samedi 15 septembre 2007 par Notre Voie

Dr. Anoumatacky Akessé Pokou Kassoum est enseignant-chercheur au département d'anglais, à l'Université de Cocody. Il est aussi traducteur-expert près la Cour d'appel d'Abidjan. Fils de Prikro, il présente dans cette interview, le peuple ano et fait un procès sans appel du PDCI, relativement aux actions du président Gbagbo à l'endroit de son département. N.V. : Vous étiez dans votre village à Anianou pour accueillir le président du Front populaire ivoirien, M. Pascal Affi N'Guessan. Comment expliquez-vous la ferveur avec laquelle le peuple andoh adhère au FPI ?
Dr. A.A.P.K. : Il faut que je rectifie. Ce n'est pas Andoh, mais Ano.
N.V. : D'où est venue l'appellation Andoh ?
Dr. A.A.P.K. : Il y a plusieurs orthographes. Il y a des gens qui disent Andoh, certains disent Ano et d'autres disent Anoh. Je suis en train d'écrire un livre sur mon père qui a été chef du canton Badra de 1941 à 1990. N.V. : Comment s'appelle-t-il ?
Dr. A.A.P.K. : Il s'appelle Anoumatacky Pokou Akessé né el Hadj Idriss Ouattara. Il est décédé en 1990. N.V. : Faisons de l'histoire. Quelle est l'origine du peuple ano classé dans le registre des peuples minoritaires de la Côte d'Ivoire ?
Dr. A.A.P.K. : Quand Oseï Tutu est décédé au Ghana, il y a eu une guerre de succession que notre clan a perdue. Ayant perdu la guerre, il faut se réfugier quelque part. Nous avons traversé le fleuve avec les Agni et les Baoulé. Les Ano étant l'arrière-garde, parce qu'étant les guerriers, nous sommes restés au bord du fleuve Comoé. Mon village Anianou est à 2 km de la Comoé et les Ano ont créé le village qu'on appelle "Missribou" qui veut dire sous la mosquée. Le village étant proche de la Comoé, les crues ont fait que les gens sont venus dans le village qu'on appelle Anianou qui veut dire dans le sable. En venant, nous étions conduits par un guerrier qui s'appelle Ano. Certains nous appelaient donc Anofouê qui veut dire les gens de Ano. D'où le nom Ano, le diminutif de Anofouê, les gens de Ano, le guerrier qui était devant les troupes.
N.V. : Vous avez fait référence à une mosquée et le peuple ano est en majorité musulman, alors que vous êtes du groupe Akan. Qu'est-ce qui explique ce lien avec l'islam ?
Dr. A.A.P.K. : Il y a eu deux peuplements successifs. Il y a eu les Ano et aussi les commerçants Haoussa et Dioula qui se sont installés dans la région. Ces derniers appellent les Ano les Mango.
N.V. : Le peuple ano a donc subi l'influence de l'islam ?
Dr. A.A.P.K. : Oui, ça a été une influence des Dioula. Vous savez, ils sont partout. Mon père s'appelait Anoumatacky Pokou Akessé, mais il a pris le nom El Hadj Idriss Ouattara. Parce qu'il a été colonisé par les Dioula qui sont des commerçants. Quand ils arrivent, ils vous demandent de vous convertir. N.V : Logiquement, vous devez vous appeler Ouattara.
Dr. A.A.P.K. : Mon nom était Kassoum Ouattara jusqu'à l'éclatement de la guerre le 19 septembre 2002. N.V. : Pourquoi avez-vous changé de nom à l'éclatement de la guerre ?
Dr. A.A.P.K. : Quand la guerre a éclaté, les rebelles sont arrivés à Prikro pour dire à nos parents qu'ils se battent pour les Ouattara et ils nous ont demandé de les soutenir. Mais les parents ont répondu que nous sommes certes des musulmans mais nous sommes des Akan. Nous leur avons dit que si c'est sous cet angle qu'ils présentent la guerre, nous n'allons pas les soutenir. Et nous nous sommes battus parce que nous-mêmes, sommes des guerriers. A partir de là, j'ai estimé qu'il fallait retrouver notre identité culturelle. J'ai donc pris le nom de notre grand-père qui s'appelle Anoumatcky Akessé Pokou et Kassoum, pour garder mon identité de musulman. Cela a fait boule de neige. Nous avons sensibilisé nos parents à prendre leurs noms Akan. En fait, on peut être Akan et être musulman. N.V. : Le peuple ano est au c?ur de la région du N'Zi Comoé ; il est proche de Daoukro et curieusement, ce peuple s'est montré chaleureux au contact du FPI comme cela s'est vu à l'accueil d'Affi N'guessan. Quelle est la raison ?
