samedi 27 octobre 2007 par Fraternité Matin

Koffi Kouadio Jules faisait partie des meilleurs gardiens africains qui ont marqué les esprits. Pendant plus d'une décennie, il a fait montre de ses nombreuses qualités techniques, physiques et morales partout où il s'est produit. 17 ans après avoir rangé crampons et gants, Dino Zoff (son sobriquet) revient sur sa carrière, parle de sa vie actuelle et de son avenir. Malgré les problèmes, je me porte bien physiquement. J'avoue, cependant, que je subsiste difficilement. Quand je jouais au football, grâce aux dirigeants du Stade (le club qui m'a révélé au grand public), je travaillais à la défunte société Sempa en qualité de commis payeur. J'y gagnais très bien ma vie. Mais, depuis que j'ai été compressé en 1990, c'est la galère. Pour subvenir à mes petits besoins, je me débrouille au Port autonome d'Abidjan. Pour être franc, c'est dur. Comme je n'aime pas indisposer mon prochain, je préfère vivre, dans la discrétion, ma galère , confie, avec beaucoup de regrets, l'ancien international du Stade d'Abidjan et de l'Asec Mimosas. Avant d'ajouter qu'il a failli, à un moment donné, se suicider sans le soutien d'Aby Jean-Claude, un de ses amis ? qui a même payé la scolarité de sa fille jusqu'à l'obtention du BTS. La situation étant devenue pénible pour moi, j'ai, à l'époque, demandé aux dirigeants stadistes, notamment Me Mondon Konan Julien et Coffi Gadeau, de m'aider. Mécontents de mon départ du Stade, ils ont refusé en me disant d'aller voir l'Asec, mon nouveau club. Sincèrement je ne savais où donner de la tête., raconte-t-il. Malgré tout, l'ancien gardien volant des Eléphants ne regrette pas d'avoir joué au football. Car, dit-il, ce sport lui a permis de tisser beaucoup de relations. C'est un avantage conséquent dans la vie d'un être humain, pense notre interlocuteur. Koffi Kouadio a signé à l'Asec en 1979 parce qu'il avait beaucoup d'admiration pour Laurent Pokou. L'Asec l'a utilisé pour me convaincre de quitter le Stade qui, pourtant, m'entretenait bien. J'ai signé à l'Asec sans percevoir de prime à la signature, précise Dino. En fait, Koffi Kouadio a servi le club Bleu et Rouge avec dévouement pendant six ans (1973-1979). C'était en compagnie de Guidi Ignace, Zahui Madou Laurent, Bridji Léo, Gougoulé Antoine, Tapé Laurent et bien d'autres. Ils se sont aguerris aux côtés des anciens tels que Sagnaba Soma, Janvier Kouao et Diagou Mathias. Au départ, j'évoluais, à la fois, au milieu du terrain et dans les buts. C'était à la demande de mes formateurs d'alors Da Sylva et Ezan Emmanuel. Au finish, ils m'ont trouvé des qualités requises pour être gardien de but. Ma carrière est donc partie de là, explique Dino. Koffi Kouadio a marqué de son empreinte son passage au Stade d'Abidjan. De 1976 à 1979, le Stade (selon lui) a rarement perdu un match. Gravitaient autour de moi des défenseurs intraitables tels que Janvier Kouao (le capitaine), Sagnaba Soma et Gnamba Dominique.
Dans le secteur médian et en attaque, l'équipe possédait également des joueurs de qualité comme Joe Bléziri, Zahui Madou Laurent, Vincent Kouadio, Téty Gnabo et Tahi François. C'était une belle machine, se souvient-il.
