jeudi 11 octobre 2007 par Le Temps

Il y a à peine une semaine, la Côte d'Ivoire, comme le monde entier commémorait la journée mondiale de l'enseignant. Pour ce jour si important, les responsables de l'école ivoirienne, se sont limités à de simples déclarations. Manque de temps peut-être ?

De toute façon, l'heure est à l'embellie. Pas vraiment le moment de parler de ce grand corps malade qui a dévalué les diplômes et désorganisé un système reconnu à l'époque comme l'un des meilleur en Afrique. Aujourd'hui, il réussit à cumuler stress des jeunes et des parents, mal-être des enseignants et appauvrissement de l'Etat. L'école ivoirienne va mal, très mal : spécialistes de l'éducation et hommes politiques, chefs d'entreprises et parents d'élèves, élèves et étudiants, tous s'accordent à le dénoncer. Mais ce consensus cesse, dès qu'il s'agit de dire en quoi ce mal consiste et comment y remédier. Pour l'Etat, les enseignants ont depuis longtemps démissionné, fortement encrés dans les instances politiques, et dans les grandes écoles privées. Et ce ne sont pas les moyens supplémentaires qu'exigent les syndicats, sans imagination aucune, qui changeront quelque chose dans l'affaire. Pour les syndicats d'enseignants le mal est ailleurs : bas niveau de recrutement des enseignants, non indexation du salaire sur le coût de la vie, manque de profil de carrière. Le cadre de travail est devenu un enfer : Bâtiments désaffectés pour la plupart, hangars aménagés en plein air, classes pléthoriques, programmes et emplois de temps surchargés et introduction brutale d'une nouvelle méthode pédagogique. difficultés quotidiennes face à des élèves syndicalistes, absence de soutien de chefs d'établissement, dont la tendance est trop souvent de conserver leur poste ou de ne pas trop en faire, pour ne pas nuire à leurs protecteurs, dans un jeu d'intérêts politiques et ministériels. Certes, il existe des lycées et des collèges tranquilles et des enseignants heureux mais combien ? C'est la dévalorisation fortement ressentie de leur métier. Alors le malaise des enseignants ne fait qu'empirer : stress, surmenage, dépression, l'hôpital psychiatrique de Bingerville devient un passage obligé pour bon nombre d'entre eux, dans le silence et l'ignorance. A l'autre bout de la chaîne, nos universités. Elles souffrent scandaleusement de manque de moyens, alors qu'elles ont augmenté leurs effectifs de 400 à 600% en vingt ans. L'université est, tout simplement devenue, un goulag. Un cauchemar pour les étudiants qui préfèrent, pour certains, l'université privée ou les grandes écoles, quand d'autres optent carrément pour la double inscription université-grande école, avec l'espoir de s'offrir une chance de sortir du système peu fiable de l'université dont la finalité est le chômage. Passer plus de quatre ans à l'université et ne pas maîtriser ce minimum qui conditionne sa capacité à intégrer une entreprise pour parfaire ses compétences, tel est le premier et immense gâchis que subit la jeunesse ivoirienne. En réalité, ce n'est pas l'université elle-même qui la précarise mais les défaillances d'un système éducatif qui condamnent l'étudiant à l'errance sociale. Un système davantage fait pour faire trébucher que pour faire progresser. A dire vrai, le bac en poche et l'entrée dans l'enseignement supérieur, ne garantissent pas l'obtention d'un diplôme. Seul un très faible nombre passe cette étape qui peut le laisser espérer accéder à un " bon " emploi. En Côte d'Ivoire, deux étudiants sur trois sont condamnés à galérer et savent qu'ils vont galérer. Un mal-être, réel ou ressenti, qui affecte à coup sûr leur parcours de vie. Une véritable insulte à l'avenir. Une redoutable graine de violence. Dans ce monde de l'innovation où la discrimination par le diplôme s'est considérablement accrue, cet enfermement au "ghetto des oubliés de la République ", est un autre trait de notre " modèle " avec lequel il est urgent de rompre. L'école ivoirienne est devenue le prosélytisme de tous les charlatans, sorciers politiques et illuminés. Chacun avance des solutions de fortune: Programme spécifique de soutien à la petite enfance, programme intensif d'apprentissage pour ceux qui choisissent les formations techniques, programme pédagogique mieux maîtrisé, augmentation de l'effectif enseignant, maîtrise du taux d'étudiants par enseignant et harmonisation du volume horaire de cours, forfait additionnel pour les enseignants qui acceptent de passer plus de temps dans les établissements ou encore, réintroduction de l'éducation civique et morale, réouverture des internats, multiplication des foyers Pourquoi pas ? Mais il faut, à mon avis, aller plus loin, en élaborant pour les enseignants, un système plus clair des règles de mutation, de notation et de rémunération, d'évaluation-pénalisation, qui supposerait la prise en compte de leurs conditions de travail, variables selon les statuts, les disciplines et les établissements. Aujourd'hui, l'enjeu est de rendre notre système éducatif performant, pour fournir des employés adaptés aux exigences nouvelles du marché et prétendre à l'internationalisation de nos compétences. Là, comme ailleurs, les Ivoiriens ont le choix entre l'hypocrisie politique et l'implication effective de chacun, entre les collages et les vrais bouleversements. C'est à ce prix que les jeunes découvriront, du moins ceux qui croient encore que l'école est un ascenseur social, la liberté de réussir et la valeur d'un diplôme.

Par Léonard M'Bougoua

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