié devant la puissance de feu des malfaiteurs, armés de kalachnikovs, de fusils calibre 12 et ayant pour eux la parfaite connaissance du terrain. Quand nous abordons le premier barrage des forces nouvelles situé à Logoualé, nous poussons un ouf de soulagement, ayant en notre possession un document censé nous faciliter la suite du voyage. Il s'agit d'un ''laisser-passer'', un papier très important pour circuler dans la région, surtout quand on est homme de presse. Mais malgré le sésame, les tracasseries ne manqueront pas, même si les hommes de Soro Guillaume, dans cette localité, reconnaissent avoir reçu le signalement de notre véhicule et de ses occupants. Car pour chaque véhicule, le numéro d'immatriculation, le type, la couleur, le nombre et l'identité des occupants, mais aussi l'objet du voyage sont communiqués au moins un jour avant à la direction des forces nouvelles. Celle-ci, après appréciation, informe le commandement du secteur Danané via la radio ou le téléphone. N'empêche, nous passerons près d'une heure à ce premier barrage à parlementer avec les rebelles qui s'expriment dans un français de petite facture. C'est le silence total quand un des responsables du poste ordonne au conducteur du car de faire entrer le véhicule dans la cour de l'école qui leur sert de bureau, et où d'autres cars sont déjà stationnés. Heureusement, il y aura plus de peur que de mal après les échanges entre le chef de la mission et les rebelles, suite à quelques coups de fil donnés ici et là. Aussitôt, le ton qui était plus autoritaire au niveau des FN change. ''Les tontons, les tanties, voici vos fils. Ils ont faim, ils sont là pour votre sécurité. Nous sommes là pour votre sécurité, donnez-nous le prix du thé'', entend-on. Quelques pièces suffiront pour contenter les jeunes combattants mal chaussés pendant que les chefs de poste, eux glissaient dans la poche, les billets à eux remis discrètement par l'apprenti-chauffeur. Nous pouvons alors poursuivre tranquillement le voyage avant d'atteindre le prochain barrage où il faudra se plier au même rituel. On se rend alors compte que la réunification, la liberté de circulation des biens et des personnes tant évoqué dans les discours officiels, ne vont pas au-delà des mots. Et cela, malgré la volonté des cadres de la région de faire en sorte que la vie reprenne son cours normal dans cette partie du pays.

La leçon de Fologo aux soldats FN
Aucun véhicule n'échappe à ces contrôles, surtout quand les FN constatent qu'il arrive d'Abidjan. Cela, des agents du ministère de la Solidarité et des Victimes de guerre pourtant tenus par le secrétaire général adjoint des FN, M. Dakoury Tabley, l'ont appris récemment à leurs dépens. Croyant que le seul nom du ministre suffisait pour convaincre les hommes en armes, ils seront surpris de se voir réclamer le fameux papier. Ce, alors qu'ils étaient en partance pour Danané qui abritait ce week-end là, l'une des cérémonies officielles de la deuxième édition de la fête de la solidarité. Une fois à destination, le chef de délégation prendra les attaches nécessaires au niveau du commandement des FN dans la ville, afin de se procurer le précieux document avant le voyage retour. Trois semaines plus tôt, le président du conseil économique et social, M Laurent Dona Fologo avait lui-même fait les frais des agissements des ''barragistes'' qui donnent nettement l'impression de ne pas être concernés par le processus de paix en cours dans le pays. Par deux fois, le cortège de Fologo qui était en route pour Zouan Hounien où il devait présider une cérémonie de sensibilisation sur l'accord de Ouaga sera contraint de marquer un arrêt face à l'intransigeance des soldats FN. On était à la veille de la cérémonie de la flamme de la paix ; et le président d'institution était accompagné du ministre d'Etat Bohoun Bouabré, des ministres Hubert Houlaye, Bleu Lainé et Pierre Kipré, ainsi que de directeurs centraux d'administration. Ce jour-là, le père du sursaut national avait dû contenir sa rage face aux hommes en armes qui lui demandaient de présenter un laisser-passer pour être autorisé à poursuivre son voyage. Néanmoins, il n'a pas manqué d'exprimer son étonnement à ses interlocuteurs. ''Il n'y a pas de laisser-passer en Côte d'Ivoire et je n'ai pas besoin de papier pour circuler dans le pays, pour aller à la rencontre de mes parents pour semer les grains de la réconciliation nationale. Le pays est réunifié, la guerre est terminée. Permettez aux fils de la région de retourner auprès de leurs parents pour créer avec eux les conditions de la normalisation de la vie et de la reconstruction nationale'', leur avait-il lancé. Touchés par les propos de L.D.F, les tenants du corridor finiront par baisser garde et ouvrir le passage.