SOUVENIRS
En club, l'ancien portier international se souvient de Dakar 1977 où le Stade a remporté sa première coupe Ufoa face au Kaloum Star de Conakry (1-0). Pour désigner le détenteur du trophée (Gnassingbé Eyadéma) récompensant la meilleure équipe de l'Afrique de l'Ouest, l'AS Police du Sénégal, Lomé 2 du Togo, le Kaloum Star de Guinée et le Stade d'Abidjan (quatre formations issues des éliminatoires) s'étaient retrouvées au pays de la Téranga. C'était le 30 janvier 1977, dans un stade Dempa Diop de Dakar plein comme un ?uf, le Stade triompha du Kaloum (1-0) pour s'adjuger le trophée. But de Tety Gnabo Julien (actuel coach de Bingerville). Je n'ai pas disputé la finale, mais j'ai participé aux éliminatoires. C'est le Togolais Sylvestre Tommy qui était dans les perches, se rappelle Dino; sans oublier la palpitante finale de la coupe nationale que le Stade a remportée devant l'Asec, aux tirs au but (3-0). Au terme des 120 mn, les deux formations se tenaient (2-2). Koffi Kouadio aura été le héros du match pour avoir surtout arrêté cinq penalties. Avec l'Asec, Koffi Kouadio a beaucoup parcouru l'Afrique avec des coéquipiers tels que Justice Moore, Guy Gnoan, Cissé Djibril et Monguéhi. Ils formaient une bande de joyeux copains. Je regrette que nous n'ayons pas remporté de coupe d'Afrique avec cette belle génération de joueurs. J'ai été très affecté par notre élimination devant le Kaloum Star de Guinée à Abidjan en quarts de finale (je ne me souviens pas de la date) alors qu'on avait réussi à éliminer de grosses cylindrées . Avec les sélections nationales, Dino a connu des hauts et des bas. Je retiens un mauvais souvenir. Il s'agit de notre disqualification pour la Can 78, au Ghana. Miézan, Zahui, Guidy, Kobina, Adjoukoua, Lébry et Akran et bien d'autres se battent pour s'offrir une belle qualification devant le Mali, à Bouaké (2-0); deux réalisations de Lébry Manahoua Jérôme. Au finish, une affaire de Guidy Ignace ou Dégnan Ignace nous a privés de cette phase finale. Cette affaire d'identité m'a fait très mal et j'incombe cette faute à la FIF, regrette notre interlocuteur.
Par ailleurs, Koffi Kouadio, qui était gardien titulaire des Eléphants lors de la phase finale de la Coupe d'Afrique des Nations (CAN), en 1984, en Côte d'Ivoire, a tenu à revenir sur cette compétition, au cours de laquelle les Eléphants ont fait piètre figure.
A Côte d'Ivoire 84, c'était la merde. Nous n'avons pas été bien préparés. Le regroupement que l'équipe a fait en France pendant un mois, dans le froid, en France, n'a rien servi. Après la France, nous étions à Bouaké pour parachever la préparation. Mais, à notre grande surprise, à la place du travail, on nous privilégiait le fétiche. On nous lavait avec des gris-gris et l'on nous mettait du kaolin et l'on dansait, souvent jusqu'au petit matin. Les dirigeants d'alors les avaient mis en garde: Celui qui dévoile le secret en aura pour son compte, révèle Dino avant d'ajouter que, par la volonté des gris-gris, feu Zaré Mamadou ne s'était pas lavé pendant un mois. En tout cas, le gris-gris était notre arme fatale. Pensez-vous que dans ces conditions, les Eléphants pouvaient gagner?, s'interroge-t-il . Pourquoi étiez-vous alors si confiants?
Devant des dirigeants puissants de l'époque tels que Me Mondon Konan Julien, Simplice De Messé Zinsou et Kanga, personne ne pouvait broncher. C'étaient eux qui avaient recruté ces féticheurs. J'avoue qu'à l'hôtel du Golf, on avait deux chambres trempées de fétiches. Il fallait être là pour voir. Même les responsables de la FIF le savaient, mais ils n'ont rien dit. N'est-ce pas que qui ne dit mot consent?, se demande Koffi Kouadio. Prié de porter un jugement sur le niveau actuel du football ivoirien, l'ancien sociétaire de l'Asec est de l'avis de ceux qui pensent qu'il a baissé. Il n'y a plus de génie qui puisse attirer le public. Quand on découvre un talent, un an après, celui-ci s'expatrie en Europe. A l'époque, le public se déplaçait pour vibrer et saluer les prouesses techniques, les improvisations des joueurs. Mais aujourd'hui, notre championnat est pauvre en talents , soutient-il la mort dans l'âme.
