Il y a quelques jours, le quotidien gouvernemental Fraternité Matin a publié un article relatif à la décoration par le président français Nicolas Sarkozy de M. Robert Bourgi, en présence de M. Eugène Allou, directeur du protocole d'Etat de Côte d'Ivoire. Qui connaît M. Robert Bourgi en Côte d'Ivoire ? Pas grand monde, à part peut-être quelques anciens étudiants de la faculté de droit d'Abidjan, comme moi, qui l'avons eu comme professeur. Qu'a-t-il fait pour la Côte d'Ivoire ? Rien de connu du grand public. Mais le parcours de M. Bourgi pourrait nous aider à mieux comprendre. Son père, un riche commerçant d'origine libanaise de Dakar, était l'un des grands piliers de ce qu'on a appelé le réseau de Jacques Foccart, ce fameux conseiller Afrique de plusieurs chefs d'Etat français dont on a dit qu'il faisait et défaisait les présidents africains. Fraternité matin a lui-même écrit dans son article : "Son père, Mahmoud Bourgi était le patriote et l'ami français sur qui a pu compter Jacques Foccart." (Fraternité Matin des 6 et 7 octobre 2007) Robert Bourgi lui-même travailla dans la cellule de Foccart lorsque ce dernier reprit du service avec l'avènement de Jacques Chirac comme premier ministre en 1986. Puis il intégra le cabinet du ministre de la coopération Michel Aurillac. Devenu plus tard avocat, M. Bourgi conseilla plusieurs chefs d'Etat africains dont Mobutu, Lissouba et autres. Il est donc le parfait symbole de ces liens troubles entre la France et certains régimes africains et qu'on a appelé la Françafrique, et contre laquelle notre président est censé se battre pour redonner à l'Afrique et plus particulièrement à la Côte d'Ivoire sa dignité. Qu'a donc à faire le directeur de notre protocole d'Etat à une telle cérémonie de décoration ? Les photos qui accompagnent le texte nous éclairent un peu. Il y en a deux, qui émanent de la présidence. L'une montre M. Allou serrant la main à M. Sarkozy. Et la légende de la photo nous dit que les deux hommes se serraient chaleureusement la main. La seconde photo montre M. Allou et son épouse encadrant M. Bourgi. Je crois que le fin mot de l'histoire est là. Il s'agissait de nous faire savoir que, tout comme son patron, M. Allou Eugène a lui aussi serré la main à M. Sarkozy, et accessoirement, à moins que ce ne soit principalement, nous faire connaître le visage de son épouse. Celui pour qui on a fait l'article n'apparaît que sur une seule photo. On aurait donc pu titrer le papier sur M. Allou, et non sur M. Bourgi qui n'a été que le prétexte. Etrange pouvoir que le nôtre, qui proclame urbi et orbi qu'il est en guerre contre la France, dont le chef proclame qu'il n'est pas un sous-préfet français, mais dont visiblement le plus grand bonheur est de faire savoir qu'il a des relations privilégiées avec le chef de cette France abhorrée. On se souvient des sauts de cabri effectués ici parce que l'on avait reçu un coup de fil, somme toute banal, du chef de l'Etat français. On interrompit même le journal télé de vingt heures pour nous le faire savoir. On sait toutes les tractations qui avaient eu lieu pour obtenir une entrevue, aussi brève soit-elle, ou à défaut, une poignée de main, entre notre chef et celui des Français lors de l'Assemblée générale de l'ONU. On obtint finalement la poignée de main. Quelle joie ! Quel bonheur ! La photo fit la " une " du journal gouvernemental et notre chef ne put s'empêcher d'en parler lors de sa conférence de presse, en précisant que M. Sarkozy et lui se téléphonaient. Et maintenant c'est le directeur du protocole d'Etat qui tient à faire savoir au bon peuple qu'il a lui aussi serré la main à M. Sarkozy. De qui se moque-t-on finalement ? Du peuple ivoirien bien sûr, mais surtout des militants du FPI, des Jeunes patriotes, des membres de la FESCI, de Théophile Kouamouo, de Sylvestre Konin, et de Mamadou Koulibaly, eux à qui l'on fait croire que l'on est en guerre contre la France. Eux qui usent encre et salive pour nous expliquer que la Françafrique a été vaincue ou sera bientôt vaincue par Laurent Gbagbo, au nom de Jésus. A moins que les derniers cités n'aient pour rôle d'endormir le peuple pendant que l'on se sucre très abondamment. Montez dans un avion d'Air France n'importe quel jour de la semaine et vous serez surpris par le nombre de refondateurs, de femmes, enfants, frères, s?urs et maîtresses de refondateurs que vous y croiserez. A Paris, promenez-vous devant les grands magasins et vous serez surpris par le nombre de refondateurs, femmes ou maîtresses de refondateurs que vous croiserez, les bras chargés de paquets. A Paris toujours, fréquentez un tout petit peu le milieu des Ivoiriens vivant à Paris, et vous verrez toutes les maisons achetées par les refondateurs, les écoles que fréquentent leurs enfants, frères, s?urs ou maîtresses. Paris est un gros village africain où tout se sait. De qui se moque-t-on ? On nous dit que la France nous a colonisé, a signé un pacte colonial qui nous prive de notre liberté et de nos richesses. On a assimilé Jacques Chirac à cette France coloniale. Mais Chirac n'était pas né lorsque le France nous colonisait. Il