samedi 22 décembre 2007 par Le Nouveau Réveil

198 kms. L`axe qui part de Daloa (zone gouvernementale) à Man (zone Forces nouvelles) est la preuve vivante que les tracasseries sur les routes ivoiriennes ont la peau dure. Séparément ou ensemble, les deux forces armées ex-belligérantes rackettent sans vergogne. Nous avons été témoin de ces pratiques déshonorantes. Carnet de route sur l`axe Daloa-Man. Le véhicule "Massa" de 23 places à bord duquel nous avons pris place est flambant neuf. Le conducteur, un jeune homme insolent, refuse d`éteindre sa cigarette. Les plaintes de quelques passagers ne l`ébranlent guère. Il est suivi quelques instants par son apprenti et par un passager assis à sa droite. Il est un peu plus de midi, ce lundi 26 novembre. La fumée et l`odeur dégagées par les cigarettes qui brûlent dans le véhicule en rajoutent à la chaleur. A la sortie ouest de Daloa, un check point est tenu par des éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS). Un agent aux yeux rouges et puant l`alcool s`approche du convoi, salue les passagers et les invite à montrer leurs pièces d`identité. Ce qu`ils font tous à l`exception d`une femme d`un âge avancé qui somnolait.
Au Front
Il la fait réveiller. "Toi, tu n`as pas droit au contrôle ?", Lui demande-t-il sur ton franchement mal poli. "C`est une vieille, s`il vous plaît", laisse entendre une voix féminine dans le véhicule. "Et alors ? Rétorque l`agent. On peut pas la contrôler parce qu`elle est vieille ?" "Laissez-la descendre", fait-il savoir aux voisins de la vieille femme qui, apparemment, n`avait pas de pièce d`identité. Sur ce, le conducteur intervient : "chef, pardon, c`est une vieille". L`agent consent à laisser la vieille femme tranquille. Il ne s`empêche cependant pas de préciser que nul ne peut lui apprendre à faire correctement son travail. "Ça fait six ans. Je suis au front ici. Ça fait six ans que je ne vois pas ma famille. Donc faut pas chercher à m`énerver" martèle-t-il en rejoignant le poste où l`apprenti chauffeur s`était déjà rendu pour s`acquitter de son "droit de passage". Le véhicule quitte le corridor. Un élève qui dit vouloir rejoindre ses parents dans leur campement parce que "depuis la rentrée, y a pas cours", fait remarquer que l`agent a parlé de six ans de présence au front alors que le conflit est à seulement cinq ans. "Six ans qu`il rackette ici, plutôt", fait remarquer la voix féminine qui avait pris la défense de la vieille femme. Eclats de rire dans le véhicule. A tous les postes des FDS traversés, le conducteur descend si ce n`est son apprenti et va remettre de l`argent aux agents. A Guessabo, tous les passagers sont priés de descendre par le conducteur. Il dit à son apprenti d`aller voir le conducteur présent dans le mini car arrêté devant. "On va lui vendre les clients et retourner à Daloa" ajoute-t-il. Des passagers se plaignent qu`ils ne sauraient être comparés à des marchandises et qu`il n`était pas prévu au départ de Daloa qu`ils soient "vendus" à un autre conducteur. Les plaintes laissent notre conducteur indifférent. Il allume une cigarette, arrête le moteur, descend du véhicule et s`en éloigne. Son apprenti et le conducteur du véhicule garé devant le nôtre le rejoignent. Il s`en suit une longue palabre. En fin de compte, notre conducteur met la main à la poche et en sort de l`argent. Il le compte et le remet à son confrère. L`apprenti chauffeur revient vers nous et se met à descendre les bagages. Les plaintes, une fois, de plus, des passagers, le laissent indifférent "C`est pour vous arranger", laisse-t-il enfin tomber. La remarque fait piquer une crise de colère à une fonctionnaire d`un organisme international. L`apprenti conducteur avec son air indifférent, commence à aboyer "Daloa, Daloa". Il a fini de faire descendre les bagages et l`autre apprenti conducteur est en train de les monter à bord de notre nouveau mini car. Le conducteur de notre nouveau mini car est plus poli. Il demande pardon à la fonctionnaire internationale et lui fait savoir que le convoi va démarrer dans "cinq minutes". Il tint