Le MPIGO aux commandes
Une fois à Danané, l'on est surpris de constater que le Mouvement patriotique ivoirien pour le grand ouest (MPIGO) existe toujours et que ce sont ses hommes qui tiennent en fait la ville. Alors qu'après les combats qui ont eu lieu en 2004 entre les mercenaires libériens qui régnaient en maitres sur la région, et les hommes de Chérif Ousmane qui ont réussi à s'imposer, l'on croyait que le MPIGO avait été chassé de la ville. Que non ! Le com'secteur, le ''capitaine Eddie'', un natif de Bin-Houyé (une des sous-préfectures du nouveau département de Zouan Hounien) qui a acquis ses galons au Liberia et en Sierra Leone, est bien le patron de la ville. Même si les responsables des FN jouent bien le jeu, il reste que dans les faits, la présence du préfet Konaté, du secrétaire général de la préfecture et de leurs collaborateurs dans la ville n'est que symbolique. Tout comme la mairie qui ne fonctionne pas même si la décision de redéploiement des maires a été prise et que M. Méhamin Gbato, premier adjoint dans le conseil municipal sortant a été désigné pour assumer les fonctions de premier magistrat de la ville, jusqu'aux prochaines élections, a été officiellement présenté aux populations. Idem pour le conseil général qui a délocalisé ses bureaux à Zouan Hounien, en zone gouvernementale. A ce jour, les résidences du préfet, du sous-préfet et du secrétaire général de la préfecture ne sont donc pas disponibles et ces administrateurs sont contraints de résider à l'hôtel où ils tiennent en même temps leurs bureaux. Une position donc inconfortable pour ces responsables qui se présentent beaucoup plus comme des chefs de pacotille.

Les bâtiments publics ou privés toujours occupés ou hors d'usage
Les bureaux du commandement du secteur FN dans la ville, sont situés dans les locaux de la préfecture quand le secrétariat du MPIGO lui est localisé en face du lycée moderne, dans une villa appartenant à un particulier qui ne peut juqu'à ce jour rentrer en possession de son bien. Outre ces bâtiments, le patrimoine immobilier de l'Etat et des maisons qui sont la propriété de privés continuent de rester aux mains de la rébellion. Notamment les travaux publics, le commissariat, la brigade de gendarmerie, la poste etc. En clair, l'injonction du premier ministre Soro Guillaume aux responsables de la rébellion de libérer les bâtiments publics ou privés qu'ils continuent d'occuper est restée ici lettres mortes. Elle n'a même pas connu un début d'exécution. A Mahapleu, une sous-préfecture du département, c'est la même situation; la plupart des maisons occupées ici, sont dans un état acceptable. Pour le reste, ce sont des maisons décoiffées, délestées de tout meuble; même les cadres des fenêtres et des portes ont été emportés quand ils ne jonchent pas les rues de la ville. Un décor qui rappelle la guerre. Le bâtiment abritant les bureaux de la CIE, en piteux état, prévient le visiteur quant au spectacle de désolation qui l'attend dans la ville. La plupart des villas cossues de la ville et des édifices comme les bureaux de Côte d'Ivoire TELECOM ont été pillés et servent aujourd'hui de logement aux combattants FN qui portent à longueur de journée leur tenue militaire, le seul moyen pour eux de gagner leur pitance. Le bâtiment de la justice qui a gardé une apparence royale est envahi par la broussaille. Ses occupants sont obligés de jouer des coudes pour se frayer un chemin pour y accéder.

La désillusion des Combattants
En cinq ans d'occupation, la ville de Danané a vu défiler sur son sol différentes couleurs de treillis. Mais aujourd'hui, c'est la désillusion au sein du groupe, tant la misère se lit sur les visages des combattants, réduits à mendier pour survivre. Tenaillés par la misère, ils n'ont que faire des ordres de la hiérarchie une fois aux barrages. Car c'est là qu'ils viennent chercher leurs primes. ''Regardez comme ils souffrent. Ils pensaient qu'on allait tous les intégrer dans l'armée car c'est ce qu'on leur a fait croire. Aujourd'hui, ils ont honte de marcher dans la rue. Ils ne savent même pas ce qu'ils vont devenir demain alors qu'ils ont femme et enfants'', nous lance, le sourire en coin, un homme qui venait à l'instant d'écouter un groupe de policiers FN mal habillés, lui racontant leur misère. Prolixe, il nous apprendra que les combattants FN de l'Ouest, notamment ceux du MPIGO, sont marginalisés au sein de la rébellion. Le MPCI traiterait mieux les nordistes par rapport aux Yacouba. Dans la région même de Danané, les postes de responsabilité seraient ainsi confiés en majorité aux combattants originaires du nord du pays. Chez les dozos, qui occupent le bâtiment des eaux et forêts et baptisés ''forces spéciales dozos'', c'est la désolation. Beaucoup d'entre eux avec lesquels nous avons échangé longuement dans un cabaret, au tour d'un pot de vin de palme, disent avoir perdu leur temps. Surtout, ils soutiennent que si les jeunes peuvent compter sur le service civique proposé par Laurent Gbagbo, eux sont des laissés pour compte. Peut-être qu'à la fin du processus de paix l'on songera à leur donner des primes, rêvent-ils.

