jeudi 10 janvier 2008 par Le Temps

M. Kouacou Gnrangbé Jean est le maire de Yamoussoukro et délégué départemental du PDCI. Dans l'interview, à bâtons rompus, qu'il nous a accordée le jeudi 3 janvier 2008, à son domicile de Yamoussoukro, il fait son bilan à la tête de la mairie. Et parle du transfert de la capitale et de ses rapports avec le chef de l'Etat. Quel bilan succinct pouvez-vous faire de votre gestion à la mairie de Yamoussoukro ?
C'est en mai 2001 que nous avons pris les rênes de la gestion. Dès cet instant, nous nous sommes fixé deux objectifs globaux. D'une part, l'éducation, et d'autre part, la santé. A ces objectifs, il faut ajouter la prise en compte de la jeunesse qui constitue l'avenir du pays. Nous avons construit un collège. Nous envisageons avec le District, la construction d'un nouveau collège. Dans le primaire, nous avons construit 35 classes et en avons rénové 36. Nous avons construit des logements pour maîtres. Parallèlement, nous avons octroyé des bourses d'études d'un montant de 70 millions et distribué des kits scolaires, d'une valeur de 200 millions aux démunis. Nous avons aussi accordé des subventions aux jeunesses rurales pour qu'elles puissent se prendre en charge.
Et au plan sanitaire
Sur le plan santé, je dois dire qu'à Yamoussoukro, il y a un seul CHR. Cet CHR est engorgé. Il nous fallait le décongestionner. Dans cette optique, nous avons construit 6 dispensaires et en avons réhabilité 2. Avec l'aide d'une ONG, nous avons entièrement équipé 4. Nous avons offert un bloc de radiologie d'un coût de 50 millions au CHR, en 2003. L'AJ Auxerre, dit-on, doit créer un centre à Yamoussoukro, pour développer le sport. Où en est-on avec ce projet ?
C'est de retour d'une mission en France que j'ai fait la connaissance de ce dirigeant d'Auxerre dont l'épouse est adjointe au maire. Il a promis développer le football à Yamoussoukro. Nous avons approfondi les discussions et il m'a fait la promesse qu'après les élections municipales actuelles dans son pays, ce projet prendrait forme par une visite à Auxerre pour coucher sur papiers, les échanges. Je l'ai de temps en temps au téléphone et je prie Dieu pour que leur équipe municipale soit reconduite. Les promesses tiennent toujours. Il n'y a presque plus de route à Yamoussoukro. Partout, le bitume a cédé. Que fait le conseil municipal pour y remédier ?
Nous avons hérité d'une dette de près de 2 milliards de FCFA que nous avons quasiment épongée. Yamoussoukro n'a ni grands commerces, ni industries. Nos ressources propres viennent de petits commerçants, de petits artisans. Sans la subvention de l'Etat, nos maigres moyens ne peuvent rien faire. Or, il se trouve que l'Etat se désengage de plus en plus des collectivités décentralisées, en l'occurrence des mairies. D'où notre handicap au niveau des finances. C'est avec amertume que nous constatons la dégradation avancée du bitume. Dans mes v?ux de 2008, j'ai demandé que le gouvernement nous aide à réparer le bitume. A combien s'élève le budget de la mairie ?
Il est de 2 milliards 400 millions dont 975 millions affectés aux ordures ménagères. Ce qui reste est négligeable quand on sait que le bitume coûte excessivement cher. Le contraste, c'est que les édifices sont en train d'être construits, au moment où on regarde l'existant se dégrader. On doit faire quelque chose.
Qu'est-ce qui bloque la reconstruction du marché qui a brûlé ?
Aborder ce sujet me plonge à nouveau dans l'angoisse du 24 décembre 2006. Nos commerçants ont assisté impuissants la calcination de leurs biens. Je compatis encore à leur douleur. Ce que je peux dire, c'est que rien ne bloque la reconstruction du marché. Le gouvernement et nous, travaillons sur la reconstruction. Cette fois-ci, on veut prendre toutes les garanties de sécurité.
