samedi 17 novembre 2007 par Le Nouveau Réveil

C'est un terrain de 1200m2 situé à Cocody Deux Plateaux 5ème tranche, sur lequel a été construit l'Institut supérieur de l'enseignement professionnel Marie Allaba. Depuis 2003, l'épouse de Lambert Yao Koffi et le directeur du protocole d'Etat Eugène Allou Wanyou se battent pour sa paternité. La première brandit un certificat de propriété. Le dernier, une lettre d'attribution. Depuis avril 2007, la première a assigné le dernier au tribunal. Retour sur un imbroglio foncier. Le litige commence en 2003, quelques mois après le 19 septembre 2002, jour triste qui a vu l'échec de la tentative de coup d'Etat muée plus tard en rébellion et qui a provoqué aussi le "rasage" de la parcelle litigieuse, jouxtant le camp d'Agban. Dès le premier mois de 2003, des murs commencent à s'élever sur la parcelle sus-indiquée. L'épouse de Lambert Yao Koffi, un homme d'affaires jadis prospère et aujourd'hui affaibli par une longue maladie, s'étonne des travaux qui se font sur la parcelle appartenant à son époux. Le 27 février 2003, par exploit d'huissier, elle instruit le maître d'ouvrage que l'espace appartient à sa famille et l'invite à arrêter les travaux. Les travaux ne s'arrêtent pas. Le litige vient de naître. Entre Mme Koffi née Monique Kouamé et Eugène Allou Wanyou qui revendique désormais la paternité du terrain.
Titre foncier contre
lettre d'attribution
L'épouse et les enfants de Lambert Yao Koffi prennent au sérieux l'affaire. Eugène Allou Wanyou n'est, en effet, pas n'importe qui. Il est le directeur du protocole d'Etat et collaborateur direct de Laurent Gbagbo. Il fait partie du "dernier carré" du chef de l'Etat. Au palais présidentiel, il est un homme craint parce qu'il est "l'ombre du président", pour reprendre une expression que nous avons entendue à plusieurs reprises au cours de cette enquête. L'épouse et les enfants de Lambert Yao Koffi s'attachent les services de Franck Kouyaté, directeur général du Cabinet recouvrement contentieux (CRC). Ce dernier, en tant que consultant conseiller juridique, tente de préserver les intérêts de ses clients. Il confie que "le 31 mars 2003", il a "eu un entretien téléphonique" avec Eugène Allou Wanyou ainsi qu'avec son épouse. Les démarches sont vaines. Entre-temps, le 7 novembre 2003, Mme Yao Koffi obtient le certificat de propriété au nom de son époux. Le titre foncier porte le numéro 32757 de Bingerville suivant arrêté n°2353/MCU/DCDU du 27 octobre 1981 publié au livre foncier le 29 octobre 2003, BA2. Mieux, la famille obtient une ordonnance du vice-président du tribunal de première instance d'Abidjan, "autorisant le conservateur de la propriété foncière à inscrire au profit de monsieur Yao Koffi Lambert, une prénotation sur le titre foncier n°32757 de la circonscription foncière de Bingerville" Ce document, en date du 9 mai 2007, fait de Lambert Yao Koffi, le propriétaire exclusif de la parcelle et rend le titre foncier foncièrement inattaquable. Pendant ce temps, les murs continuent de grimper sur la parcelle litigieuse. Les bâtiments imposants de l'Institut supérieur de l'enseignement professionnel Marie Allaba, fière architecture vue du boulevard Mitterrand, sortent de terre. Rapidement. "L'investissement réalisé par le couple Allou est supérieur ou égal à 400 millions", estime Mme Koffi. Dans un courrier adressé à son avocat en date du 13 juin 2007. Dont l'objet est "accord pour propositions de règlement à l'amiable". Cinq jours auparavant, en effet l'avocat de la famille, avait informé Franck Kouyaté que son "cabinet a été approché, téléphoniquement par le conseil de la partie adverse, à l'effet, d'un règlement amiable" de l'affaire, désormais devant les tribunaux (depuis avril 2007) sur plainte de Mme Yao Koffi.
