jeudi 20 décembre 2007 par Notre Voie

Les peuples tagbana, mangoro ainsi que leurs frères qui partagent avec eux la joie de vivre dans le vaste et paisible département de Katiola, s'honorent de la grande marque d'attention qui leur est faite en ce jour unique de leur histoire de se retrouver en ce haut lieu, siège de la République de Côte d'Ivoire. Leur joie est à la mesure de l'évènement du jour. Excellence monsieur le Président de la République, les populations ici présentes, avec à leur tête tout le corps préfectoral, ont longtemps espéré ce grand rendez-vous qui les réconcilie avec la République et l'Etat. Elles sont venues du département de Katiola, des villes d'Abidjan et de ses environs pour vous exprimer, Excellence monsieur le Président de la République, leur foi en la nouvelle espérance d'une Côte d'Ivoire réconciliée avec elle-même. Elles marquent en même temps, de façon éclatante, leur adhésion aux accords politiques de Ouagadougou que vous avez initiés en direction de votre fils, le Premier Ministre, Soro Guillaume et grâce auxquels, les Ivoiriens commencent à croire à un avenir meilleur. La cérémonie d'aujourd'hui est une autre illustration du succès de ces accords.
L'engouement des populations de Katiola, pour la présente visite, peut paraître exagéré pour certains de nos compatriotes. Mais pour nous, il se justifie. Non seulement elle nous permet de nous affirmer comme une entité homogène et importante de notre pays, mais en plus, la présente visite témoigne de l'importance qu'accorde le peuple tagbana à la paix. Il apprécie mieux que quiconque le prix de la paix. Les tristes évènements de ces cinq dernières années ont fait ressurgir aux populations de Katiola des souvenirs de leur histoire récente. C'est l'occasion de rappeler, qu'il y a à peine un siècle que le pays tagbana a connu une terrible guerre qui a bouleversé de façon profonde les données sociologiques de notre peuple. Samory Touré, c'est seulement la période des années 1870. C'était pratiquement hier. Notre peuple garde encore les stigmates de cette douloureuse mésaventure de l'Histoire. Mais le professeur Tiornan nous renseigne qu'avant Samory Touré, il y a eu, 25 ans avant, l'épisode d'un autre conquérant descendu de l'actuel Niger et qui a également livré guerre à notre peuple. La proximité des deux évènements a entraîné une telle confusion dans l'esprit des Tagbana, qu'ils ont fini par croire qu'il s'agit d'un seul et même évènement. Les conséquences de ces confrontations violentes sont encore perceptibles sur notre peuple. Non seulement, notre population a été réduite de façon drastique, mais notre patrimoine culturel en a été sérieusement bouleversé. Les noms à connotation baoulé que portent certains membres de communauté par exemple, sont le prolongement, dans le temps, des effets indirects des aléas de notre Histoire. En effet, comme toute guerre, les deux guerres meurtrières qui ont eu pour théâtre d'opération notre région ont provoqué un vaste mouvement des populations qui ont trouvé refuge dans le pays baoulé. Une génération entière de Tagbana y est née. En pareilles circonstances, l'expérience montre qu'un transfert de culture s'opère toujours au détriment du réfugié. Voilà qui justifie une certaine proximité culturelle entre le peuple tagbana qui est un sous groupe sénoufo et le peuple frère baoulé qui lui plonge ses racines dans le groupe AKAN. C'est seulement au début du vingtième siècle que les Tagbana sont revenus pour occuper les villages abandonnés. C'est vraiment récent, Excellence monsieur le Président de la République.
Votre bienveillante attention à notre égard ne s'est pas arrêtée là. Vous êtes allés bien au-delà. Votre souci de rapprocher l'administration des administrés ainsi que votre volonté de confier la gestion locale aux populations se sont manifestés au niveau de Katiola par l'érection du village de Niédiékaha en chef-lieu de sous-préfecture et les villages de Ouéréguékaha et Timbé, Badikaha et Pangalakaha en communes. Il n'y a pas longtemps, vous avez donné des instructions afin qu'une vingtaine de nos bourgs bénéficient du programme d'électrification de la Présidence. Avec autant de sollicitude de votre part en période de crise, comment ne pas voir là l'expression d'une affection particulière pour notre peuple? Or c'est bien connu chez nous. Celui qui partage avec vous son rat, ne vous oubliera pas à coup sûr le jour où il abattra un éléphant.
Vous recevez là, Excellence monsieur le Président de la République, l'un des peuples les plus anciens de notre pays. Notre emprise sur les terres ivoiriennes remonte très loin dans le temps. En effet, selon le professeur Niangoran Boa, les Tagbana sont, avec les Gagou, les plus anciens occupants de l'espace de ce qui est devenu la Côte d'Ivoire d'aujourdhui. Bien qu'étant un peuple profondément pacifique, notre odyssée à travers le temps ne s'est pas faite sur un cours tranquille. Loin s'en faut. L'histoire du pays Tagbana s'est écrite dans la douleur. De cette douleur ont poussé des valeurs qui fondent sa perception de la vie et déterminent sa conduite. Pour le Tagbana en effet, rien n'est définitivement acquis, tout comme rien n'est définitivement perdu.
Excellence monsieur le Président, il serait outrecuidant de notre part de vous exposer ce que vous savez déjà. La situation de crise prolongée a désorganisé tout le système sanitaire au Nord du pays. Katiola n'y échappe pas. C'est pourquoi il apparaît urgent de livrer à ces populations des médicaments de première nécessité afin que les hôpitaux et autres centres de santé ruraux en soient ravitaillés. Vous trouverez alors des mines plus gaies quand vous serez à Katiola.