n'était pas aux affaires lorsque nous prenions notre indépendance et que l'on signait le fameux pacte colonial. Mais, devenu plus tard le président de la France, il a porté la responsabilité de tout ce que son pays a fait. Comme Nicolas Sarkozy aujourd'hui. M. Sarkozy est le président de la même France que nous vilipendons. Et comme ses prédécesseurs, il continuera de défendre les intérêts de son pays avant toute autre considération. La France n'a pas changé. Et il est évident que M. Sarkozy ne changera rien des rapports entre son pays et l'Afrique noire. La preuve en est la décoration de M. Bourgi. Alors, comment combat-on un pays tout en faisant des pieds et des mains pour figurer sur une photo avec son président, tout en allant y cacher ses enfants et parents, et en y dépensant les ressources de son pays ? Où va l'argent du pétrole ivoirien, camarades patriotes ? Une partie va à Fakhoury (un autre symbole de la Françafrique, spécialisé dans les bâtiments gigantesques et très coûteux mais parfaitement inutiles, tels que des basiliques en pleine savane), pour qu'il joue avec à Yamoussoukro en costruisant des palais gigantesques et coûteux, mais tout aussi inutiles. A qui a-t-on concédé le terminal à containers de Vridi dans des conditions que même la Banque mondiale a jugées scandaleuses ? A Bolloré, une entreprise française. Au Sénégal, le président Wade qui ne cache pas ses rapports privilégiés avec la France, a refusé de concéder son terminal à containers au même Bolloré, parce que les conditions ne le satisfaisaient pas. On lui a fait quoi ? Où sont passés les cent milliards détournés récemment dans la filière du cacao, camarades patriotes ? Camarades, n'avez-vous pas été troublés par le silence assourdissant de votre chef lorsque cette affaire a éclaté ? N'avez-vous pas été tout autant troublés par sa précipitation à la gendarmerie pour une banale histoire de faux billets qui relève tout au plus d'un commissariat de quartier ? C'est vous, les Jeunes patriotes et les militants de FPI que l'on prend pour des gogos. Vous qui avez versé votre sang, et continuerez probablement de le verser pour que certains puissent continuer d'aller dépenser le fruit de votre travail en France. On a dit aux Jeunes patriotes de brûler le centre culturel français, les écoles françaises, les entreprises françaises. Ils l'ont fait. On a demandé à la FESCI de saboter l'école. Elle l'a fait. Qui n'a plus d'endroits pour se cultiver ? Qui ne va plus à l'école ? Qui n'a plus de travail et qui tire le diable par la queue ? Certainement pas les enfants, frères, s?urs et maîtresses des chefs refondateurs. Eux sont bien au chaud en France. Et ce ne sont pas seulement les militants des partis d'opposition qui vivent dans la galère ici. A la cohorte de militants illuminés et abrutis par les discours, on a offert des " agoras ", des " Sorbonne " et des maquis pour qu'ils s'abrutissent davantage. On leur fait miroiter des places dans la police et dans la gendarmerie pour bien protéger les mangeurs contre les opposants qui veulent les en empêcher. Mais attention, seuls quelques élus peuvent figurer sur les listes. Les autres doivent payer. Parfois des millions. Combien d'entre vous peuvent payer pour aller à l'ENA, à l'école de police, de gendarmerie ? Vous êtes nombreux aujourd'hui, vous les Jeunes patriotes, fescistes et militants du FPI qui rêvez d'aller vous aussi vous chercher en France, même si elle est colonialiste, mais où visiblement on s'en sort mieux qu'ici. La preuve en est que vos maîtres y ont envoyé tous leurs enfants, frères, s?urs, et maîtresses. Désolés pour vous, mais vous n'aurez droit qu'à la pirogue, à partir de Dakar, avec escale aux îles Canaries, et transit par l'Espagne. A condition que votre pirogue n'ait pas chaviré et que les Espagnols ne vous aient pas refoulés. Si vous restez en Côte d'Ivoire, vous serez tout juste bons pour défiler des jours et des jours entiers dans des bureaux et des domiciles pour vous faire offrir quelques miettes du repas. Continuez de donner votre poitrine. Continuez de barrer les rues lorsqu'on vous le demandera. Continuez de saboter l'école. Continuez de gaspiller votre salive dans les " agoras " et " Sorbonnes ". Continuez de vous saouler dans les maquis. Comme le dit la publicité, " Abidjan ici, dormez seulement ! Dormez ! " Les autres sont loin devant. Comme vous le savez, chez nous lorsque certaines personnes cherchent à avoir du pouvoir et de l'argent, elles vont chez des marabouts et autres féticheurs qui leur demandent la plupart du temps de faire des sacrifices humains. Eh bien, c'est vous que l'on est en train de sacrifier pour que les enfants, frères, s?urs, épouses, maîtresses de vos maîtres puissent vivre tranquillement à Paris, en attendant de venir être vos nouveaux maîtres. Quelle entreprise sérieuse vous embauchera lorsque vous ne pourrez indiquer sur votre c.v. que "ancien Jeune patriote" ? Abidjan ici, cassez seulement ! Saoulez-vous seulement ! Perdez seulement votre temps à écouter des mensonges et des idioties !
Venance Konan, journaliste écrivain. Email : venancekonan@yahoo.fr