mardi 4 mars 2008 par Fraternité Matin

Le président de l'Université de Cocody, le Pr Téa Gokou, dégage sa responsabilité et demande une enquête.

518 millions ont été soutirés des caisses de l'université. Les regards se tournent vers vous. D'aucuns pensent même que c'est vous qui avez pris l'argent. Qu'en est-il?

Il s'agit d'une opération frauduleuse sur le compte de l'université logé à la banque du trésor. En faisant son pointage, l'agent comptable a constaté le manque. Lorsqu'elle s'est rendue à la banque du trésor, à sa grande surprise, on lui présente quatre chèques qu'elle n'a pas émis.
Trois sont libellés à l'ordre de la banque Atlantique et l'autre à l'ordre de la CECP. On ne peut donc pas dire que c'est le président qui a pris cet argent puisque je ne manipule pas l'argent.
Mais, vous avez bien votre signature sur les chèques. Je contresigne les chèques. La première signature est apposée d'abord par mon agent comptable. Et moi, je contresigne, en tant que président de l'université. C'est elle qui s'occupe du reste de l'opération. Dans le cas précis, ma signature a été imitée ainsi que celle de l'agent comptable. Et qui plus est, les éléments de sécurité qui figurent habituellement sur nos chèques, à savoir le cachet sec, n'existaient pas sur les chèques incriminés. Visiblement, il y a donc du faux. Vos comptes sont-ils logés à la banque Atlantique et à la CECP?
Non, nous n'avons pas de compte à la banque Atlantique. Comment expliquez-vous que ce soit dans ces banques que l'on ait déposé les chèques incriminés?
C'est aux personnes indélicates qu'il faut poser la question. Parce que les relations que nous avons avec les banques portent sur les virements de salaire. Nous n'avons jamais viré de salaire à la banque Atlantique sauf au mois de décembre pour un seul enseignant. A la CECP, nous virons huit millions par mois. En plus, le virement des salaires est accompagné de la liste des enseignants ou des agents bénéficiaires. La crise dure maintenant depuis deux mois. Pourquoi n'avez-vous pas porté plainte jusque-là?
Je peux porter plainte en tant que personne ayant subi un préjudice. Mais, il faut savoir que c'est le ministère de l'Economie et des Finances qui manipule les fonds à l'université. L'agent comptable relève de ce ministère. Il est vrai que son bureau se trouve à l'université, mais elle ne fait pas partie de mon organigramme. Elle aurait bien pu se trouver au trésor ou ailleurs. Le ministère de l'Economie a porté plainte. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la police économique a été saisie. A notre niveau également, nous avons porté plainte contre X, mais pour préjudice subi puisque cela met à mal notre trésorerie. Comment expliquez-vous toute cette campagne autour des 518 millions?
C'est du dénigrement pur et simple. Je suis très peiné d'entendre des enseignants parler de détournement, d'autant qu'ils savent bien comment se passent les mécanismes. En voulant dénigrer leur président comme ils le font, c'est toute l'université qui est éclaboussée. Ils veulent peut-être m'abattre, c'est leur droit. Mais, ils trouveront un roc sur leur route. Parce que je ne baisse jamais les bras devant l'adversité. Ils veulent manipuler l'opinion pour me transformer en bourreau alors que je suis la victime. Si j'avais volé les 518 millions, je n'aurais pas été le premier à le dénoncer. C'est plutôt vers la banque du trésor que nos regards doivent être tournés, parce que c'est là que se trouvait l'argent. Votre train de vie ou celui de vos collaborateurs est peut-être un problème. Non?
Mon train de vie est normal. Dans mon travail, je fais beaucoup de représentations en tant que président de l'université. En plus, j'ai deux rôles. Je suis président de l'université de Cocody,
la plus grande université d'Afrique francophone et de l'océan Indien, mais je suis également, président du comité consultatif général du Cames. Cela veut dire qu'en dehors de mon travail au niveau de Cocody, je dois faire Et représentations dans ces espaces que je viens de vous citer. Ce sont peut- être mes missions qui font croire que l'on gaspille de l'argent, mais non. Cela fait partie de mon travail. Et ces missions ne peuvent pas s'évaluer à 300 millions. D'ailleurs, elles sont programmées et recueillent toujours les signatures du ministre de tutelle, de celui de l'Economie et des Finances, ainsi que du ministre des Affaires étrangères. On ne se lève pas du jour au lendemain pour aller en mission. Parler de mon train de vie, c'est me faire un faux procès.
Vous dépensez environ 300 millions de frais de voyages. Pour un président d'une université modeste, c'est quand même beaucoup Il ne s'agit pas de déplacements du président de l'université. Il s'agit de toutes les missions qui sont effectuées pour le compte de l'université de Cocody. Par exemple pour nos enseignants qui vont passer le concours d'agrégation, nous payons des frais fixes. La candidature d'un enseignant nous coûte 950.000 FCFA. Nous payons également les frais de dossier pour la promotion de nos enseignants. Ils s'élèvent à 350.000 FCFA par dossier. Généralement pour les frais fixes concernant les dossiers du Cames, nous payons environ 87 millions. Le concours nous coûte environ 100 millions. Ce qui fait déjà 187 millions. Nous avons des enseignants qui viennent de l'extérieur, soit pour participer à des jurys de thèse, soit pour participer à la recherche de certains enseignants ou pour dispenser des cours. A ceux-là, nous donnons pratiquement 50 millions. Nous payons également des frais fixes, tels les voyages d'études que j'ai moi-même institués. Notez le bien. Vous voyez déjà qu'il y a beaucoup d'argent qui part. Les voyages d'études se passent entre une minorité et tout le monde n'en bénéficie pas. N'est-ce pas une injustice?