parole. Direction Duékoué. Cette ville n`a jamais été sous contrôle rebelle mais elle a été marquée par le conflit comme si elle l`avait été. Le 28 novembre 2002, c`est l`armée française qui a stoppé net l`avancée des combattants du Mouvement populaire ivoirien du grand ouest (MPIGO) et du Mouvement pour la justice et la paix (MJP) aidés de mercenaires libériens. Duékoué a payé un lourd tribut pendant cette crise notamment par les massacres de Petit Duékoué et de Guitrozon. Nous parvenons à ces villages situés dans la commune après avoir traversé la ville de Duékoué. A quelques mètres du corridor des FDS que nous passons sans difficultés, (l`apprenti conducteur est descendu et a remis de l`argent à un agent au poste), se trouve la fosse commune dans laquelle ont été inhumées les dizaines de personnes tuées il y a trois ans environ lors d`une attaque. La fosse commune est couverte par des herbes hautes. Elle est presqu`invisible.Taxe sur les bagages
Nous atteignons Bangolo, ville anciennement en zone de confiance et contrôlée aujourd`hui par la force mixte FAFN-FDS. Pour permettre que des douaniers ne fouillent pas les bagages des passagers, ce qui aurait pour conséquence de faire perdre le temps aux voyageurs, l`apprenti conducteur à Guessabo avait fait lever une cotisation spéciale de 300F CFA à 500F CFA à chaque passager. Il rappelle qu`une fois que le corridor mixte à la sortie de Bangolo passé, il ne dispose plus d`argent pour que les bagages ne soient plus fouillés. Autrement dit, à Logoulé (premier poste des FN dans la région des Montagnes), chaque passager doit mettre la main à la poche. Logoualé est mal éclairée. Il fait nuit. Le mini car va s`immobiliser sur un terrain vague jouxtant la voie qui mène à Man, sur lequel a été construit en hâte, un bâtiment en bois. Celui-ci sert de poste de contrôle des identités. En réalité, c`est un poste de racket. Un élément des Forces nouvelles y est assis. C`est lui qui tient les pièces d`identité qui ont été prises quelques instants plus tôt aux passagers par un autre soldat pas du tout bavard. Aux passagers, il lance : "ça fait 300 francs". Un homme qui dit se rendre à Man, tente de négocier. Il se bute à un mur. "Mon frère, si tu veux, faut pas payer. Mais c`est les moustiques qui vont te tuer ici parce que tu vas dormir ici", lui fait savoir le soldat. La négociation commence à mettre du temps. Et d`autres passagers commencent à perdre patience. Ce sont eux qui choisissent de mettre la pression sur l`homme qui négocie pour obtenir une réduction de 100F CFA à 200FCFA. Un passager se propose de payer pour lui, en fin de compte. Le soldat des FN consent à lui rendre sa pièce d`identité. Il lui fait savoir qu`il est un sacré veinard "sans ça, tu allais dormir ici". Au moment où les passagers montent dans le véhicule, un soldat, très jeune d`à peine 20 ans, s`approche d`eux et leur fait savoir qu`il doit contrôler "tous les bagages". Une dame qui se lamentait parce qu`elle disait se rendre à des funérailles dans un village éloigné de Man, est noire de colère. Elle demande au soldat sur un ton dur pourquoi il a attendu tout ce temps avant de se manifester. Celui-ci explique qu`il voyait les gens arrêter mais qu`il ne pouvait pas savoir qu`ils étaient les passagers du mini car. L`apprenti conducteur fera savoir plus tard que c`est ainsi que les soldats de ce poste procèdent toujours en vue de faire monter les enchères. La technique semble bien marcher. Puisque tous les passagers du véhicule y compris l`homme qui négociait, il y a quelques minutes, pour obtenir un rabais sur sa "taxe", consentent à cotiser, chacun 300F CFA. L`argent est remis au soldat. Le convoi peut redémarrer. Man n`est pas très loin de Logoualé. Nous l`atteignons sans incident. Au corridor à l`entrée de la ville, même impôt sur les identités, même taxe sur les bagages. Dans la région militaire commandée par Losséni Fofana, ces deux formes de racket, sont depuis bien longtemps une tradition.
André Silver Konan
andresilverkonan.over-blog.com

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