mardi 11 septembre 2007 par Fraternité Matin

Manque d'entretien, indiscipline de la population, laxisme des pouvoirs publics sont les principales causes de la dégradation des routes. Flottilles de nids-de-poule, petites tranchées, pans d'eaux usagées ou de ruissellement, les plaies des chaussées abidjanaises sont légion. Chaque quartier, y compris ceux supposés abriter la classe bourgeoise du pays; ou même, ceux nouvellement construits ne sont pas épargnés. Abidjan est une ville pleine de paradoxes! Ces dernières années, ses routes macadamisées se rétrécissent comme peau de chagrin, alors qu'elle fourmille de véhicules de luxe. Le spectacle de véhicules roulant pare-chocs contre pare-chocs se voit partout dans la ville. En effet, vue de loin, la marée de véhicules neufs mêlés aux tacos, fondus en un seul corps traversant la zone sable de Yopougon? un lieu où la chaussée dégradée cumule à la fois nids-de-poule et tranchées ainsi qu'une mare d'eaux de ruissellement - pour ne prendre que cet exemple, projette l'image d'un géant mille-pattes slalomant par endroits pour éviter des obstacles et se déséquilibrant ailleurs, lorsqu'il s'enfonce malencontreusement dans un fossé. Jurons, imprécations, invocations de toutes sortes, coups de gueule mêlés aux klaxons, alourdissent l'ambiance déjà surchauffée par les ronflements de moteur et les épaisses fumées qui s'échappent des pots d'échappement des véhicules cherchant à se frayer un passage aux heures de pointe. Denos Amani, cadre dans un établissement financier, emprunte ce tronçon au moins deux fois par jour. Il a déjà changé des amortisseurs avant de sa Toyota Carina E de seconde main à deux reprises en une année. Je sais que ce n'est pas ce seul endroit qui est à la base de ces pannes mécaniques. Mais je soutiens que pour un véhicule que je ne conduis pas sur des pistes villageoises, changer deux fois d'amortisseurs en une année, donne des inquiétudes sur l'état de nos routes à Abidjan, se plaint Denos. De toutes les façons, ce n'est la faute à personne. Avec la guerre, on devrait s'attendre à cela, conclut-il. La guerre, la parfaite excuse pour expliquer le défaut d'entretien des routes. Adams, le conducteur d'un mini car communément appelé gbaka que j'ai emprunté afin d'échanger avec un chauffeur en situation sur ce tronçon, vient de sortir vainqueur d'un duel engagé contre un bus express de la SOTRA. L'enjeu était de conquérir la partie quelque peu praticable de cette portion de la route. Nous sommes habitués aux mauvaises routes à Abidjan. Quel que soit le quartier dans lequel tu te trouves, tu parcours 10 m de route dégradée après avoir fait 20 km de bonne route, explique, résigné, ce jeune chauffeur, bien plus préoccupé à gagner des clients qu'à disserter sur l'état de la route. La route de Sable-là, peut-être que c'est en 2012 qu'ils vont l'arranger. Parce que tant que le pays n'est pas redevenu normal, personne ne va s'intéresser à ça. Et puis le Maire d'ici, lui, il préfère faire les monuments, ajoute-t-il.
Autre lieu, même réalité. A Youpougon SIDECI, l'unique pont qui relie ce quartier à Niangon, ne laisse aux usagers qu'un bout de terre qui demande, pour l'emprunter, patience et adresse pour ne pas finir dans le fossé. Ici comme ailleurs, l'embouteillage s'étend sur près de deux kilomètres. Sur le bas côté, à hauteur du Palais de justice de Yopougon, un homme en costume gris (qui s'est emporté quand je lui ai demandé son prénom) a immobilisé sa voiture. Visiblement énervé et affolé à la fois à la vue de la fumée qui sort de l'avant de sa voiture, l'infortuné s'échinait à refroidir le moteur de son véhicule qui sentait le brûlé. Le moteur chauffait un peu et puis avec l'embouteillage, l'eau est finie dans le radiateur, lance-t-il sans me prêter plus d'attention.
Plus loin, un chauffeur de wôro-worô déploie tout ce qui lui reste d'énergie pour tenter de ranger son véhicule en panne sèche. Si ce n'est pas à cause de l'embouteillage, j'aurais atteint la station d'essence de Niangon-Nord où j'ai mon bordereau, tente-t-il de se justifier.
