lundi 21 janvier 2008 par Notre Voie

La boucle du cacao n`est plus qu`un vieux souvenir dans la région de la Comoé. Le projet qui devait redonner espoir aux populations désemparées a tourné à un échec programmé. Au bénéfice de trois personnes, Henri Konan Bédié, Niamien N`Goran et un de leurs amis. Les dénonciations et les critiques n`ont rien changé.

Lalassou, petit village situé à 7km au Sud d`Ettrokro, une sous-préfecture déshéritée du département de Daoukro. Ici, comme dans toutes les localités de la région, le temps semble s`être arrêté. En pleine journée, le village donne l`air d`être endormi. Seuls quelques gamins, défiant les rayons ardents du soleil, jouent dans les ruelles. Rien ne se passe. Sauf dans la petite cour de Nanan Kouakou Kouamé Martin, chef du village, qui reçoit en audience des personnes en conflit. Le jugement qui a lieu sous un préau fait de branchages traîne en longueur. C`est à croire que le chef a trouvé là une activité pour passer le temps. Le chanceux !
C`est qu`ici, quand on n`est pas allé au champ pour cultiver l`igname, il n`y a presque rien à faire. Les maisons sont presque toutes en banco, dans le style dahoméen?, avec une toiture rouillée. C`est le signe que, par le passé, Lalassou a connu des moments de grâce. C`était aux temps de la boucle du cacao. Une belle époque qu`on évoque ici avec des larmes aux yeux. Mais la plante providentielle ne pousse plus depuis fort longtemps et pour survivre, les populations ont été obligées de s`exiler dans les zones du Sud-Ouest du pays, nouvelle patrie du cacao. Ceux qui sont restés sur place sont livrés à eux-mêmes, sans moyen de subsistance.

Gagner des revenus plus importants

Investi depuis 1987, le chef Kouakou Kouamé se souvient comme si c`était hier, de la mise en place du projet Vallée Comoé?, initié en 1998 pour permettre aux paysans de tout le département de Daoukro de cultiver de l`hévéa afin de gagner des revenus qu`on dit plus importants que ceux que peut procurer le cacao. Dans la sous-préfecture d`Ettrokro, outre Lalassou, les villages d`Ettien-Kouadiokro, Ettrokro-même, Katimansou et Zanzassou sont les premiers à être sélectionnés pour bénéficier du projet. Lors de la première réunion organisée à Daoukro, Lalassou reçoit la possibilité d`aménager une plateforme de 44 ha pour planter l`hévéa. Soit un hectare pour chacune des 44 familles du village. En attendant de voir. Les villageois, emballés, mettront pourtant 108,5 hectares de forêt à disposition pour le projet. On ne s`inquiète pas quant à l'avenir. Pourquoi le ferait-on ? Maurice Bessin Koffi, nommé directeur du projet par son ami Henri Konan Bédié, alors président de la République, est natif du village voisin de Zanzassou. Il a installé ses bureaux à Daoukro.
Quelques jours après la réunion de Daoukro, les machines arrivent dans le village et la parcelle de 108,5 ha est déboisée. Les paysans n`ont rien à payer, mais, pour nourrir les ouvriers, ils doivent cotiser pour remettre la somme recueillie à l'un des leurs qui fait faire la cuisine. Le terrain préparé, les villageois réalisent eux-mêmes le nettoyage, le piquetage et les troues. Pour avoir les plants à mettre en terre, ils se rendent en grand nombre dans le village d`Assa Komoékro, à 18 km, où un espace de 20 ha a été aménagé pour la constitution de la pépinière. Ils travaillent dur en remplissant les sachets de terre, en y plaçant les tiges greffées et en arrosant pour permettre aux plants de pousser dans de bonnes conditions. Tous les villages sélectionnés pour le lancement du projet s`y mettent.

