dimanche 13 janvier 2008 par Autre presse

Le Temps: Pour commencer, quel bilan faites-vous pour 2007?

Patrick De Maeseneire: L`année 2007 a été marquée par la signature de quatre contrats pour produire du chocolat liquide et certains produits finis avec quatre grands groupes, à savoir avec Nestlé (NESN.VX) pour trois pays en Europe, avec Hershey pour les Etats-Unis, avec le chocolatier anglais Cadbury pour des livraisons en Pologne et avec Morinaga au Japon. Les quatre contrats impliquent la production de 150000 tonnes de chocolat dans les deux ans à venir. Nous avons racheté de Nestlé une usine à Dijon, en France, et une seconde usine à San Sisto, en Italie, pour produire pour Nestlé et d`autres clients. Aux Etats-Unis, nous avons repris les installations d`Hershey à Robinson, au sud de Chicago, et nous construisons une nouvelle usine au Mexique. En Pologne, nos facilités actuelles suffisent parce que, avec notre nouvelle usine en Russie, nous avons pu transférer certains volumes de production de la Pologne vers la Russie. Au Japon, outre un contrat de livraison, nous avons racheté des capacités de production de Morinaga.

Autre fait marquant en 2007: l`ouverture d`une usine à Moscou qui desservira la Russie et les pays de l`Est. Cette région du monde constitue un marché en forte croissance, d`environ 5,2% en 2007 par an, juste derrière la Chine (10,8%) et l`Inde (17,9%). En Europe et aux Etats-Unis, la croissance est de 1,2% et de 2,7% respectivement.

- L`«outsourcing» dans l`industrie du chocolat, est-ce une nouvelle tendance?

- Relativement nouvelle, oui, et cela devrait continuer. Les prix des matières premières - cacao, sucre, lait - augmentent. Il y a de plus en plus de pressions sur nos clients pour chercher des moyens de production plus efficaces. Mais ils n`ont pas la masse critique pour faire des économies d`échelle. En outre, les consommateurs veulent de nouveaux goûts, ils veulent expérimenter avec des goûts, ce qui ajoute de la complexité à la production pour les industriels. Chez Barry Callebaut, nous avons les capacités et l`expertise nécessaires pour maîtriser la complexité et pour livrer à nos clients des produits à des prix compétitifs.

- Comment se présente 2008?

- Nous avons commencé l`année avec l`inauguration mercredi dernier d`une usine de chocolat à Suzhou, près de Shanghai. Le site comprend également une Chocolate Academy qui emploie deux chefs pâtissiers dont le travail consiste à former des pâtissiers chinois. Notre site de Suzhou servira également de hub pour nos opérations en Asie-Pacifique. Nous espérons sextupler nos ventes depuis la Chine d`ici 2012. Le potentiel de croissance y est énorme. Un Chinois consomme 100 grammes de chocolat par année. A titre de comparaison, un Suisse en mange environ 11 kilos. Nous remarquons que dans les zones urbaines, à Shanghai, à Hongkong ou à Pékin par exemple, où le pouvoir d`achat augmente plus vite qu`à la campagne, la consommation annuelle par personne est déjà passée à plus d`un kilo par personne.

- Mais y a-t-il assez de matières premières pour satisfaire cette demande croissante en Asie, en Europe de l`Est et ailleurs?

- Pour l`instant oui. Par contre, à cause de l`instabilité en Côte d`Ivoire, la qualité de la production baisse. Au Ghana, deuxième producteur mondial, le Ghana Cocoa Board contrôle la qualité auprès des producteurs et leur garantit un prix minimum, ce qui constitue un encouragement à la production de qualité. Cela dit, la question de l`approvisionnement en matières premières se pose dans la mesure où la demande globale augmente d`environ 3% par année suite à l`explosion de la consommation de chocolat en Asie et en Europe de l`Est. Si la demande en Chine croit plus que prévu, il y aura certainement un problème. Il faut savoir qu`une pénurie ne peut être comblée du jour au lendemain. Il faut trois à quatre ans pour que les paysans puissent planter des cacaoyers et récolter des quantités supplémentaires. On voit que l`offre de la Côte d`Ivoire n`augmente plus. En Malaisie non plus, où la production de cacao a été remplacée par celle de l`huile de palme, un produit qui rapporte plus. Mais heureusement, il y a le Ghana et l`Indonésie où la production tend à augmenter.

- Comment faites-vous pour assurer l`approvisionnement étant donné que Cargill, ADM et Barry Callebaut sont apparemment fortement engagés dans la course aux matières premières?

