samedi 17 novembre 2007 par Fraternité Matin

L'Union générale des travailleurs de Côte d'Ivoire a pris d'importantes résolutions lors de la deuxième session de son comité directeur. L'UGTCI vient de tenir la deuxième session de son comité directeur. Elle a été marquée par une résolution majeure, à savoir votre implication dans le processus de sortie de crise. Quelles en sont les motivations?
Conformément à nos textes, nous avons tenu le 31 octobre dernier la deuxième session du comité directeur. Nous l'avons tenue pour deux raisons. La première pour satisfaire à un devoir statutaire. La seconde pour permettre à nos camarades d'analyser le processus de sortie de crise. On en parle beaucoup et il est bon que nous analysions cette crise pour voir dans quelle mesure nous pouvons aider à en sortir. Jusqu'à présent, compte tenu de notre culture syndicale, nous avons estimé que l'UGTCI doit s'occuper de tout ce qui est social et laisser la politique aux politiciens Dans ce processus de sortie de crise, il était bon de savoir s'il était, oui ou non, opportun de continuer dans cette voie. Le constat que nous avons fait au cours de cette session, c'est que nous ne pouvons plus continuer sur cette voie. Nous voulons nous impliquer complètement dans le processus de sortie de crise. Les hommes politiques ont leurs limites. Nous ne pouvons pas continuer de demeurer les bras croisés quand nous voyons que les choses ne vont pas bien. Nous sommes pour la division du travail (chacun doit faire son boulot), mais s'il y en a qui ne le font, il faut qu'on les aide à le faire pour le bénéfice de toute la Côte d'Ivoire. Comment va se manifester cette implication?
Nous avons dit que maintenant nous n'allons pas laisser prendre des décisions avant de venir aux nouvelles. Nous estimons que pour toute décision ayant un caractère social, nous devons pouvoir discuter avec le gouvernement, les décideurs. Nous devons nous mettre d'accord sur ces décisions, de façon à pouvoir les expliquer. Autrement, elles vont s'avérer inapplicables. La seule façon de dire qu'elles sont inapplicables, c'est de recourir à la grève. Or, nous n'aimons pas les grèves intempestives. Il vaut mieux donc qu'on en discute. Si malgré les discussions, nous ne nous mettons pas d'accord, eh bien ! on avisera. Mais au moins, on a eu cet avantage de discuter, de dire pourquoi nous ne sommes pas d'accord. C'est ce que nous voulons faire et nous allons insister pour qu'il en soit ainsi.
Y a-t-il un exemple récent qui vous fonde dans cette requête?
Nous venons de voir que l'Etat a pris une ordonnance sur les IGR (Impôt général sur le revenu). Elle concerne les travailleurs. Les statistiques ont démontré que la Côte d'Ivoire entre dans le groupe des pays pauvres. Et nous ne sommes pas loin d'un seuil de 50% de la population. Allons-nous attendre que l'impôt augmente alors que nos camarades ont du mal à joindre les deux bouts ? Bientôt, nous n'allons même pas arriver à manger notre attiéké du jour. Jusqu'à présent, nous arrivons à le manger une fois par jour. Dans quelques temps, il n'est pas certain que cela soit possible. Devons-nous laisser les impôts grimper et après, crier que nous ne pouvons pas les supporter ? Nous avons donc fait des démarches auprès des impôts pour comprendre. La rencontre que nous avons eue avec le Directeur de cette régie financière n'a pas véritablement éclairé notre lanterne. Nous nous sommes mis d'accord pour avoir les textes qui fixent les modes de calcul. Ces textes nous ont été promis pour le 15 octobre. Jusqu'à ce jour (2 novembre, Ndlr), ils ne sont toujours pas arrivés. Donc, nous avons eu recours à des spécialistes qui nous ont donné des cours sur ces textes On nous avait dit qu'il n'y aura pas d'augmentation des impôts. Maintenant que nous sommes mieux informés, il n'y en aura pas effectivement. S'il y a un franc de plus sur nos salaires, nous ne serons pas d'accord. Vous prenez déjà position?
Effectivement. Nous sommes pour les réformes, mais il ne faudrait pas qu'elles débouchent sur une augmentation d'impôts. On ne nous a pas associés et nous avons dû faire appel à des spécialistes pour comprendre. Peut-être qu'on nous appellera pour nous convaincre, pour démontrer qu'il n'y aura pas d'augmentation C'est un exemple banal, sans doute, mais qui démontre que nous n'allons plus nous croiser les bras. En laissant toutefois une place à la négociation?
Nous avons une culture de négociation. Si nous avons en face de nous des gens qui veulent négocier, nous négocierons. Mais si nous n'avons personne devant nous, nous n'avons pas d'autre moyen que de nous battre. Ça fait partie de la mission que les travailleurs nous ont confiée. Nous sommes d'ailleurs en train de soulever le problème du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti, Ndlr), parce que la vie est chère. C'est une question qui a été maintes fois soulevée par d'autres syndicats et centrales. N'est-ce pas de la récupération?
