vendredi 29 février 2008 par Le Matin d'Abidjan

Dans une contribution intitulée : les maux du processus de sortie de crise (voir Le matin d'Abidjan, N°685 du Vendredi 15 Février 2008), nous tentions d'attirer l'attention des Ivoiriens sur les périls collectifs que la mise en ?uvre de l'Accord politique de Ouaga laissait transparaître. Nous indiquions tout particulièrement que, pour empêcher le retour à la paix définitive dans notre pays, les ennemis déploient deux méthodes. De l'intérieur, ils ont recours au procédé de déstabilisation par des rumeurs. De l'extérieur, ils (des membres de la communauté internationale notamment) refusent d'aider à l'application de l'Accord par des moyens dilatoires dont le non financement du désarmement, ainsi que l'encouragement discret aux coups d'Etat. La conjugaison de cette double technique de destruction engendre une atmosphère lourde non profitable à la paix. Deux semaines après la publication de cette contribution, il est important de comprendre que nous ne sommes pas au bout de nos angoisses et de nos douleurs ; car la sortie de crise comporte un piège: celui de la consolidation de la rébellion ou, si nous voulons, de l'enlisement de cette situation de ?'ni paix, ni guerre'' qui risque de déboucher sur une période de chaos. Une position pareille peut sembler paradoxale au moment où l'on veut faire admettre la fin de la crise armée à tout le monde. Cela est vrai. Mais notre but n'étant pas de provoquer une psychose de peur, nous voudrions amener les Ivoiriens à faire absolument attention, à rester éveillés pour éviter des surprises désagréables, au lieu de les conforter dans leur quête de ?'primes de résistance''. L'appât est tendu, comme l'on peut en douter, par des opposants ivoiriens qui, en encourageant une partie de l'ex-rébellion à refuser le désarmement et les élections, continuent de mener la guerre à la Côte d'Ivoire. Les récentes sorties du Président du PDCI et celui du RDR sonnent comme quelques unes des propositions confortant notre scepticisme quant à la sincérité de l'engagement de la classe politique ivoirienne à la paix. Bédié veut que les élections se tiennent sans désarmement. A première vue, la proposition de Bédié, venue en réaction à celle de Bernard Kouchner, semble extérioriser le désarroi du PDCI craignant que la prolongation des dates des joutes électorales ne donne encore plus de temps à son excellence Laurent Gbagbo de demeurer au pouvoir. En réalité, le patron du parti cinquantenaire nourrit une ambition qu'il n'oserait jamais dire publiquement. Il sait qu'il a très peu de chance de remporter les élections présidentielles à venir, face à l'actuel Président de la République dont il contestera, à coup sûr, la victoire. Abonné à la violence, il fera descendre ses partisans dans la rue, comme Raila Odinga l'a fait contre Mwai Kibaki au Kenya. Cependant, à la différence de l'opposant kenyan, Bédié croit secrètement au maintien de l'état de guerre avec une rébellion qui prendrait prétexte de l'irrégularité du processus électoral, de même que de ses résultats, pour poursuivre le siège des zones qu'elle occupe. Bien plus, il s'imagine que des membres de l'ex-rébellion profiteraient du désordre pour opérer enfin le putsch qu'ils attendent depuis six ans au moins. Inutile de se demander quelle sera la position de la prétendue communauté internationale que l'on sait acquise à la cause de tous ceux qui veulent chasser les Refondateurs de l'Afrique du pouvoir. L'intention de Bédié est donc malveillante, elle incite les Forces Nouvelles à ruser avec le processus de paix et avec le peuple ivoirien. Ne voyons-nous pas que les ?'amis'' de Soro ne se sentent pas obligés de se hâter pour le désarmement, quand bien même des difficultés objectives existent, selon le Ministre ivoirien de la défense. Pour sa part, le Président des Républicains, Alassane Ouattara invite l'ex-rébellion à rejoindre son parti. Selon le Président du FPI, ?' M. Ouattara a toujours eu tendance à agir masqué pour ne pas se salir, pour ne ternir son image. Il instrumentalise des hommes ou des mouvements. Voyez par exemple, le message adressé aux Forces Nouvelles : c'est un message qui est plus destiné à l'opinion qu'aux F.N En appelant les ex-rebelles à adhérer au RDR, Ouattara veut faire croire à l'opinion qu'il n'y a aucun rapport entre les deux mouvements, que le RDR n'est nullement concerné par la rébellion des forces nouvelles et que c'est maintenant, au nom de la paix, qu'il veut conclure cette alliance ; c'est de la manipulation.'' L'argument reste plausible. Aussi pouvons-nous prendre de tels appels comme des codes envoyés à l'endroit des ex-rebelles qui savent, de toutes les façons, qu'ils demeurent un maillon essentiel dans le jeu politique ivoirien. L'ex-rébellion est plus que jamais fondée sur son importance, les principaux opposants ivoiriens lui montrant que sans elle, ils ne feront pas le poids devant les Refondateurs aux prochaines élections. Hier, elle était sous leur tutelle. Aujourd'hui, ironie du sort, elle est devenue leur protectrice après avoir pris apparemment son indépendance. Dans le même temps, elle fait ?'l'enfant gâté'', elle se métamorphose en un mouvement que personne n'a le droit de critiquer. Ainsi, elle n'admet pas qu'on la soupçonne de refuser de désarmer. Pourtant, si elle ne porte pas l'entière responsabilité du non désarmement de ses ex-combattants, au moins, peut-on reprocher à ses dirigeants de donner l'impression qu'ils n'ont pas d'emprise totale sur leurs éléments. Sinon comment expliquer que beaucoup parmi ces derniers continuent d'agir comme si la guerre n'était pas en train de finir ? Les sites de regroupement ne sont pas prêts. C'est une réalité indéniable. Mais les ex-rebelles, dit-on, maintiennent leurs positions contrairement à leurs frères d'armes des FDS. Le Premier Ministre Soro que les Ivoiriens ont commencé à admirer devrait aller au bout de son engagement, de façon plus sincère, pour libérer son peuple. Nous ne doutons pas de ses possibilités, à moins qu'il veuille donner raison à ceux qui veulent aller aux élections sans désarmement. C'est un non-sens et un piège à éviter par tous les moyens, pour lui-même et pour toute la Côte d'Ivoire.

Par Dr Lobli Armand

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