samedi 27 octobre 2007 par Notre Voie

Ouvrons (une fois n'est pas coutume) l'article du jour par une caricature politique qui donne toujours à voir et à penser. Forcément. Dans un salon, il y a un poste téléviseur en marche avec l'image du Premier Ministre Soro Guillaume en meeting à Gagnoa, le week-end dernier. Devant ce petit écran, deux téléspectateurs reconnaissables, que dis-je, deux acteurs politiques, piliers essentiels du RHDP, que sont Henri Konan Bédié (Président du PDCI) et Alassane Dramane Ouattara (Président du RDR). Sur la phrase de Soro (Quand on n'a rien à proposer, on se tait?), Bédié assis (comme à son habitude) dans un fauteuil avec les yeux affolés et l'air de quelqu'un qui ne comprend pas ce qui arrive (a-t-il compris quelque chose un jour ?) est le premier à réagir : ADO, ton petit Soro parle de nous?, dit-il. ADO, debout, les bras croisés, le regard perdu mais avec l'air de quelqu'un qui n'est ni à un échec près, ni à une déception près, répond ceci : Ce n'est plus mon petit? (cf. Vu par Karlos ?, in le Courrier d'Abidjan n° 1142 du 23/10/07). Bien vu et bien dessiné. Mes linguistiques félicitations et encouragements à Karlos. Le linguiste que je suis ne pouvait laisser passer pareil dessin sans le commenter.

1/- Les surprises d'une conversation entre deux compères.

Avant de nous intéresser à l'injonction de bon sens de Soro Guillaume qui n'est guère un compliment à l'endroit des détracteurs de l'Accord politique de Ouaga qui ne proposent rien mais n'arrêtent pas de râler, faisons quelques observations sur l'échange dialogique entre Bédié et ADO, désormais compères c'est-à-dire bon amis et familiers ensemble?. L'adverbe négatif plus? est l'élément attestant que Soro a été le petit de ADO? mais qu'il ne l'est plus. Bédié qui est en commerce politique avec ADO le sait et qui sait ne peut plus dire qu'il ne sait pas. ADO ne proteste donc pas quand Bédié dit ton petit Soro?. Quelle méprise ! L'adverbe plus employé par ADO ne marque pas seulement la fin d'une idylle ou union sur fond de déception et de méprise (ne dit-on pas que l'amitié entre les monstres ne durent pas ?) mais il marque aussi le fait que nos propres créations peuvent nous échapper. C'est bien le cas et c'est aussi le lieu de relever que les tenants de la thèse archaïque selon laquelle l'on ne peut pisser pour qu'en sorte un caïman pour nous mordre doivent bien se rendre à l'évidence et se mordre stoïquement leurs doigts crochus. Quelle histoire, que dis-je, quel retournement de l'histoire ! On le voit, la méprise n'est pas une vertu et dans la vie (ce long chemin) la méprise réserve à ses pratiquants bien de surprises préjudiciables. Lecteurs miens, il ne faut jamais dire jamais-jamais?. Sait-on jamais ?

2 /- Analyse pragmatique de la phrase de Soro Guillaume.

Comme je l'ai dit supra, la phrase de Soro (Quand on n'a rien à proposer, on se tait?) n'est guère un compliment, bien au contraire. Et le dessin du jour de Karlos montre bien que le pronom ON? n'est pas aussi impersonnel que ça, les destinataires étant connus (les deux grands partis membres du RHDP) et reconnus comme étant les pourfendeurs de l'Accord politique de Ouaga. Au-delà de la colère de Soro Guillaume (qui n'a pas à se fâcher, tant la vie politique ivoirienne est faite de plus d'écoeurements, de plus de mesquineries que de grandeur), la phrase pose un problème de fond pour le champ d'activité qu'est la politique où parler est un peu un métier. On le voit dans la gestion de la cité où la distribution des rôles se fait aussi en tenant compte de la dichotomie actes (cf. l'exécutif) et paroles (cf. l'opposition appelée aussi Ministère de la parole ). C'est bon à savoir.

Sur la base de cette dichotomie l'on constate, hélas, depuis quelques années que l'un des premiers talents des opposants ivoiriens (ils ne s'y étaient pas préparés), c'est de parler pour ne rien dire?. L'abus en a fait aujourd'hui une pathologie. Ainsi, ça ne leur dit rien de parler pour ne rien dire. Comment les guérir de cette pathologie afin qu'ils soient constructifs ? A cet âge, c'est difficile. Leur demander de se taire, de ne pas parler du tout, de garder pour eux ce qui démange leurs lèvres ? C'est les tuer. Or, eux, ils ne veulent pas mourir maintenant. Le silence, même quand ils n'ont rien à dire ou à proposer, les plonge dans l'anonymat, ce qui est un glissement majestueux vers la mort politique.

3/- Faire du bruit par nécessité et par nature.

Comme les tonneaux vides, ils font du bruit, voire beaucoup de bruits incommodants. Aussi bien par nécessité que par nature. Pis, ils parlent même quand il n'y a pas d'interlocuteurs en face d'eux. Autrement dit il leur arrive de parler seuls. L'affaire est grave. Monsieur le Premier Ministre, ne pensez pas qu'ils sont fous. Non, ils ne sont pas fous mais ils ont trop de problèmes dans leur tête surtout quand ils voient le pouvoir qu'ils veulent (re) conquérir s'éloigner d'eux. En douce. Souvenons-nous de la chanson Magnoumako? (situation pitoyable ou sujet de pitié) du reggaeman ivoirien Ismaël Isaac. Quelques paroles : Regardez cet homme qui arrive et qui parle seul. Il parle seul. On pense qu'il est fou. Non, il ne l'est pas. Ce sont les problèmes qu'il a plein dans la tête et qui ont de quoi rendre fou qui le font parler seul. Si l'on ne fait rien, nombreux seront les fous dans nos rues (ni aw ma dô kê dô yé fatô-w na tchaya)?.

C'est donc leur comme ça?, Monsieur le Premier Ministre et s'ils n'arrivent pas à se taire, c'est parce que l'Accord de Ouaga a de quoi rendre fous tous les intermédiaires (véreux) expurgés du débat sur la sortie de crise par le dialogue direct. Monsieur le Premier Ministre n'oubliez ni cette donne ni cette chanson dans votre méthode de travail et avancez. Comme moi, vous n'êtes pas sans savoir pourquoi et de tout temps les chiens aboient (même pour un oui ou pour un non et ne peuvent se taire) mais la caravane passe toujours ? Tout simplement parce que contrairement aux prières (que Dieu exauce), les aboiements ne peuvent pas monter au ciel. Dieu n'aime ni le bruit ni les paroles oiseuses (du latin otiosus, oisif?, qui ne sert à rien, ne mène à rien). Or le dialogue direct a rendu notre (médiocre) opposition politique oisive. Et l'oisif ne peut se taire autant par nécessité que par nature.

Koné Dramane

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