Nous nous accordons tous sur le fait que la vie est chère. Les 36 000 F qu'on donne ne pèse pas lourd devant le coût de la vie. On ne peut même pas payer son loyer, encore moins sa facture d'électricité. Ce sont des éléments que nous avons soulevés et examinés ensemble. Les prix grimpent partout. On augmente le carburant, le transport La pauvre commerçante qui vend des légumes est obligée d'adapter le coût de ses produits. Il ne faut pas lui en vouloir Nous avons relevé ainsi un certain nombre de choses que nous allons porter au gouvernement. Peut-être allons-nous être appelé à des négociations. Avec nos arguments, nous allons, je l'espère, trouver le vrai consensus ; pas un consensus à sens unique. Pour l'IGR, c'est une ordonnance qui a été prise alors que les députés à l'Assemblée nationale continuent de percevoir leurs salaires. Ils perçoivent l'argent du peuple, il faut qu'ils travaillent, surtout que nous savons que cet impôt entre en application en janvier 2008. Parler de grève, c'est jurer contre la philosophie de l'UGTCI Au contraire, ça entre parfaitement dans la philosophie de l'UGTCI. Notre philosophie, c'est de discuter. Mais, s'il n'y a pas d'entente, on fait quoi ? Chacun utilise l'arme qu'il a, bien évidemment. Nous ne faisons pas la grève pour la grève, mais seulement quand nous n'avons plus le choix.
Vous n'avez pas fait que prendre une résolution. Vous avez passé la société au crible. Quel est votre constat?
Nous avons fait le constat que la situation sociopolitique est le corollaire de la mal gouvernance et qu'il y a trop de laisser-aller dans notre société. On ne peut pas continuer comme ça. On condamne le racket par-ci, par-là, mais force est de constater qu'il est devenu une institution. On accuse les policiers, mais c'est dans tous les bureaux qu'on rackette, au vu et au su de tout le monde! Regardez devant la Banque centrale aujourd'hui ! On y monnaie l'argent au noir de façon ouverte, parce que les banques ne sont pas capables de donner de la monnaie à leurs clients. Est-ce normal que dans un pays de droit, devant la Banque centrale, le marché noir prospère ? C'est un cas parmi tant d'autres Ce sont des choses inadmissibles. Vous prônez l'assainissement de la vie publique?
Il faut assainir la vie politique et économique de ce pays. Les discours ne suffisent pasFaut-il véritablement en vouloir à ceux qui succombent à l'argent facile du racket ou
de la corruption? Le niveau des salaires n'est-il pas un facteur de tentation en soi?
C'est pourquoi nous touchons à tous les points. Nous disons qu'il faut augmenter les salaires des fonctionnaires. Le secteur privé essaie bon an mal an de régler ce problème, mais les fonctionnaires broient du noir. Nous estimons que les salaires qu'ils touchent présentement ne sont pas décents. Dans ce contexte, ils ne peuvent que chercher leur survie par des voies détournées Il faut faire quelque chose, d'autant plus qu'on parle de plus en plus de nouveaux riches . Qui sont-ils ? Comment gagnent-ils leur argent ? C'est connu de tout le monde Nous sommes dans un processus de sortie de crise, il faudrait que nous prenions de nouvelles habitudes de manière à ce que chacun trouve son compte au bout du processus. On pourrait vous rétorquer que la situation économique actuelle ne permet pas d'apporter une réponse immédiate à cette préoccupation
Comment peut-on expliquer alors qu'il y ait de nouveaux riches ? Ils ne vont pas chercher ailleurs C'est la même économie qui leur sert C'est dire que c'est l'Etat qui est pauvre, mais les individus riches ? Comment peut-on comprendre cela ?... Toutes ces résolutions ont été adoptées par le comité directeur, mais l'élément le plus important, c'est que ce comité a insisté et donné mandat expressément au comité exécutif de suivre tous ces problèmes-là et de les mettre en application. Une fois ce travail terminé, nous allons les déposer aux autorités compétentes et tenter de discuter. Si nous avons des interlocuteurs en face, nous discuterons. Sinon, nous aviserons. Mais, de loin, nous préférons discuter. Nous n'entendons pas plonger notre pays dans une situation difficile. Si ceux qui sont chargés de moduler la situation estiment que c'est cette solution qui leur convient, eh bien ! nous ferons avec. Que représente l'UGTCI aujourd'hui sur l'échiquier syndical national ? La floraison des Centrales ces dernières années, ne lui a-t-elle pas porté un coup en terme de représentativité?
Il ne faut pas se faire d'illusion. L'UGTCI est la Centrale la plus représentative de Côte d'Ivoire. Nous sommes à près de 80%. Le problème, c'est que nous avons pour philosophie de ne pas faire de bruit. Quand le pays connaît des difficultés, nous essayons de comprendre et faire en sorte qu'il s'e, tire. Mais ces Centrales qui se créent, que demandent-elles ? Tout ce qu'elles demandent est déjà connu : avancements, déblocage des salaires Ce sont des revendications que l'UGTCI n'a eu de cesse de porter avant elles. Mais pour amuser la galerie, certains créent des petits groupements et leur accordent de petites faveurs. Mais nous n'en sommes pas gênés. L'essentiel, c'est que les revendications aboutissent. Nous sommes des syndicalistes. Tout ce qui est fait dans le sens de l'amélioration des conditions de vie des travailleurs nous intéressent. Mais il ne faut pas faire de discrimination. Et vous comptez peser de tout ce poids dans toute négociation éventuelle?
Si un jour, on nous oblige à mettre notre machine en marche, vous allez vous rendre compte de notre force. Nous préférons donner l'impression que la machine est grippée.

Interview réalisée par
Elvis Kodjo

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