Toutefois, Dino pense qu'avec un peu plus de rigueur dans l'organisation, le football ivoirien aura un avenir prometteur. Il faut plutôt poser des actes concrets que de trop parler.
Parlant des dirigeants qui l'ont marqué, Koffi Kouadio cite Victor Ekra, Andoh Claude (Asec), Feu Mondon (Stade) et Simplice Zinsou (Africa). A l'époque, le président Zinsou voulait que j'évoluasse à l'Africa. J'étais en équipe nationale quand il passait par feu Pascal Miézan pour me convaincre. Un jour, à l'hôtel Président de Yamoussoukro où je partageais la chambre avec Gaston Adjoukoua, Miézan est venu me remettre une enveloppe de 5 millions pour que je signe à l'Africa. J'ai hésité. Et Adjoukoua m'a demandé de prendre les 5 millions et d'aller passer une saison à l'Africa pour revenir à l'Asec. J'étais en train de réfléchir (pendant 4 jours) quand Sirima et Laurent Pokou sont passer nous rendre visite. J'étais gêné et finalement j'ai retourné l'argent au président Zinsou par l'intermédiaire de Miézan. Je me souviens qu'Adjoukoua, très fâché, m'a lâché au visage: Dino, tu n'auras plus jamais cette chance dans ta vie. Tu finiras pauvre. Je regrette aujourd'hui. Car si j'avais suivi ses conseils, j'aurais réalisé quelque chose de concret avec cette somme (5 millions). Mais, j'ai été victime de mon inexpérience, à l'époque, conclut Koffi Kouadio.
Digest
Nom et Prénoms: Koffi Kouadio Jules
Age: 54 ans
Fonction: ancien footballeur
Clubs: Stade d'Abidjan, Asec Mimosas
Nombre de sélections: une soixantaine
Taille: 1, 85m
Poids: 78 kg
Palmares: vainqueur de la Coupe Ufoa et de la coupe nationale avec le Stade, vainqueur de la coupe CEDEAO avec les Eléphants.
Deux fois champion de Côte d'Ivoire avec l'Asec
Bon à savoir
ADMIRATION. Jean Kéita, Da Sylva, Gouaméné Alain, Losséni Konaté et Tizié Jean Jacques sont les gardiens de but ivoiriens qui ont séduit Koffi Kouadio. Certaines personnes dénigrent Tizié alors qu'il est un grand gardien. Il a plusieurs fois sauvé la Côte d'Ivoire. Ici, on vieillit vite les joueurs sinon, pour moi, Tizié est encore opérationnel. J'affirme aussi que le football ivoirien n'a plus de grand gardien de but, dit Dino Zoff. Qui, au plan international, avait pour idole, le Camerounais NKono Thomas. Il avait de la classe à revendre, soutient-il. SOBRIQUET. C'était notre regretté confrère Boubacar Kanté qui a surnommé Koffi Kouadio Jules, Dino Zoff, le meilleur gardien italien de tous les temps.
FAMILLE. L'ancien portier de l'Asec et du Stade est issu d'une famille de 17 enfants dont 15 filles. Son père Kouadio est actuellement malade à Abidjan. Sa mère Kouakou Ahoua vit à Gagnoa (considéré comme le village de la famille Kouadio).