- Nous maintenons une forte présence physique en Côte d`Ivoire, au Ghana et au Cameroun, qui fournissent plus de 70% de la production mondiale. Nous entretenons de très bons contacts avec les planteurs ou avec les coopératives. Cela nous permet d`acheter les fèves directement chez les producteurs. La part des achats directs a augmenté à 70% en 2008, contre 62% en 2007. Nous pouvons ainsi mieux contrôler la qualité et la traçabilité des produits.

- Mais vous pratiquez aussi la surenchère des prix entre vous, n`est-ce pas?

- Non. Le point de départ pour les prix que nous payons aux producteurs est le prix coté à la bourse de Londres et à celle de New York. A partir de là, nous faisons une proposition, et c`est aux producteurs d`accepter ou de refuser notre offre. En Côte d`Ivoire, dans le cadre du programme «Partenaire de qualité» que nous entretenons avec des coopératives, nous payons une prime de qualité. C`est aussi une façon d`inciter les producteurs à livrer de bons produits et de nous rester fidèles.

- Comment le consommateur réagit-il aux fluctuations de prix du chocolat ou encore à la baisse de son pouvoir d`achat?

- Le chocolat n`est pas un produit de base. En 2001 et 2002, l`économie mondiale a traversé une crise importante. La demande n`a pas diminué pour autant. Selon un dicton, les gens mangent du chocolat pour célébrer ou pour compenser. Nous sommes dans une industrie défensive. Elle ne connaît pas de fluctuation importante de prix et la consommation ne dépend pas d`une bonne ou d`une mauvaise conjoncture.

- L`entreprise Barry Callebaut se porte bien à la bourse, qui est assez morose ces temps...

- Il ne m`appartient pas de commenter le cours de notre action. Je note seulement que l`action qui était de 150 francs à mon arrivée est évaluée autour de 800 francs. C`est un très bon retour pour les actionnaires en cinq ans. Cela n`est cependant pas mon principal intérêt. Ce sont les clients qui paient mon salaire ainsi que les salaires de mes collègues, et non pas les actionnaires.

- Allez-vous parfois visiter les planteurs en Afrique?

- J`y suis allé trois fois l`année dernière, notamment pour la pose de la première pierre d`un centre de santé à Goh, en Côte d`Ivoire. En Afrique, je me sens ému lorsque je compare le niveau de vie là-bas et chez nous. J`essaie de transformer ce sentiment en action. Je pense qu`il ne sert à rien de donner de l`argent. On ne sait pas s`il arrive vraiment aux destinataires. Pour notre part, nous construisons ce centre de santé et nous sommes en train d`ouvrir des écoles en 2008. L`éducation donne un futur aux gens et aux pays. Nous créons aussi des emplois. Environ 900 collègues travaillent dans nos usines en Afrique de l`Ouest. Nous avons construit 300 maisons pour leurs familles en Côte d`Ivoire et au Ghana. D`autres seront bientôt construites au Cameroun. Nous donnons les moyens et incitons les paysans à produire davantage.

- Les paysans n`ont-ils pas intérêt à recevoir un prix plus élevé pour leurs récoltes au lieu de recevoir la charité?

- Certainement. Les prix sont actuellement assez élevés, autour de 1100 livres sterling la tonne à la bourse de Londres. En dessous de 800 livres, ce n`est pas intéressant pour les producteurs. A partir de 1000 livres, le prix est assez attractif. Heureusement, 70% de la production mondiale, c`est-à-dire d`Afrique de l`Ouest, est cotée en livres sterling, et cette monnaie n`a pas perdu de sa valeur comme c`est le cas avec le dollar.

- Comment se fait-il que les prix du cacao soient restés plus ou moins au même niveau depuis une cinquantaine d`années?

- Le prix est déterminé par l`offre et la demande.

- Comment peut-on expliquer la soudaine chute de prix en été dernier?

- Des fonds avaient misé sur le cacao. Quand la crise de crédit a commencé, ils ont liquidé leur position et les prix ont chuté. Ils spéculent beaucoup dans le cacao, comme dans d`autres matières premières.

- Que pensez-vous des droits de douane en Europe, y compris en Suisse, qui encouragent l`importation des matières premières et pénalisent les produits semi-finis ou finis?

- Le chocolat n`est pas seulement le cacao. C`est aussi le sucre et le lait. Il faut le produire où tous les ingrédients peuvent être réunis. Ensuite, c`est mieux de produire plus près des consommateurs. Sinon, ce sera un non-sens environnemental d`importer du chocolat des pays lointains. Il faudrait beaucoup d`énergie pour assurer la chaîne du froid. Cela dit, la politique de Barry Callebaut est de traiter la matière première autant que possible sur place, dans les pays d`origine. Nous avons passablement investi dans les installations, notamment en Afrique, et nous sommes en train d`installer des capacités supplémentaires pour la transformation de fèves en Côte d`Ivoire.

Ram Etwareea
Source: le temps, Suisse

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