Le manège durera

Au mois de septembre où il pleut, la pépinière est prête. Il faut à présent aller se servir en pépinière pour planter. M. Bessin fait patienter les parents qui défilent dans son bureau pour obtenir la pépinière à mettre en terre. Le manège durera jusqu`à la saison sèche.
Après les dernières pluies de la saison, les villageois se rendent compte que la pépinière qu`ils ont réalisée a disparu. A la place des jeunes plants attendus, on leur fait venir des Stooms?, c`est-à-dire des pépinières qui ne sont pas dans des sachets, mais dont les tiges ont été directement arrachées du sol. Et ces stooms? ne sont même pas greffées pour être rendues performantes. Autre dérive grave, non seulement les stooms? leur sont remises durant le mois de février où il ne pleut pas, mais elles sont transportées dans des camions non protégés, depuis le Sud du pays. Et le voyage, on ne sait pour quelle raison, dure une semaine. Arrivées à destination, toutes les plantes sont mortes et desséchées. Même le village d`Assa Komoékro, qui a fait don d`une grande parcelle pour la réalisation de la pépinière, n`a pas reçu un seul plant. Là-bas, les villageois se sont contentés des plants qui ont poussé de manière sauvage sur place, sans être greffés.
Aucun village de la sous- préfecture d`Ettrokro n`est donc servi en pépinière. Les plateformes déboisées sont gagnées par une broussaille difficile à travailler et des flamboyants en grand nombre. La plateforme de 15 ha d`Ettien Kouadiokro, les deux plateformes d`Ettrokro d`une valeur totale de 40 ha, celle de Katimansou avec 35 ha restent vides. A Zanzanou, il avait été aménagé trois plateformes dont la plus grande appartient à M. Bessin seul. Celle-ci a reçu des pépinières et la plantation pousse déjà. C`était notre forêt, la seule forêt du village. Les villageois y cultivaient l`igname. Mais, à présent, les arbres ont été abattus et on ne peut plus rien y cultiver. C`est devenu une jachère?, se désole un fils du village. Nous n`avons plus de cacao. Nous avions pensé qu`avec l`hévéa, nous pourrions nous rattraper?, regrette le chef Kouakou Kouamé. Tout l`espoir placé dans ce projet s`est envolé. Le projet a échoué. Ils ne nous ont plus rien dit?.