Les erreurs de l'Etat?
Eugène Allou Wanyou que nous avons rencontré à notre demande, le lundi 5 novembre dans son bureau de la résidence présidentielle à Cocody ne nie pas qu'il y a problème sur le terrain. En présence de son avocat et de deux responsables de Notre Voie, journal officiel du Front populaire ivoirien (FPI, parti présidentiel) dont il est, du reste, le directeur de publication, il nous a montré la lettre d'attribution du terrain signée du ministre Assoa Adou et en date du 30 Juillet 2002. "Un document antidaté", dénonce Franck Kouyaté. Il n'empêche. "C'est conformément à ma lettre d'attribution que j'ai construit", martèle, pour sa part, Eugène Allou Wanyou. Sur l'existence d'un certificat de propriété au nom de Lambert Yao Koffi, il émet des doutes sur le procédé utilisé par l'épouse de ce dernier pour l'obtenir. Pour lui, il est impossible d'obtenir un document de ce genre sur un terrain à Abidjan, non mis en valeur. Il ne reconnaît de ce fait pas le fait que la famille avance que le terrain clôturé a été rasé les jours suivant le 19 septembre 2002. "Effectivement, le nom de M. Yao Koffi est écrit dans le livre foncier. Mais moi, j'ai ma lettre d'attribution. Je ne peux pas être responsable des erreurs de l'Etat", déclare Eugène Allou Wanyou. Son avocat va plus loin : "Sur le fondement de cette attribution par décision ministérielle, Monsieur Allou s'est empressé de satisfaire à toutes les prescriptions réglementaires, dans les formes et délais légaux imposés par la lettre d'attribution, et ce, pour éviter de se voir retirer ledit lot dont il est attributaire. Ce lot était entièrement nu et dépourvu de toute construction. Ainsi, Monsieur Allou a introduit une demande aux fins de délivrance d'un arrêté de concession provisoire. De même, ayant entrepris la mise en valeur dudit lot, Monsieur Allou a déposé auprès du ministère de la Construction et de l'urbanisme, une demande de permis de construire Ainsi par arrêté N°02/MCU/DH/SDPC/SM en date du 25 avril 2006, le ministère de la Construction et de l'urbanisme (de Marcel Amon Tanoh, RDR) a accordé à Monsieur Allou, le permis de construire pour la réalisation d'un immeuble R+2, à usage d'établissement scolaire technique, sur ledit lot", fait savoir l'avocat d'Eugène Allou Wanyou. Quant à ce dernier, il fait savoir qu'il "ne refuse pas de payer le terrain. Puisque que ce soit à l'Etat ou à M. Koffi, il faut bien que je paye le terrain. Mais je veux le prix auquel le terrain a été payé. D'ailleurs l'épouse de M. Koffi est bien incapable de produire le moindre reçu". En clair, Eugène Allou Wanyou veut payer le terrain à 12 millions F CFA, sa valeur vénale en 1981. Sur ce, Mme Monique Koffi réplique que "le terrain prend au fur et à mesure de la valeur dans le temps et la détermination du prix au mètre carré est à l'appréciation du vendeur car la loi ne lui interdit pas la spéculasation en la matière. C'est comme le bon vin". C'est du moins sa position telle qu'elle a signifiée à son avocat dans son courrier du 13 juin 2007. Aussi, fixe-t-elle le prix du mètre carré non pas à 10.000 F CFA mais à 50.000 F CFA. Ce qui donne la rondelette somme de 88,19 millions F CFA outre les 20 millions FCFA de "dommages et intérêts", les 7 millions F CFA "d'impôts fonciers" et les "frais d'avocats" estimés à 1,19 million F CFA. Toutefois, elle consent une "remise exceptionnelle" de 18,19 millions F CFA et fixe le "prix de cession définitif non négociable" à 70 millions F CFA. S'il ne le dit pas, Eugène Allou Wanyou estime que ce prix relève du chantage : "La dame se dit, voilà un monsieur qui est à la présidence". Au demeurant, il trouve la démarche de Mme Koffi "amorale et inutile. M. Koffi est mourant. Au lieu de se préoccuper de cela, elle se bat pour un terrain où elle veut construire une pharmacie, parce que je crois savoir qu'elle est pharmacienne. Moi par humanisme, j'ai pris une prise en charge de la présidence pour M. Koffi au CHU de Treichville". L'avocat de Eugène Allou Wanyou ajoute que d'ailleurs "le mari a mandaté un avocat et un notaire pour approcher M. Allou par l'entremise de son conseil pour la vente du terrain". Pendant ce temps, renchérit Eugène Allou Wanyou, l'épouse "entre dans un débat de procédure". Rencontrer Gbagbo
Franck Kouyaté ne nie pas qu'à un moment, Lambert Yao Koffi dont l'état de santé se détériore, a bénéficié de la prise en charge présidentielle. Mais "ce n'est pas l'argent de M. Allou", corrige-t-il. Pour lui, Monique Koffi est fondée à défendre les intérêts de sa famille. "Yao Koffi Lambert et Kouamé Aya Monique se sont mariés en 1966 en France sous le régime de la communauté de biens. Cinq enfants sont nés de leur union et ils n'ont jamais divorcé", soutient-il. En précisant qu'elle a été amenée "à se subroger à son époux pour la défense des intérêts de tous leurs biens existants" étant donné l'état de santé du père de famille. En attendant, l'affaire court de renvoi à renvoi. Si on se réfère aux comptes rendus successifs (18 juin 2007, 17 juillet 2007, 30 juillet 2007) d'audience faits à Franck Kouyaté par l'avocat de la famille, l'audience est renvoyée "pour la production des conclusions de la partie adverse, en réplique à nos écritures". Faux ! Rétorque Eugène Allou Wanyou. "Je vous confirme que c'est la partie adverse qui sollicite le renvoi. Le 15 octobre, le 22 octobre, c'est la partie adverse qui sollicitait chaque fois le renvoi", renchérit l'avocat de Eugène Allou Wanyou. Toujours est-il que l'une des filles du couple Koffi pense que le directeur du protocole d'Etat cherche à les avoir "à l'usure". Pour sa part, Franck Kouyaté dénonce dans un courrier adressé le 6 novembre dernier à Me Odehouri, conseillère spéciale de Laurent Gbagbo chargée des Affaires juridiques, ce qu'il estime être le double jeu du collaborateur du chef de l'Etat. "Nous sommes écoeurés et pensons que Allou Eugène ne peut pas vouloir de quelque chose et de son contraire, c'est-à-dire demander à ses avocats de négocier en même temps faire du blocage", écrit-il dans son courrier dont l'objet est "demande expresse pour arbitrage du président de la République". Car estime-t-il, Eugène Allou Wanyou profite un peu trop et "certainement de sa position auprès du chef de l'Etat". Après avoir saisi plusieurs proches de Laurent Gbagbo qui se seraient déclarés incompétents à l'instar de Gervais Coulibaly, le porte-parole du chef de l'Etat, Franck Kouyaté, au nom de la famille, a décidé de saisir cette autre collaboratrice de Laurent Gbagbo. Dans son courrier, il fait une doléance : "La famille demande à rencontrer le chef de l'Etat afin de trouver la solution africaine à l'amiable pour l'honneur du président Laurent Gbagbo qui n'a pas besoin de ce genre de scandale à la croisée de cette paix que nous recherchons tous tant, après les accords de Ouagadougou". Pour sa part, Eugène Allou Wanyou veut bien "une solution à l'amiable" mais uniquement avec le père de famille. "C'est à lui de nous proposer la vente du terrain", fait-il savoir...
André Silver Konan
kandresilver@yahoo.fr

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