Dr. A.A.P.K. : Je dois avouer que depuis 1946, le peuple ano était 100 % PDCI. Mon père qui fut chef du canton faisait en sorte qu'il n'y ait pas de carte du PDCI impayée. Quand il y a un reste, il paie ce reste pour prouver l'adhésion sans faille des Ano au PDCI. Mais qu'est-ce que nous avons eu ? Rien. N.V. : A quoi faites-vous allusion quand vous dites que vous n'avez rien eu ?
Dr. A.A.P.K. : Nous faisons allusion au bitume. Après les Baoulé, le goudron s'est arrêté. Donc dans l'esprit des gens, il n'y a pas de peuple derrière. Et quand il s'est agi de donner la première sous-préfecture, mon père a dit d'ériger Prikro en sous-préfecture. Parce que c'est le centre et la prochaine devait être Anianou. Celle-ci a été donnée à Koffi-Amonkro, parce que c'est le village du secrétaire général du PDCI. Depuis, nous attendons. Nous n'avons pas de goudron, nous n'avons pas eu de sous-préfecture, nous n'avons même pas eu l'électricité. Donc, quand le président Laurent Gbagbo est venu avec un nouveau discours, nous avons compris qu'il est venu nous aider. Au départ, il a fallu braver les gens pour recevoir le président Gbagbo. Anianou est le chef-lieu du canton Badra, Famienkro est le chef-lieu du canton Ano. Si vous avez ces deux villages, vous avez tous les Ano. Anianou a été le premier village à créer la section FPI. Depuis que Gbagbo est venu, on est en train d'électrifier le village, il sera bientôt érigé en commune, nous sommes en train de lutter pour la sous-préfecture à Anianou. Nous avons un préfet qui a son véhicule de commandement, un secrétaire général de préfecture. Ce sont des actes qui ne trompent pas. Quand les autres viennent, ils tiennent des discours. Nous voulons des actes et non des discours. C'est ce que nous faisons comprendre à nos parents. Quand Djédjé Mady a appris que Affi N'Guessan était en tournée à Prikro, il est allé là-bas. Mais il est resté à Prikro ville.
N.V. : Djédjé Mady a dit que le président Bédié s'apprêtait à prolonger le bitume quand il a été chassé du pouvoir.
Dr. A.A.P.K. : Le président Bédié est arrivé au pouvoir en 1993. Qu'a-t-il fait pendant les 5 ans qu'il a passés avant d'être classé ?
N.V. : En quoi le prolongement du bitume pouvait-il être bénéfique pour Prikro et le pays ?
Dr. A.A.P.K. : C'est une route internationale qui relie Prikro à Dabakala ; elle passait sur le fleuve pour aller à Bondoukou et au Ghana. Nous avons demandé un pont qui n'a pas été fait. Le PDCI a préféré faire le pont entre Daoukro et Agnibilékrou. Ce pont devrait être sur le parc de Sérébou. Nous n'allons plus accepter qu'on nous prenne pour des imbéciles. Voilà notre amertume.
N.V. : Les populations ont aussi soulevé la question de l'usine de Sodesucre de Sérébou-Comoé qui a été fermée. On peut penser que c'est pour une raison de rentabilité. Dr A.A.P.K. : On devrait fermer un complexe sucrier et Bédié a dit de fermer pour ses frères. Pourquoi ne pas fermer une usine au Nord ou à l'Ouest et c'est pour nous qu'on ferme ? En fait, nous en avons gros sur le c?ur. Houphouët-Boigny est venu, nous n'avons rien eu. Bédié est venu, nous n'avons rien eu. Le président Gbagbo est venu, c'est notre bouée de sauvetage. Ne serait-ce que l'électricité, il n'a même pas eu le temps de travailler, mais ce qu'il a fait en 2 ans, le PDCI n'a pas pu le faire en 40 ans. N.V. : Prikro est maintenant un département qui aura son conseil général et de nouvelles communes ont été créées. Comment comptez-vous aborder avec succès les différentes élections face au PDCI qui a tous les élus dans le département ?