Le conseil général s'en mêle

En 2006, à l`instigation du conseil général, du bois de teck a été planté sur la plateforme laissée en friche par le projet Vallée Comoé?. Mais, comme pour l`hévéa, les plants sont arrivés au début de la saison sèche et seuls quelques arbres ont pu pousser. Les arbres sont donc disséminés sur le terrain. Le conseil général, conscient de sa faute, a promis de faire venir d`autres plants. Mais cette promesse reste aussi lettre morte. Et le village de Lalassou est retourné dans son coma. Comme tous les autres qui ont placé leur espoir dans le projet Vallée Comoé?. On continuera de vivre ici avec une seule pompe pour plus de 500 habitants, sans école ni centre de santé, dans l`obscurité totale.
Curieusement, il en est de même pour le village d`Adjékro situé à 2 km seulement de la plantation d`Henri Konan Bédié et à 28 km de Daoukro. Stanislas Adjé Kouakou, le chef du village, affirme que c`est son père qui a cédé une importante portion de terre à l`ancien président, dans les années 70. Interrogé sur la superficie de la plantation d`hévéa de Bédié, il manque de s`étrangler. Quoi! ça fait des kilomètres ! On ne peut pas savoir !?, s`écrit-il. Mais des personnes qui connaissent la plantation pour l`avoir fréquentée affirment, sous le sceau de l`anonymat, qu`elle fait 850 ha entrés en production il y a deux à trois ans. Dans la ville, le neveu de Bédié qui veille sur sa plantation roule de nouveau carrosse. Après un temps de vaches maigres qui l`avait poussé à vendre son véhicule et sa moto, il s`est récemment offert une 4x4 de luxe avec laquelle il écume de nouveau les maquis de la ville. Signe que les choses vont bien.
Les deux s?urs cadettes de l`ancien président de la République et son frère aîné, Marcellin Bédié, chef de village de Pépressou, ont chacun bénéficié de 50 ha. Ce qui fait 150 ha pour le reste de la famille. Il y a aussi la plantation, immense, de Nyamien N`Goran, ministre de l'Economie et des Finances sous Bédié, dont le campement est électrifié. Alors qu`à une dizaine de kilomètres, la ville d`Ettrokro était dans l`obscurité. Sollicité par les populations pour que les fils électriques parviennent jusqu`à chez eux, il aurait répondu que ces fils ne sont pas des lianes qu`on peut obtenir où on veut. Ettrokro. Enfin, il y a la plantation de Maurice Bessin Koffi, directeur du projet. A lui seul, il est propriétaire d`une des trois plateformes réalisées dans son village Zanzassou. Et c`est la sienne seule qui a réussi. Mais, pour ne pas se faire prendre, cet ingénieur des techniques agricoles a préféré créer ses plus grandes plantations d`hévéa et de palmiers dans le Sud-Ouest du pays. Ce qui lui permet d`afficher une fausse humilité devant les villageois. On sait pourtant que pour tirer un plus grand profit du projet Vallée Comoé?, il a créé une entreprise, la COTRAGRIDA, spécialisée dans l`abattage des arbres et le nivellement des plateformes villageois. Cette société était placée sous la direction de Brou André, époux de la s?ur cadette du président Bédié. Elle se faisait payer sur le budget du projet.
L`ancien chef de l`Etat se rend assez souvent dans sa plantation d`hévéa. Lorsqu`on entend une sirène suivie d`un véhicule de l`ONU, on sait immédiatement que Bédié va à Bédiékro, sa plantation d`Adjékro. Un solide portail et des vigiles veillent à éloigner tous les curieux et autres visiteurs qui n`ont rien à y faire. C`est mon père qui a donné cette terre à Bédié. Pour cela, l'ancien président ne lui a remis qu`une bouteille de gin. Avant le coup d`Etat de 1999, il nous remettait, chaque début d`année, deux b?ufs, de la boisson et quelquefois la somme de 100.000 FCFA. Depuis le coup d`Etat, il ne nous donne plus rien. Un jour, alors que je revenais des champs, il s`est arrêté à mon niveau et, à ma grande surprise, a donné 50.000 FCFA pour moi et la même somme pour les autres villageois. C`est tout ce qu`il a fait pour nous depuis le coup d`Etat de décembre l999?, raconte le chef. Il soutient que cette plantation d`hévéa a d`abord été un très vaste cacaoyer. C`est ensuite la MOTORAGRI qui a arraché les cacaoyers pour préparer le sol au planting de l`hévéa. Et la plantation s`est régulièrement agrandie jusqu`au coup d`Etat de 1999.
Il faut toutefois noter qu`Adjékro est le seul village du secteur à avoir connu le projet Vallée Comoé?. Le chef déclare que c`est en 1998 que les responsables du projet sont venus dans son village pour sensibiliser la population. Tout le village y a adhéré et 21 hectares ont été dégagés pour une plantation communautaire.
Les habitants d`Adjékro sont des privilégiés. Ici, selon le chef, les travaux se sont bien déroulés jusqu`à ce que tout s`arrête avec le coup d`Etat. Seulement 3 ha ont pu être plantés. Mais cette parcelle est retournée en état de broussaille, faute d`entretien. Un jeune prêtre de la paroisse de Daoukro est venu solliciter 2 ha auprès du chef. Il y a planté du bois de teck. Le reste de la parcelle est encore de la brousse.
A côté, la plantation de Bédié a fière allure et s`étend à perte de vue.
Aujourd`hui, le projet Vallée Comoé? qui, selon nos sources, était évalué à 8 milliards de FCFA, est complètement mort. Les bureaux qui avaient été aménagés au quartier Plateau sont fermés depuis belle lurette. Les locaux servent à présent à un établissement scolaire privé. Maurice Bessin s`est retiré à Abidjan d`où il vient assez souvent pour visiter sa plantation.
Le plus difficile à supporter, c`est qu` il n`y a personne pour donner des informations sur le projet. Aucun chiffre, aucune statistique, aucun nom, aucun bout de papier officiel.
A la société africaine de plantation d`hévéa (SAPH), un agent nous reçoit avec hésitation, mais consent à parler. En fait, il n`a rien à dire. La SAPH n`est présente dans la ville de Daoukro que depuis septembre 2006, à la suite de la signature d`un partenariat avec le conseil général de Daoukro qui veut engager une politique de lutte contre la pauvreté. Nous ne savons rien du projet Vallée Comoé?, car, à cette époque, la SAPH n`était, ici, que pour aider à la réalisation de la plantation du président Bédié. Ce bureau a été fermé après le coup d`Etat et les agents sont retournés à Dabou. Cependant, nous avons bien entendu parler du projet vallée Comoé. Les circonstances, de pilotage de ce projet ont provoqué beaucoup de réticence vis- à- vis de l`hévéa chez les populations et nous avons eu d`énormes problèmes pour nous faire accepter ici?, explique l`agent de la SAPH.
A l`agence nationale d`aide au développement rural (ANADER), Mme Agnéro, chef de zone, n`est pas plus bavarde. Les plus anciens du bureau ne sont là que depuis 2003. Le projet Vallée Comoé? était déjà mort. De plus, il était totalement autonome dans son fonctionnement et dans sa gestion. Ce que nous avons fait, c`est de leur céder une de nos parcelles pour stocker leurs pépinières à vendre aux paysans. Nous n`avons, ici, aucun document concernant ce projet?, nous fait-elle dire par son adjoint. Celui-ci nous conseille plutôt d`aller à la SAPH, qui fait aussi de l`hévéa.
Nous n`aurons pas plus de chance à la direction départementale de l`agriculture. Ayant appris qu`une équipe de Notre Voie est passée après lui, le premier responsable du service nous joint au téléphone (nous avions laissé notre numéro à ses collaborateurs) pour nous expliquer qu`il n`est là que depuis décembre 2006 et qu`il ne sait rien du projet Vallée Comoé?.
Il n`y a aucun document concernant ce projet dans mes archives. rien du tout ! ?, s`est-il insurgé.
La nébuleuse est totale. Et portant, des milliards destinés aux paysans ont été engloutis pour faire le bonheur des seuls initiateurs du projet : Henri Konan Bédié, Nyamien N`Goran et Maurice Bessin. Des centaines de plantations attendues pour aider les paysans des sous, préfectures de Daoukro, Ettrokro et Ouéllé à sortir de la misère, seulement celles de trois individus ont été réalisées. Avec une unique satisfaction qui n`est évidemment pas partagée par l`ensemble des populations cibles du projet: les plantations réalisées s`étendent à perte de vue et rapportent, chaque mois, des milliards à leurs propriétaires.


Paul D. Tayoro

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023