Un peu plus en arrière, perdu dans une marée de wôro-wôro peints en bleu, le conducteur d'une Peugeot 406 bordeaux, un quinquagénaire, cheveux grisonnants, explique au téléphone à son interlocuteur qu'il est bloqué dans un embouteillage et qu'il devra remettre au lendemain leur rendez-vous. Le bruit ambiant est si fort qu'il est obligé de crier pour se faire entendre. Une fois, son téléphone portable raccroché, il parvient à se défaire de l'étau de l'embouteillage, au prix de difficiles man?uvres; il fait ensuite demi-tour, et s'en va. A quelque cinq cents mètres de l'endroit d'où il venait de partir au niveau du carrefour Saguidiba qu'il devra encore affronter se trouvent tapissées sur son chemin, des crevasses les unes plus profondes que les autres.
En fait, ce qui change d'une route à l'autre, c'est l'ampleur de la dégradation.
Par exemple, au niveau du tronçon partant du carrefour Williamsville à celui du quartier Paillet, les eaux de ruissellement et le sable ont entièrement détruit le bitume mettant la route presque hors d'usage. Et quand il vient à pleuvoir, cette route est impraticable. Aux heures de pointe, ou quand il pleut, je préfère passer par les Deux-Plateaux pour rentrer chez moi. Les gbaka en font autant. Ils passent par les Deux-Plateaux pour sortir vers le Zoo. C'est un long détour, mais c'est plus sûr, si tu ne veux pas noyer ton moteur, déclare Ange, un habitant du Plateau-Dokui.
La hantise de voir son moteur noyé est plus présente sur la route très passante d'Alepé, à la hauteur du Monastère d'Aboboté. Là, un étang a entièrement envahi la chaussée. Les uns après les autres, les automobilistes s'enfoncent dans cette eau fangeuse, tout inquiet. Le sommet de ce parcours du combattant se trouve à la sortie de cette mare dans le sens Abobo- Baoulé / Abobo Sans-Manqué. Des cuvettes creusées on ne sait comment, rétrécissent la chaussée à ce niveau, à tel point que les véhicules venant en sens inverse sont obligés de se fondre en une seule ligne. Formant ainsi un n?ud âprement disputé par les chauffeurs de taxis communaux et de gbaka, toujours pressés de mener leurs clients à destination. Aussi, est-il courant de voir les véhicules particuliers suffisamment audacieux pour affronter ce goulot, passer plusieurs minutes à négocier un passage moins risqué.
A côté de tout cela, les fossés disséminés ici et là sur la chaussée des principales voies, en de grossiers pièges, qui se sont plusieurs fois refermés sur des automobilistes, qui ont perdu le contrôle de leurs véhicules en voulant les éviter.
Pourtant, à voir le peu d'empressement et d'intérêt des autorités en charge des routes, on en vient à penser que cette question ne fait pas partie de leur priorité. Idem pour les hauts cadres de l'Etat en général, reconnaissables à leurs voitures rutilantes. Le seul signe de prise de conscience de cet état de fait ? si ce n'est un effet de mode - semble être la prolifération des véhicules 4X4 haut de gamme dans les milieux riches. Ecoute cher ami, ce n'est pas moi qui fais les routes. Et puis, actuellement on a d'autres soucis que ça, estime un cadre de l'économie et des finances, avec qui j'ai évoqué les difficultés qu'on rencontre à circuler à Abidjan d'un côté, et de l'autre, la prolifération de véhicules tout terrain dans les milieux riches. De toutes les façons, il faut reconnaître que nous sommes toujours en avance sur beaucoup de pays africains, en matière de voirie, malgré les dégradations des chaussées dont tu parles, précise-t-il.
Sébastien Yao, chauffeur de wôrô-wôrô sur la voie Abobo-Baoulé, va plus loin. Les trous et l'eau sur la route peuvent noyer le moteur ou bien fatiguer les amortisseurs et les ressorts. Les routes nous gênent un peu, mais ce n'est pas ça notre problème. Ce sont les policiers qui nous fatiguent. C'est tout. Ce qui est sûr quand ils auront fini de se remplir les poches, ils vont s'occuper de ça, tranche-t-il. Ils, c'est le ministère des Infrastructures économiques à travers l'Agence de gestion des routes (AGEROUTE), les Districts, les Conseils généraux, et les Mairies.
L'entretien, le contrôle de la réparation des routes etc, sont autant de tâches qui leur sont dévolues. L'exécution approximative de ces prérogatives est à la base des fossés sur la chaussée, des caniveaux bouchés, de l'eau qui stagne sur la route. (Voir encadré sur les causes de la dégradation de la voirie). Je ne veux pas incriminer une administration ou une autre. Mais ce qu'il faut retenir, c'est qu'on a de sérieux problèmes financiers. Nos collègues qui s'occupent de l'entretien routier ne reçoivent pas assez d'argent pas même pour les études, à fortiori reconstruire les routes, souligne M. Atsé Parfait, Directeur des routes et du transport au BNETD.
Un avis partagé par le Directeur des infrastructures routières, qui, tout en reconnaissant que le budget d'entretien des routes est insuffisant, préconise néanmoins un programme pluriannuel d'entretien de la voirie.