Le réseau routier a également souffert de l'absence de l'Etat. Figurez-vous Excellence monsieur le Président de la République, que pour venir à cette rencontre, les populations de Tortya ont dû faire le détour par Dikodougou pour rallier Niakara. Elles ont parcouru plus de 100 kilomètres contre 42 en trajet direct. La raison, c'est que la route Niakara- Tortya, en plus d'être dans un état piteux, est interrompue au niveau du Fleuve Bandama à cause de l'affaissement d'un pont. Or à l'instar des autres populations ivoiriennes, celles de Tortya meurent d'impatience de vous voire. Elles aimeraient pouvoir faire le déplacement massivement lors de votre visite annoncée. Nous vous saurions infiniment gré de tout ce que vous ferez pour réhabiliter un tant soi peu cette importante route et de façon générale tout le réseau routier au niveau du département de Katiola. Sur ce chapitre, nous attirons votre bienveillante attention sur la route internationale qui est interrompue au niveau du village de Onadiékaha et surtout de son tronçon Kanawolo-Tafiré-Ferké qui nécessite des travaux de remise en état afin de désenclaver Tafiré.
La pénurie d'eau potable dans notre département se pose avec une telle acuité qu'il y a lieu d'y asseoir un vrai plan d'urgence. Une remise en état des pompes villageoises et des installations de traitement et de distribution d'eau potable dans nos villes permettrait d'éviter une véritable catastrophe humanitaire.
En prévision de votre imminent voyage à Katiola, la question de l'hébergement trouble notre sommeil. Afin de donner plus de sérénité au comité d'organisation qui sera mis en place pour l'occasion, nous vous prions d'analyser avec bienveillance la réhabilitation de l'hôtel Ambol de Katiola. C'est un symbole pour le peuple tagbana tout entier.
Excellence monsieur le Président de la République, Katiola avait sur son territoire deux complexes sucriers. L'un à Marabadiassa et l'autre à Tafiré. Non seulement celui de Marabadiassa a fermé ses portes mais celui de Tafiré est baptisé Ferké II alors qu'il est bel et bien sur le territoire de Katiola. Nous aimerions vraiment être consolés à ce niveau. Nous souhaiterions que ce complexe se nomme, si tant qu'il faut lui attribuer un nom de ville, complexe sucrier de Tafiré.
Enfin, le découpage administratif. C'est la plus grosse injustice qui est faite au peuple Tagbana depuis plus de 40 ans. Jugez-en vous-même, Excellence monsieur le Président de la République. Même si elle ne paie pas de mine, la population vivant dans le département de Katiola est estimée à plus de 200 mille personnes avec autant, si non plus, qui vivent hors du département. Katiola, c'est plus de 200 villages disséminés sur un territoire de plus de 10 000 kilomètres carrés qui part des rives du fleuve Nzi à celles du Bandama. Les villages extrêmes se trouvent à plus de 175 kilomètres du chef-lieu de département. Administrer un tel territoire est une vraie gageure aussi bien pour les administrateurs que pour les administrés. Le peuple tagbana espère depuis plus de 40 ans la correction de cette grosse injustice. Il espère qu'avec vous, il a l'occasion de réaliser ce rêve, surtout que votre conseiller sur ces questions est l'un des siens. C'est pourquoi, il forme le souhait ardent de voir la création d'un autre département avec pour chef-lieu Niakara. Il comprendrait alors les sous préfectures de Tafiré, Tortya, Niédiékaha, et Niakara et toutes celles qui pourraient être créées. A ce propos, nous vous prions de bien vouloir analyser la possibilité d'ériger les villages de Pétionara dans le sud de l'actuel sous-préfecture de Niakara, Badikaha et Pangalakaha dans le nord de l'actuelle sous-préfecture de Tafiré. Il est à rappeler que le village Pangalakaha abrite le complexe sucrier SUCAF. Evidemment, la doléance majeure demeure la création du département de Niakara. Toutes les personnes ici présentes retiennent leur souffle pour attendre la réponse que vous donnerez à cette doléance capitale.
Excellence monsieur le Président, nous rappelions tantôt que beaucoup d'évènements tristes qui ont jonché le parcours du peuple tagbana ont bousculé ses fondements sociologiques et culturels. L'une des marques de ce bouleversement demeure nos noms. Oui, Excellence monsieur le Président de la République, c'est un souci pour nous. Parce que c'est la survie de notre identité qui est en jeu. Cette situation est l'une des conséquences indirectes de la colonisation. En effet, dans le cadre de L'AOF, la plupart des fonctionnaires affectés dans le pays Tagbana étaient à majorité originaires de l'ancien Soudan. Une région fort islamisée. Une fois en postes, ces fonctionnaires se sont donné un autre devoir celui d'islamiser au maximum le peuple sénoufo. En vue d'élaborer un état civil, des audiences foraines ont eu lieu exactement comme celles qui ont cour actuellement. Pendant la transcription des noms, les fonctionnaires commis à cette tâche ont établi une analogie entre nos noms et les noms malinké. Ainsi, par ce jeu d'équivalences nos charmants noms Hili, Horo, Hla, Nkongo, Touh, Hié, etc sont devenus respectivement Koné, Coulibaly, Traoré, Camara, Touré, Ouattara. En ce jour solennel, nous faisons écho des voix de l'ensemble de nos populations qui souhaitent recouvrer l'entièreté de leur identité. Nous souhaitons que par un aménagement du dispositif législatif et réglementaire qui régit la matière, bénéficier d'une procédure allégée de nos noms afin que ceux des nôtre qui le désirent puissent le faire en toute quiétude et aux moindre frais. Cela est fondamental pour notre peuple.
Que notre unité retrouvée répare ce que nos propres turpitudes ont détruit. Que Dieu vous bénisse, Excellence Monsieur le Président de la République.
Je vous remercie.

Discours lu par
Koné Katina Justin

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