Le règne des ONG nationales et internationales
Plus de quarante ONG occupent le terrain dans la seule ville de Danané, chacune ayant trouvé un crédo particulier pour apporter son soutien aux populations. Parmi elles, moins d'une dizaine dit-on sont dynamiques. Celles-ci ont aidé véritablement les populations à tenir au moment où les structures de l'Etat étaient totalement inexistantes dans la ville. Il s'agit des Ong ''Soutien'', ''Paho'' et ''Sagec'', ''kanon'' assistance et la plupart des structures opérant dans le domaine de la lutte contre le vih Sida. Concernant la pandémie du siècle, les témoignages indiquent un taux de séroprévalence nettement supérieur au taux national qui est de 12%. Selon le responsable d'une ONG qui a requis l'anonymat, les statistiques établies sur la base des données fournies par l'hôpital général de la ville et des ong internationales comme ''Médecins sans frontières'', la moyenne se situe autour de 25%. Un pourcentage alarmant quand on précise que c'est seulement lorsque l'état de santé l'exige qu'on demande en général aux patients de faire le test du vih. Et c'est cet échantillonnage qui donne ce pourcentage. Il reste donc évident que si l'on soumettait l'ensemble de la ville au test, le résultat sera plus élevé. D'où la sensibilisation accrue, observée sur les dangers que constitue ce fléau, par les Ong. Et la distribution gratuite aux populations et aux hôtels de la place de quantités importantes de préservatifs. Il faut dire que la misère grandissante dans la région contribue à accentuer la propagation du Vih. Car les jeunes filles sont souvent contraintes de se livrer au premier venu pour espérer avoir le minimum, c'est à dire s'offrir une toilette ou satisfaire un quelconque besoin. Aujourd'hui, tout le monde croit fermement que la paix arrive dans cette ville, même si l'on reste encore très prudent. Ici et là, des initiatives privées naissent et chaque week-end enregistre son lot des cades et fils de la région qui reviennent sur la terre de leurs ancêtres, pour nombre d'entre eux, pour la première fois depuis plus de cinq ans. Le transport coûte cher, essentiellement à cause des tracasseries. En témoigne le tronçon Danané-Zouan Hounien, sur un trajet de quarante kilomètres au total, d'un bitume en très bon état, pour lequel il faut débourser 1500 cfa. Un coût largement au-dessus des moyens des populations qui n'arrivent même plus à s'offrir le minimum. Des agriculteurs essaient de s'unir en coopérative pour se donner une chance de voir les productions écoulées dans de meilleures conditions. C'est le cas de la Coopérative des agriculteurs professionnels de Danané (CAPROD) qui réunit plus de 13500 producteurs de la région. Pour la campagne actuelle, les paysans espèrent qu'ils pourront bénéficier du système des magasins généraux annoncé par le pca de la BCC, M Tapé Do. Ils espèrent mettre fin à la fuite du café-cacao ivoirien vers le Liberia et la Guinée. Car depuis le début de la guerre, les taxes énormes que la rébellion impose aux acheteurs qui s'aventurent dans la région sont très élevées et ne leur laissent aucune marge de man?uvre. Ce sont donc les acheteurs libériens ou guinéens qui s'offraient les productions de la région. En somme, la fuite des productions est réalité dans cette région. Si rien n'est fait pour changer la donne, la totalité de la production de cette année pourrait prendre ces mêmes destinations. Car le PCA de la BCC qui avait donné l'espoir aux producteurs de l'extrême ouest a dit attendre la fin de la guerre avant d'investir la région. Aujourd'hui, la CAPROD a décidé de convaincre les paysans à s'intéresser davantage à la culture de l'hévéa beaucoup plus rentable et qui pourrait permettre d'améliorer sensiblement les conditions de vie des populations. Beaucoup d'autres opérateurs rencontrés s'apprêtent à reprendre leurs activités sur place, mais ils disent dans l'ensemble attendre le retour définitif de l'administration nationale. Au niveau de la mairie et du conseil général, des travaux d'évaluation sont déjà en cours sur le terrain pour enregistrer les priorités en attendant le décaissement par l'Etat de leurs budgets de fonctionnement. La situation est identique en ce qui concerne les mairies de Bin Houyé et de Zouan Hounien qui sont pourtant passées aux mains des forces gouvernementales depuis 2004. Au total, pour cette région qui a subi les pires atrocités au cours de la guerre, c'est un plan Marshall qu'il faut pour sa reconstruction. Surtout qu'elle regorge de ressources naturelles et minières importantes qui n'attendent que d'être exploitées. Pour le bonheur des populations et de l'ensemble du pays.

Emmanuel Akani,
Envoyé spécial à Danané et Zuan Hounien.
manuakani@yahoo.fr. Photos : Ipeca

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