Au lendemain de l'incendie, des dons en espèces ont été faits. D'aucuns disent que les 15 millions obtenus se seraient volatilisés. Votre part de vérité
Ce n'est pas ma part de vérité. C'est la vérité. Au lendemain de cet incendie, le gouvernement d'alors, de Charles Konan Banny, par le biais du ministre de l'Economie et des Finances a donné 5 millions de FCFA. Le RDR a donné 3 millions de FCFA et le PDCI, 5 millions de FCFA. Ça fait un total de 13 millions que les commerçants m'ont demandé de garder en attendant qu'ils décident de son utilisation. C'est sur ces paroles de confiance mutuelle que nous avons conservé les 13 millions. Il y a quatre mois, ils ont demandé qu'on leur remette les 13 millions pour la relance de leur commerce, vu que la reconstruction du marché tardait. Nous n'avons pas trouvé d'inconvénient et nous leur avons remis entièrement les 13 millions devant des témoins dont des journalistes. Toute autre chose dite sur cette affaire est fausse. Que pensez-vous du transfert de la capitale à Yamoussoukro ?
Je suis le maire d'une ville qui est en train d'être transformée pour séduire. Une ville devenue capitale qui est en train d'acquérir ses attributs. Je suis heureux et pressé de voir la construction de ces édifices s'achever. Ça sera une fête, je prie Dieu pour en être un témoin. Mon sentiment est partagé par tous les élus et cadres de Yamoussoukro. Pourtant, il est reproché aux cadres d'inciter les populations de Bèzro, l'un des sites choisis, à faire blocage
Je vous arrête. C'est archi-faux. Tout le monde est d'accord pour le transfert de la capitale. Il y a eu un petit problème au départ. Le Président Gbagbo avait pris un décret nommant trois personnalités pour le suivi de la construction des infrastructures. Le ministre chargé des Relations avec les Institutions, le Gouverneur et le maire que je suis. Malheureusement, dans la première phase, cette machine n'a pas tourné comme il se devait. Il y a eu des incompréhensions. Des choses erronées ont été dites au Président. Aujourd'hui, tout est rentré dans l'ordre. Le nouveau ministre chargé des Relations avec les Institutions, Dano Djédjé, certainement fils de paysan comme nous, a compris la nécessité d'inviter les cadres dans les villages. Il n'a pas écouté un seul son de cloche. Le Président lui-même a dit qu'il ne vient pas pour créer des problèmes. Mais, au contraire, faire profiter le transfert de la capitale aux habitants de Yamoussoukro. Sinon personne ne s'oppose au transfert de la capitale. Le transfert de la capitale à Yamoussoukro, le moins qu'on puisse dire, va accroître le besoin en logements. Y a-t-il un projet immobilier dans ce sens ?
Aujourd'hui, il y a un manque criard de logements. Les fonctionnaires ont déjà du mal à se loger. Il y a eu des projets immobiliers entre le Gouverneur et des Canadiens, puis entre le Gouverneur et les Sud-africains qui ont tourné court. Aujourd'hui, il y a des contacts dont je ne voudrais pas parler. Dès que les maisons sortiront de terre, on pourra en parler. A quand une radio communale ?
Depuis l'année dernière, nous avons programmé la radio communale. Mais, on a été confronté à deux problèmes fondamentaux. Le premier, c'est le manque de personnel. Le second, c'est que dans des villages, des enfants ne partaient pas à l'école. Par manque de logements, les instituteurs ont déserté les villages. Il y avait aussi le problème d'eau potable. Nous avons fait le choix de faire face à ces problèmes majeurs. Dans le budget de cette année, le projet de la radio communale a été reconduit.
Les lacs ne sont pas beaux à voir
Les lacs sont aujourd'hui, envahis par les nénuphars géants. Le CIAPOL veut nous aider à nettoyer ces végétaux aquatiques. Nous avons donc signé une convention. Tous les deux jours, j'appelle le Directeur du CIAPOL. Il m'a rassuré que ce travail sera fait incessamment. Avec les opérateurs économiques, ça nous coûte plus de 300 millions par an. Pis, ça repousse parce que le travail n'est pas fait en profondeur. La sécurité à Yamoussoukro. Parlons-en
Je tire mon chapeau à la police. Sans grands moyens, les agents de police font de grandes choses. Ici, s'il n'y a que des larcins, de petits vols, c'est grâce à la police. On va accroître leurs moyens pour qu'elle continue de nous garder et de garder nos biens.
