mardi 29 janvier 2008 par Le Matin d'Abidjan

Conformément aux derniers arrangements de Ouaga et aux conclusions du récent CPC, l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire, c'est pour le mois de juin prochain. La France vient d'émettre un son contraire. Bernard Kouchner, le chef de la diplomatie française a évoqué un éventuel report de 2 mois.b
Curieuse attitude. La France vient de s'inviter sans coup férir dans le processus de sortie de crise en Côte d'Ivoire. L'élection présidentielle prévue dans cinq mois n'est pas du goût de Nicolas Sarkozy. Et cela vaut bien la brève escale de Bernard Kouchner dimanche dernier à Ouaga. A la suite des membres du CPC, en conclave dans la capitale burkinabé quatre jours avant, le ?'French doctor'' a presque imposé une cure au processus de sortie de crise. Première remarque, il use de peu de diplomatie. Le chef de la diplomatie française fait fi des mesures convenues par Gbagbo, Soro, Bédié et Ouattara sous les auspices de Compaoré, pour battre en brèche la date de la présidentielle. A en croire le missi dominici de l'Elysée, la date de juin est intenable. L'élection présidentielle en Côte d'Ivoire peut être retardée un peu , a-t-il signifié, prenant le contre-pied des acteurs politiques ivoiriens. Une démarche suspecte, analyse-t-on dans des milieux politiques abidjanais. Que cache une irruption aussi inattendue ? S'interrogent bien d'observateurs coutumiers des manigances de Paris contre l'accord de Ouagadougou. Pour ceux-ci, la brusque sortie de Kouchner est d'autant douteuse que le CPC qui venait de se concerter n'a pas remis en cause le mois de juin. Tout au plus, les présidents du PDCI et du RDR ont-ils émis des réserves, avant d'estimer que la date est probante, pour peu que l'on mette les bouchées doubles. Il faut garder le cap de juin 2008 , a ainsi plaidé Konan Bédié dans les colonnes de ?'Nouveau Réveil'' de samedi dernier. Le plus farouche défenseur de cette date étant le chef de l'Etat. Laurent Gbagbo a réitéré sa volonté de tenir dans cette période en début de la semaine dernière, lors de la cérémonie de présentation des v?ux de nouvel an au Palais présidentiel. Il a exhorté les représentations diplomatiques à Abidjan à ?uvrer à la tenue de la présidentielle à la mi-2008. Nicolas Sarkozy et la cellule africaine de l'Elysée n'étant pas de cet avis, choisissent de ramer à contre courant. La dernière fois, le Président Gbagbo avait dit juin, mais il y a des impératifs techniques, soutient le ministre français. L'argument n'est pas original. Le CPC en a conscience, qui met tout en ?uvre pour tenir dans le délai. Tout à son jeu trouble, Kouchner banalise même un probable rejet de l'échéance. Ce n'est pas grave que ce soit repoussé d'un ou de deux mois. Franchement, ce n'est pas ça le problème , ajoute le messager de Sarkozy. L'on peut savoir gré à Paris de contribuer au dénouement d'une crise qui dure. Ceci dit, la sortie de Kouchner donne des boutons à plus d'un, dans le gotha politique ivoirien. L'accord de Ouaga tient encore la route. Les deux signataires du pacte, la Présidence et la Primature s'acharnent à tenir le pari. La Commission électorale, habilitée à soumettre une date précise ne s'est pas encore prononcée sur la caducité de juin. Des remarques qui fondent la conviction de ceux qui concluent à un sabotage. Ceux-ci se fondent sur les négociations de Lomé au lendemain de l'éclatement de la crise, vite stoppées net par Jacques Chirac. La table-ronde de Linas Marcoussis et l'accord éponyme signé le 24 janvier 2004 ont accouché d'une souris. Justement, Bernard Kouchner revient, mine de rien, sur un terme contesté des prescriptions de Paris-Kleber, matérialisation de l'accord de Marcoussis. Il s'agit des quelques trois millions d'étrangers à naturaliser et à inscrire de facto sur les listes électorales. Cette thèse âprement défendue par Alassane Ouattara et le RDR, sous Chirac, est reprise par Sarkozy. Selon Bernard Kouchner, l'un des freins à la tenue d'élection en juin, est liée à ce fait. Des gens sont devenus majeurs depuis l'établissement des dernières listes électorales , note-t-il, avant de préciser que le rajout concerne deux à trois millions de personnes. En dehors de toute donnée statistique, le message sonne comme un appui à l'édulcoration du corps électoral ivoirien. L'établissement des listes électorales, c'est du travail , argue le ministre français pour justifier et dicter le renvoi du scrutin présidentiel. Pour une certaine opinion, Kouchner veut ressusciter le schéma mort-né qui visait à man?uvrer pour Ouattara, depuis Paris. En tout état de cause, des zones d'ombre subsistent. L'Elysée, soutiennent fermement des sources, veut s'assurer de la victoire d'un poulain houphouétiste. Or les clignotants sont au rouge pour Bédié et ADO. Ces indiscrétions, estiment par ailleurs que la France manigance, pour repousser la présidentielle à octobre, pour préparer un éventuel échec des accords complémentaires de Ouaga. Et donner des moyens de contestation à l'opposition afin d'affaiblir Gbagbo. Cette parade s'explique par le fait que les conclusions du dernier CPC ont démontré que contrairement à ce que le RHDP a tenté de faire croire, Ouaga II et III ont amplement pallié les insuffisances de Ouaga I. L'Elysée craint donc que Gbagbo ne soit en roue libre pour les élections en juin prochain. D'où ce plan pour retarder le scrutin présidentiel et donner du grain à moudre à l'opposition. Blaise Compaoré, facilitateur du dialogue direct et garant de l'accord de Ouaga lui, est fort attendu. Les observateurs veulent être situés : va-t-il s'affranchir des pressions de Sarkozy pour poursuivre sa mission, ou plier l'échine devant le nouveau chef de file de la Françafrique ?

Guillaume N'Guettia

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