Dr A.A.P.K. : Nous sommes prêts à relever les défis ensemble avec le directeur départemental de campagne du président Gbagbo à Prikro et le fédéral du Front populaire ivoirien. Mais il y a un travail à faire. N.V. : Lequel ?
Dr A.A.P.K. : Il faut s'organiser. J'ai demandé aux jeunes gens l'organisation d'un séminaire pour élaborer une stratégie. Tout Prikro est FPI, mais cela ne suffit pas. Il faut une organisation pour que chacun soit inscrit sur les listes électorales. Si on est nombreux et qu'on n'est pas organisé, on ne peut pas être efficace face à l'adversaire. N.V. : Vous comptez relever les défis aux élections à venir. On peut se demander si vous avez les hommes qu'il faut. Dr A.A.P.K. : Il y a plein de jeunes cadres. Seulement, ils sont timides, certains hésitent. Parce qu'ils pensent que s'ils vont au FPI, on va les tuer. Maintenant, personne ne tue personne. Nous avons donc un travail à faire pour amener ces jeunes cadres à se manifester sans crainte. C'est pour cela que je parle de l'élaboration d'une stratégie. N.V. : Prikro dépend du conseil général de M'Bahiakro. Quelles sont les actions dont vous avez bénéficié ?
Dr A.A.P.K. : Les Ano n'ont rien reçu et pourtant ce sont les Ano qui font M'Bahiakro. Le président M'Bahia Blé était là, nous n'avons rien reçu. Aux élections du conseil général, nos parents n'ont rien compris. Ils ont dit que les gens de M'Bahiakro disent que le PDCI est leur chose, ils veulent nous donner un peu et on veut tout leur arracher. Ils ont voté pour la liste du PDCI. Le conseil général de M'Bahiakro n'a aucun projet pour Prikro. Le village d'Anianou a construit sa maternité, c'est le conseil général qui doit l'équiper. Mais, rien n'est fait. C'est pour cela que nous devons prendre le conseil général de Prikro. Nous devons faire les routes, les écoles, les centres de santé, l'adduction d'eau. Nous chercherons des partenaires dans le monde, aux Etats-Unis. On peut même nous aider à construire une université privée. Je suis sur ce projet.
N.V. : Selon ce qui nous a été rapporté, beaucoup n'ont pas cru en l'érection de Prikro en département. Parce que certains cadres auraient demandé d'attendre le retour de Bédié au pouvoir pour donner le département. Qu'est-ce qu'il en est exactement ?
Dr A.A.P.K. : Mais Bédié était là, il ne nous a rien donné. Pour aller à la rencontre du président de la République, je suis allé informer tous les cadres. Certains ont dit que c'est une affaire d'enfants. Une affaire du FPI et ils ont même dit que Gbagbo va nous tromper. Quand la nouvelle a été donnée dans les villages, beaucoup n'ont pas cru que le président de la République pouvait nous rencontrer. J'ai donc demandé aux jeunes de croire et leur ai fait savoir que si Gbagbo nous reçoit, ça sera un grand coup que nous aurions réussi. Il n'y a que les militants du FPI qui ont accepté d'aller à la rencontre. Dans les villages, des gens nous ont maudits, certains ont voulu dresser les troncs d'arbres sur les routes pour nous empêcher. Nous avons sollicité le ministre Michel N'Guessan Amani qui a demandé au préfet de M'Bahiakro de nous conduire au Palais présidentiel. Le président nous a reçus et nous a donné le département. C'est là que beaucoup ont compris. Pour aller dire merci au président, tout le monde est venu. Les autres parlent, le président Gbagbo agit ; il nous a donné ce que nous avons demandé. Je dis à nos parents que logiquement, ils doivent confier le conseil général de Prikro à la liste du FPI aux prochaines élections. Je vous dis que Bédié qui est à côté de nous à Daoukro n'a jamais mis ses pieds à Prikro depuis qu'il est né. Or, le président Gbagbo Laurent a visité nos villages en 1998. Avant sa tournée, le PDCI est passé dans les villages pour nous demander de ne pas le recevoir. Le PDCI nous a même annoncé une sous-préfecture pour ne pas accueillir Gbagbo. Mais nous n'avons jamais vu cette sous-préfecture jusqu'à à l'accession de Gbagbo au pouvoir. Pour ironiser à Prikro, on dit que le PDCI donne des sous-préfectures la nuit et Gbagbo nous les donne dans la journée. Avec lui c'est du concret.



Interview réalisée par Benjamin Koré

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