Que pensez-vous de l'affaire KKB?
Les gens amplifient les choses. Je crois qu'il faut accepter certaines critiques. Vous savez, j'ai aimé certains comportements du Président Gbagbo. Depuis les années 1990, il a demandé que la presse soit libre. Que les gens soient libres de s'exprimer. Nous, en tant qu'intellectuels, souscrivons entièrement à ces affirmations. D'autant plus qu'elles aident à orienter les actions du dirigeant. J'ai vu que des journalistes sont emprisonnés, d'autres menacés parce qu'ils ne disent pas les choses dans le sens qu'on souhaite. Je souhaite simplement qu'il y ait la paix entre les Ivoiriens. On doit critiquer le voisin. Mais les critiques doivent être constructives. La prison n'est pas la solution à nos problèmes. Le faisant, on braquera les uns contre les autres. Qu'on laisse nos jeunes frères porter des critiques. Et donner des conseils à nos jeunes frères pour ne pas insulter. Un commentaire sur l'affaire Koulibaly qui a, à un moment donné, cristallisé l'actualité nationale
On entre dans la vie privée des gens sans savoir réellement de quoi il s'agit. Le Président de l'Assemblée nationale qui est un homme comme tous les autres, a dû se fatiguer à un moment donné. Il a voulu " s'évader " incognito. On le suit avec des caméras cachées pour raconter des histoires. Les élections en 2008. Vous y croyez ?
Ah oui ! Il faut y croire. Le Président de la République nous a demandé d'y croire. Il faut la confiance entre les Ivoiriens. L'accord de Ouaga commence à faire ses preuves. Et nous pensons qu'on doit y croire. Si on n'y croit pas, on ne croira plus à rien. Parce que je crois que c'est le dernier recours. Il faut croire au désarmement. Il faut croire à tout ce qui concourt à la paix, à l'unité nationale. Moi, j'y crois et je crois aussi que le PDCI sera vainqueur avec Henri Konan Bédié. Vos relations avec votre 3e adjoint, M. Djehouli (FPI) semble exécrable
Le 3e adjoint au maire, M. Djehouli Kouamé Séverin confond les relations personnelles et les relations professionnelles. Pourtant, il a travaillé pendant longtemps. J'ai été obligé de rappeler certaines règles de l'Administration à mon très cher aîné. Rien n'y fit. J'ai été obligé à un moment donné de hausser le ton. Plus jeune que lui, il n'a pas apprécié que je hausse le ton. C'est ainsi qu'on pourrait résumer le problème, entre lui et moi. Je suis allé plusieurs fois le saluer chez lui et lui demander de rejoindre les rangs. Il n'a pas voulu. J'ai même envoyé une délégation du conseil municipal aller le rencontrer, il les a renvoyés paître. Sous prétexte qu'il n'a pas affaire aux conseillers, mais plutôt au maire. Malheureusement, il laisse entendre que c'est parce qu'il a rejoint le FPI qu'on le boude. Ce n'est pas vrai. Je collabore sans problème avec des militants du FPI aussi bien dans le conseil municipal que dans les grandes écoles où j'enseigne. Existe-t-il toujours des nuages dans vos relations avec le Gouverneur ?
Avec le Gouverneur, c'est autre chose. (Il marque une longue pause). Dans la vie, il y a des gens qui se croient plus intelligents que les autres. Certains veulent utiliser d'autres pour monter plus haut. Comme nous sommes tous intelligents, ça crée des problèmes. Voilà comment je peux résumer les problèmes qui ont existé entre le Gouverneur et moi. Mais aujourd'hui, ces frictions appartiennent au passé. Nous nous sommes rendu compte que nous étions en train de donner de mauvais exemples à nos petits frères. En ce qui me concerne, tout est aplani. Maintenant, si vous remarquez de petits problèmes d'ordre professionnel, cela est dû à l'ambiguïté des textes de transfert de compétence. Ces textes ont été faits pour mettre en conflit, les acteurs sur le terrain. Ils favorisent les gouverneurs alors que le v?u de feu Me Boga Doudou était que les Districts aient un rôle de supervision.