DéCEPTION. A ce jour, Koffi Kouadio est célibataire et père de trois enfants dont deux filles. Je ne suis pas marié parce que j'ai été déçu. L'artiste Miriam Fatim était ma compagne. RETRAITE. C'est après la Can 84 que Koffi Kouadio a arrêté avec les Eléphants. En club, il a raccroché en 1990. L'?il du chroniqueur : Un mental de compétiteur. Koffi Kouadio Jules a commencé sa carrière au poste de milieu de terrain. Il était donc joueur de champ. Un jour, Da Sylva, son formateur lui demande de s'exercer, par moments, dans les buts. Koffi s'exécute et au fil du temps, le technicien stadiste trouve en ce joueur, plus de qualités pour garder les perches. Da Sylva a été perspicace. Car ce milieu qu'il a transformé en gardien de but a, pendant plus d'une décennie, fait montre de ses immenses qualités. Du Stade d'Abidjan à l'Asec, Koffi Kouadio a marqué son époque. Dino Zoff (son surnom), c'était une stature impressionnante, un sang-froid, une prise de balle impeccable et une présence dissuasive. Au-delà de ses qualités de positionnement, de sa lecture du jeu méticuleuse et de son agilité, ses arguments physiques constituaient également une clé essentielle de sa palette. Son jeu tirait aussi sa force d'un formidable mental de compétiteur et d'une assurance de soi. Koffi, c'était un bourreau de travail quelqu'un de très rigoureux, qui avait toujours le souci du détail et qui étudiait le style et l'angle de frappe des attaquants qu'il devait affronter. Tant en compétitions nationales qu'internationales, Dino a su se distinguer. En 1977 et 1980, en concurrence avec le Camerounais N'Kono Thomas, l'international ivoirien rate de peu la palme de meilleur joueur africain (Ballon d'or). En Côte d'Ivoire, l'on retient encore sa fabuleuse prestation en finale de la coupe nationale contre l'Asec en 1976, lorsqu'il évoluait au Stade d'Abidjan. Il fut le véritable bourreau des Mimos ce jour-là, il a arrêté cinq penalties dont deux pendant les 120 premières minutes (y compris les prolongations). Pendant l'épreuve cruelle des tirs au but, Dino (qui savait arrêter et transformer les penalties), battit son homologue Gohi Marc d'un maître tir. Dommage que Koffi n'ait pas pu décrocher un contrat professionnel en Europe comme l'ont réussi les Camerounais Nkono et Joseph Antoine Bell.
Témoins de... son temps
Zahui Madou Laurent
(Entraîneur du Stade)
Il se distinguait par son sérieux et son calme?
Il fut un joueur exemplaire durant tout le temps que nous avons passé ensemble tant au Stade d'Abidjan qu'en sélection nationale. J'ai beaucoup apprécié son sérieux et son calme avant et pendant les matches. En plus de son autorité, Koffi Kouadio se distinguait par son sens du placement et par sa personnalité dans les buts.
Il nous a permis en 1976 de remporter la coupe nationale devant l'Asec, aux tirs au but. Ce jour-là, Koffi Kouadio a, par sa classe, dominé partenaires et adversaires. Il avait bloqué tous les penalties de l'Asec. Mais quand Dino se trouve dans un mauvais jour, il peut encaisser des buts inadmissibles. Ce fut le cas contre le Sporting en finale de la Coupe Houphouet-Boigny en 1977. Sur un tir anodin de Léon Gbizié, Koffi Kouadio, pourtant sur la trajectoire, a laissé filer le ballon entre ses bras. Le Stade avait perdu (0-1).
En dehors des stades, c'est un garçon effacé.
Abdoulaye Fofana
(Ancien international de l'Asec)
Un grand gardien de but?
Sens du placement, concentration, prise de balle sûre, omniprésence. Telles étaient, entre autres, ses qualités. C'était un gardien de but qui savait transformer et arrêter les penalties. Il en imposait aussi par son physique. C'était un bon coéquipier avec beaucoup d'entrain, tout temps soucieux et solidaire.
Au cours d'une finale de coupe nationale, Koffi Kouadio, à l'époque gardien de but du Stade, avait annihilé toutes les velléités offensives de l'Asec en repoussant plusieurs de nos penalties. Bawa, tous les attaquants de l'Asec et moi-même avons tout tenté en vain! Deux ou trois ans après, il nous a rejoint à l'Asec. Souvent, je le taquinais en parlant de cette finale qu'il avait marquée de son empreinte.
Dans la vie, Dino est un garçon sociable et jovial.

Jean-Baptiste Béhi

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