Les budgets qui sont mis en place pour l'entretien des routes sont mis à leur disposition (Ageroute, District, Conseil général et Mairie Ndlr). C'est vrai que ces fonds ne leur permettent certainement pas de tout faire en même temps, mais ils doivent faire des programmes pluriannuels. Cela permet de démarrer par les voies qui sont les plus dégradées et ainsi de suite, estime M. Kongo Beugré. Combien l'Etat consacre-t-il à l'entretien des routes? Je ne peux pas vous répondre avec précision, soutient le Directeur des infrastructures routières qui nous renvoie à l'Ageroute et au Fonds d'entretien routier. Deux structures au c?ur de la construction et de l'entretien des routes.

Pourquoi Abidjan perd ses routes?

Pourquoi Abidjan, perd-elle ses voies bitumées? En général en Côte d'Ivoire, la durée de vie des routes est de 15 ans, explique M. Atsé Parfait, directeur des infrastructures et du transport au BNEDT. Mais, il faudrait qu'elles soient entretenues pour que ce délai tienne.
Les routes, lorsqu'elles sont construites, bien circulées et entretenues, les premiers nids-de-poule apparaissent autour de la huitième ou neuvième année, souligne, M. Atsé. Or, la quasi-totalité des routes d'Abidjan manque d'entretien. Par entretien, précise l'expert du BNEDT, il faut entendre le drainage des caniveaux et autres fossés par lesquels l'eau usée est évacuée, ainsi que le nettoyage de la chaussée elle-même.
En outre, souligne M. Atsé, depuis 1994, soit depuis 13 ans, les voies de la ville d'Abidjan n'ont pas bénéficié d'un véritable programme de renforcement capable de leur redonner vie. Une situation accentuée par la conjoncture défavorable induite par la crise que vit la Côte d'Ivoire depuis 2002.
Outre ces causes naturelles, les manifestations accompagnées d'incendie sur la voirie constituent l'un des facteurs importants de dégradation des routes. La voie menant à Abobo Samaké par le Zoo porte par endroits, surtout dans les environs du rond-point de Samaké, les stigmates des protestations de rue. En forme de cuvettes, plusieurs trous sont creusés sous l'effet de l'eau de pluie qui a profité du désenrobement du bitume causé par les pneus qui y ont été brûlés.
Par ailleurs, Il est courant de voir des individus, le torse nu, excaver des tranchées dans la chaussée et les refermer précipitamment. Or, un fossé creusé dans une chaussée bitumée ne se ferme pas n'importe comment et pas avec n'importe quel matériau, s'accordent les experts. Malheureusement, ces opérateurs ne s'attachent pas les services d'un spécialiste qui pourrait les conseiller utilement ? pour éviter de payer cher - et colmatent ces trous avec des matières qui subissent rapidement l'érosion pour laisser apparaître ces fossés en forme de tranchées un peu partout dans la ville. En définitive, les routes d'Abidjan disparaissent, parce qu'elles ont presque atteint leur limite d'âge, en plus du manque d'entretien.
Fortunes diverses. La plupart des petits accidents, avec bris de feux avant ou arrière des véhicules qu'on nous envoie ici, sont causés par des coups de frein brusques pour éviter les trous sur la chaussée, témoigne Yao K., garagiste à Yopougon. L'état des routes amène les automobilistes, notamment ceux qui font le transport en commun, à faire des modifications sur leurs véhicules. Ainsi est-il courant de voir monter à l'avant et à l'arrière des taxis communaux des pare-chocs en fer à l'image de ceux qu'on trouve sur les véhicules 4X4. Les modifications concernent également les suspensions de ces voitures. Les trous sur les routes nous font beaucoup de mal, se plaint Ousmane, chauffeur de taxi worô-worô. Nous sommes obligés de modifier nos amortisseurs pour qu'ils tiennent un peu. Tu vois, ma voiture est un peu plus haute; j'y ai fait adapter des amortisseurs, sinon, je ne peux pas rouler dans ces trous, poursuit-il, alors que nous traversons une série de nids-de-poule et de crevasses à la hauteur du carrefour Akadjoba à la SIDECI à Yopougon.