Vos relations avec le Président de la République
Des gens racontent que Gnrangbé est devenu FPI. N'importe quoi ! Le Président de la République est le Président de tous les Ivoiriens. C'est mon Président. S'il arrive à Yamoussoukro en visite officielle ou privée, mon rôle c'est de l'accueillir. Parce que je suis le 1er magistrat. Quand je le fais, on me taxe d'être FPI. Pourquoi ? Quand le Président vient sur les chantiers des palais et que je suis avec lui, des gens appellent ma femme pour lui dire qu'ils ne comprennent plus ma position. Tout ça montre que notre sens de démocratie n'est pas encore du tout développé. Je suis PDCI-RDA, je le demeure. Cela ne veut pas dire que les gens du FPI, du RDR, du PIT sont des ennemis. Il y a quelques mois, j'ai accordé la salle de la mairie au FPI, c'était le tollé. Moi, je n'y ai pas trouvé d'inconvénients. Bien que ce soit une mairie PDCI, il y a des militants FPI et RDR dans le Conseil municipal. C'est une maison commune. Vous êtes délégué départemental du PDCI. Comment se porte votre parti à Yamoussoukro.
Je suis le représentant du PDCI dans le département. Je voudrais remercier le Président Bédié de m'avoir fait confiance. Nous sommes plusieurs cadres compétents capables de diriger le PDCI ici. Il a porté son choix sur ma personne. J'assume cette responsabilité avec l'aide de tous. Je voudrais dire que le PDCI se porte très bien ici. Ce qui nous manque ici, ce sont les moyens. Nous nous cotisons. Ce dont je souffre, c'est l'absence de beaucoup de cadres. Ils restent à Abidjan pour faire des déclarations. Je pense qu'aux prochaines élections, nous comptons être les premiers à voter le candidat de notre parti, le Président Henri Konan Bédié. Quelles seront vos priorités pour l'année 2008 ?
La priorité de cette année, c'est l'environnement. Nous allons prendre à bras-le corps le problème. Singulièrement, le problème de la propreté de la ville. Nous avons, pendant 2 ans, sensibilisé nos populations dans ce sens. 2008 va connaître une phase coercitive. Voilà donc la priorité des priorités. Evidemment la santé, l'éducation et les prises en charge seront au centre de nos priorités. Interview réalisée à Yamoussoukro par : Firmin K. Tché Bi Tché
Collaboration :
Dioh Ouncado Francis
La deuxième mort? d'Houphouët-Boigny
Le réseau routier de Côte d'Ivoire qui a longtemps fait sa fierté est en ruine. Yamoussoukro, capitale politique de la Côte d'Ivoire, village natal de feu Houphouët- Boigny, n'échappe pas à ce marasme routier. Les belles et larges avenues tracées par l'ancien chef des Akouè offrent aujourd'hui, un visage pathétique. Prosaïquement, il n'y a plus de route à Yamoussoukro. L'asphalte a entièrement cédé. Les usagers et conducteurs n'en finissent pas de rouspéter. Le maire avoue son impuissance. A raison d'ailleurs. Parce que ces milliers de tonnes de bitume coulés sous Houphouët n'ont pas été porté par le budget de la ville. L'ancien chef d'Etat a dû user de son pouvoir discrétionnaire pour trouver les capitaux. C'est normal. Puisque c'est la capitale politique. Une raison qui pousse l'actuel chef de l'Etat, Laurent Gbagbo, à donner à Yamoussoukro, tous ses attributs de capitale. Avec les constructions des palais présidentiel et des députés. Entre ces joyaux architecturaux et l'état des routes, le contraste est saisissant. Au point où un conducteur ne s'est empêché de lâcher : "Houphouët est vraiment mort". Vivement que le gouvernement applique à Yamoussoukro une thérapie de choc. Son statut de capitale l'exige.
T B T.

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