Une affaire de voiture sur fond d'amalgames. Victor Ekra est-il le refondateur flambeur que la presse proche du PDCI-RDA exhibe depuis quelques jours ? Le concerné en parle avec aisance.
Victor Ekra s'est offert, il y a environ dix mois, une voiture de marque Mercedes Maybach que lui-même estimee à 340.000 euros soit environ 222.700.000 Fcfa. Et non 500 millions de francs CFA comme l'ont prétendu certains articles de presse. Contrairement à ce qu'affirment les mêmes articles de presse, Victor Ekra n'est ni un militant du Front populaire ivoirien (FPI), ni un refondateur. Il est certes un ami du président Gbagbo, mais il est loin d'être un produit de la politique de refondation prônée par le FPI. Il serait plus vraisemblable de dire que Victor Ekra est un pur produit du système Houphouët-Boigny dont le représentant légal se nomme aujourd'hui Henri Konan Bédié. On pourrait aisément vérifier que le président Gbagbo a des amis dans tous les milieux politiques. Y compris au PDCI-RDA et au RDR, des partis qui le combattent. Les exemples sont légion. Le directeur de cabinet du président de la république s'appelle N'Zi Paul David, élu président du conseil général de Dimbokro en 2002 sous la bannière du PDCI-RDA. Vincent Kragbé Gadou, conseiller spécial chargé des NTIC, est un cadre du PDCI, ancien député de ce parti. Jacques Anouma, chef du service financier de la présidence de la république est aussi un cadre du PDCI-RDA. Laurent Gbagbo, président de la république, peut donc avoir des amis et /ou des collaborateurs qui ne sont ni militants du FPI ni refondateurs.
Qui est Victor Ekra ?
Victor Ekra, pour ceux qui ne le sauraient pas, est le fils aîné de Mathieu Ekra, Grand Médiateur de la République. Mathieu Ekra, faut-il le rappeler, est un baron du PDCI-RDA dans le sens plein du terme. Compagnon d'Houphouët-Boigny, il a été membre des différents gouvernements du premier président ivoirien, depuis 1959 jusqu'en 1990 et membre des plus hautes instances du PDCI-RDA jusqu'à ce jour. Ministre de l'information, ministre de la fonction publique, ministre de l'intérieur, ministre du tourisme, ministre d'Etat chargé de la réforme des sociétés d'Etat, ambassadeurMathieu Ekra aura tout eu sous le régime Houphouët-Boigny. C'est encore le successeur d'Houphouët, Henri Konan Bédié qui le nomme, en 1996, au poste de Grand Médiateur de la république, poste qu'il occupe jusqu'aujourd'hui. On imagine qu'il a bien profité de sa position dans les hautes sphères de l'Etat et du parti unique pour se mettre à l'abri du besoin. Puisqu'il est un grand exploitant agricole. En tout état de cause, beaucoup de gens savent que Mathieu Ekra est propriétaire d'une grande exploitation d'ananas et d'une bananeraie du côté de Dabou. Il se raconte que c'est dans la culture de l'ananas que le compagnon d'Houphouët-Boigny aurait fait fortune. Mais Mathieu Ekra aurait également bien d'autres investissements.
Victor Ekra, riche avant l'avènement du FPI
Ce que beaucoup de gens ne savent pas, c'est que c'est Victor Ekra, le fils aîné, qui gère, depuis plusieurs années, les biens de son père qui est aujourd'hui âgé de 91 ans. Il faut avouer que si les affaires de son père n'ont pas périclité depuis, c'est que Victor les gère bien. On peut même croire qu'il y a ajouté son grain de sel. "Je ne suis pas un politicien, j'ai mes petites affaires et c'est mieux ainsi", se défend-il. Et quand on lui parle de son goût prononcé pour les voitures de luxe, il a cette réponse : "chacun a ce qu'il aime, certains construisent des maisons à plus de 500 millions, d'autres font des cadeaux à des filles, moi j'aime les voitures". Il va plus loin. "En 1968, j'avais la première 404 avec levier au plancher et téléphone à bord ; en 1972, le président Philippe Yacé et moi étions les seuls à avoir une Thunderbird, une voiture américaine", rappelle-t-il pour dire que son goût des voitures ne date pas de l'époque de la Refondation. Et pour donner une petite idée de sa fortune, Victor Ekra affirme qu'il est le seul Ivoirien à être propriétaire de plus de 100 hectares d'hévéa en pleine commune de Cocody. C'est donc assurément un homme d'affaires prospère dont la fortune ne provient nullement du régime Gbagbo même s'il reconnaît être un ami de longue date du chef de l'Etat. "Nous nous connaissons depuis les années 1968 avec les Dominique Kangah, Robert Druid, Dr Nanou", avoue-t-il. Et s'il y a des gens qui devraient savoir que Victor Ekra n'est pas un nouveau riche, ce sont bien ceux du PDCI-RDA. Devrait-on lui reprocher d'utiliser son argent gagné à la sueur de son front pour se faire plaisir ? Pourtant, c'est bien ce que Henri Konan Bédié faisait dans les années 70 quand il ne fumait que des cigares portant ses initiales "H.K.B", alors qu'il était ministre de l'économie et des finances. C'était une folie de la part d'un homme qui, lui, gérait l'argent du contribuable. On serait bien curieux de savoir combien M. Bédié payait pour s'offrir ces cigarettes spéciales à cette époque. A moins que les attaques dirigées contre Victor Ekra ne traduisent un profond sentiment de déception. On aurait voulu qu'il mette sa fortune à la disposition du PDCI-RDA qui en a certainement grand besoin à quelques mois des élections décisives pour la carrière politique de Bédié. Pour autant, la méthode choisie n'est pas la meilleure.
Augustin Kouyo
In "Notre Voie" n°2920 u jeudi 28 février 2008