L'état des routes est aujourd'hui un facteur de nuisance sociale: si ce sont les pannes seulement, on peut comprendre. Mais le plus grave c'est que j'ai un ami qui a été braqué la dernière fois dans un endroit pareil à Koumassi. C'était tard dans la nuit et il était obligé de ralentir. Les bandits en ont profité pour le braquer, explique Anicet, chauffeur de taxi compteur, dans un mauvais français servi sur un ton de colère. Au sable même, les policiers font la même chose. Ils viennent s'arrêter dans les trous pour intercepter les Wôrô-wôrô. Et pourtant, l'état des routes ne fait pas que des malheureux. La dégradation des chaussées semble faire l'affaire d'autres personnes. Il s'agit de jeunes sans emploi qui rançonnent aux usagers après avoir rempli les nids-de-poule de gravats pour faciliter la circulation des automobiles. Nous ne gagnons pas grand-chose, mais si on a la chance, on peut avoir 5000F CFA, déclare Nicaise que nous avons rencontré au Deux-Plateaux Vallon sur un de ces sites chaotiques. Nicaise est arrivé là ce mercredi 11 juillet, à 7 heures du matin, accompagné de Florent, un ami avec qui 0 il partage une chambre exiguë à Gobélé, un quartier précaire situé dans un bas-fond à quelques encablures de Attoban. Il raconte, impassible, les injures qu'ils essuient de certains conducteurs quand ils tendent la main pour recevoir une pièce en guise de récompense pour avoir rendu ces routes un peu praticables. Quand ils font cela, ça ne nous dit rien parce que nous savons que les gens ont trop de problèmes actuellement. Mais il y a d'autres personnes qui nous donnent parfois même mille francs CFA. Surtout les femmes, commente-t-il, les yeux rivés sur une BMW, qui arrive à sa hauteur. Il n'a pas le temps d'aborder le conducteur du bolide qui passe, sans ralentir, cette partie de la route, toujours difficile à pratiquer, malgré l'action des jeunes bénévoles. Tu as vu Tonton, ceux-là n'ont pas de problème avec les trous. Donc, ils ne nous regardent même pas, souligne Florent, le compagnon de Nicaise.
Ainsi, tout comme ce conducteur, plusieurs automobilistes sont indifférents à l'état de la route! Le temps que nous avons passé là, en compagnie de ces jeunes, nous a permis permettre de nous rendre à l'évidence que si les nids-de-poule sont de véritables cauchemars pour les petites voitures, ils ne font ni chaud ni froid aux chauffeurs des véhicules de type 4X4. Travaux sur la chaussée . Les textes ne sont pas appliqués
Au district d'Abidjan, c'est la sous-direction voiries et assainissement qui s'occupe de ces questions. Selon elle, la procédure veut qu'avant de creuser des tranchées sur les voies urbaines, une demande d'autorisation soit adressée au gouverneur. Laquelle est imputée au final à cette sous-direction qui délivre le permis. Ce document, expliquent les techniciens du district, comporte des informations sur les caractéristiques de la voie concernée, notamment sur le goudron.
En outre, il est signifié au requérant de ne payer l'opérateur qui a effectué les travaux que si les services techniques qui les ont autorisés certifient que la réparation a été faite selon les normes. Car, si d'aventure, le district devait se plaindre de la qualité de la réparation, c'est le commanditaire des travaux qui serait poursuivi.
Pourtant, à la pratique, faute de suivi, non seulement les travaux de réparation ne sont pas expertisés une fois achevés, mais encore des tranchées sont creusées un peu partout dans la ville d'Abidjan sans autorisation préalable. Autant de raisons qui inclinent à dire que la dégradation des routes ne peut donc s'expliquer par l'incompétence des techniciens qui les ont construites, encore moins par un détournement d'une partie des fonds alloués à ces projets. Mais par le laxisme des structures chargées de leur entretien. Difficile accès à l'information
L'accès à l'information reste incontestablement la grosse difficulté dans le métier de journaliste. Toujours prompts à recourir aux droits de réponse quand ils n'appellent pas les patrons des organes de presse pour se répandre en injures contre les journalistes, certains responsables publics utilisent leur secrétaire comme bouclier pour éviter de participer à la manifestation de la vérité sur les sujets d'intérêt national. C'est ce que nous avons vécu avec deux importantes structures chargées de la gestion des routes en Côte d'Ivoire: L'Agence de gestion des routes (AGEROUTE) et le Fonds d'entretien routier (FER).
Prétextant d'interminables réunions de leurs patrons, les secrétaires des deux sociétés nous ont envoyé balader pendant deux semaines. Nos demandes d'audience par téléphone n'ont pu aboutir. Même avec l'aide de M. Kongo, directeur des infrastructures routières, qui a accédé à notre demande de nous accompagner en personne au secrétariat du DGA de l'Ageroute, nous n'avons pu obtenir d'audience. Et il ne s'est trouvé personne pour nous aider à répondre à ces questions centrales : combien l'Etat alloue-t-il à l'entretien de la voirie aujourd'hui? A combien s'élevait ce fonds par le passé? Y a-t-il un programme en cours pour sauver les routes? Si oui, lequel? Toutes ces questions restent entières! Le sujet des routes serait-il tabou pour certaines structures?

David Ya

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