130 millions ne suffisent pas pour donner des voyages d'études à tout le monde. Nous procédons donc à un appel à candidatures. Parce qu'il ne s'agit pas de donner un perdiem à un enseignant. C'est en fonction de l'avancement de ses travaux. C'est pour cela que les voyages d'études sont uniquement destinés aux enseignants de rang B et non aux maîtres de conférences ou aux professeurs titulaires qui sont déjà avancés. Nous voulons que les travaux des enseignants de rang B avancent pour qu'ils puissent acquérir des promotions.
Comment avez-vous été élu?
La CNEC conteste la procédure d'élection du président
La procédure d'élection du président de l'université est déterminée par un décret. Il s'agit d'une élection des grands électeurs. Le président de l'université est élu par le conseil de l'université composé de personnalités extérieures dont le nombre est déterminé par le décret et par les conseils des UFR, centres de recherches et écoles. Ils sont élus depuis la base, dans les UFR. Qui à leur tour élisent le président de l'université. C'est un mode d'élection démocratique qui existe dans plusieurs pays. L'université est confrontée à des problèmes d'ordre académique depuis plus d'une dizaine d'années. Pourquoi rien n'a changé depuis?
L'université de Cocody a été construite pour 7000 étudiants. Depuis, les infrastructures n'ont pas bougé notablement. De telle sorte qu'aujourd'hui, nous comptons 60.000 étudiants avec les mêmes infrastructures qui existaient il y a quarante ans. L'université est subventionnée à 95% par l'Etat de Côte d'Ivoire. Cela veut dire que s'il ne met pas la main à la poche, nous sommes bloqués. C'est pour cela que nous avons proposé à maintes reprises que les frais d'inscription soient relevés. Du temps de l'ancien ministre Séry Bailly, un séminaire avait même été consacré à cela. On avait fixé le taux de 50.000 FCFA. Voulez-vous dire qu'il faut absolument passer par l'augmentation des frais d'inscription?
Absolument, pour augmenter les fonds propres de l'université qui doivent s'élever au moins à hauteur de 30% du budget. A l'université de Lagon, au Ghana, où nous avons envoyé une mission, les frais d'inscription pour les Ghanéens s'élèvent à 350.000 FCFA. Au Togo, au Cameroun et au Burkina, ce sont respectivement 25.000, 50.000 et 15.000 FCFA. Ils ne sont pas plus nantis que nous. Pourquoi restons-nous à 6.000 FCFA ? Nous avons comme argument la pauvreté des parents, mais inscrire un enfant à la maternelle, revient beaucoup plus cher. Il faut que nous fassions quelque chose pour notre université. Parce que quelle que soit ma bonne foi, je suis limité, face aux difficultés majeures. Cela fait six ans que vous êtes à la tête de l'université. Qu'avez-vous apporté à l'institution?
Il y a souvent une confusion avec les ?uvres universitaires, qui relèvent du CROU (Centre régional des ?uvres universitaires. (Ndlr) et nous. En ce qui nous concerne, nos compétences se limitent à la partie académique. Nous avons achevé la réforme de la loi de 1995. Ce n'était pas facile parce qu'il fallait instituer des unités de valeur dans toutes les UFR. Aujourd'hui, nous savons qu'il existe des maquettes pédagogiques dans nos UFR. Nous avons mis un accent particulier sur la scolarité où nous avons les inscriptions en ligne. Quand un élève est admis au Bac, il lui suffit de composer un numéro ou d'aller sur notre site (www.ucocody.ci). Une fenêtre s'ouvre et il remplit lui-même sa fiche de préinscription. Aujourd'hui, la carte d'étudiant est délivrée 48 heures après l'inscription. Je vous ai parlé tantôt de voyages d'études, pour que les enseignants aillent se frotter à d'autres expériences.Par ailleurs, nous avons fait une réflexion profonde sur notre connexion à internet. Pour cela, nous sommes allés vers d'autres pays. Vous avez sûrement entendu parler du don de l'Etat de Corée.
Des ordinateurs?
Il n'y a pas que les ordinateurs. La Corée nous a fait tout le câblage pour notre computeur room et un don de douze serveurs, à hauteur de près de 400 millions de FCFA hors taxe. Actuellement nos étudiants peuvent consulter les banques de données. Ce n'est pas seulement pour surfer. Avec les douze serveurs, on peut s'occuper de tous les services de l'université. A partir de là, nous avons donc fait notre plan directeur informatique. Il est pris en compte dans le budget 2008. C'est un projet de près de cinq milliards FCFA. Nous nous dirigeons également vers des donateurs, notamment le district d'Abidjan. Un projet de construction de deux amphithéâtres de 600 places chacun va bientôt être exécuté. Nous avons en projet la construction d'un grand bâtiment en U, R+2 qui va abriter les salles de TD et des bureaux pour nos enseignants. Parce que là aussi il y a un manque criant de bureaux. L'université compte environ 1200 enseignants pour 60.000 étudiants. Comment sont organisés les enseignements? Nous avons un ratio d'un enseignant pour quarante étudiants, dans l'ensemble, pour toutes les UFR confondues. Il y a des UFR où la situation s'est améliorée. C'est le cas des UFR de Sciences de la Santé, où le ratio est respecté. C'est surtout dans les UFR de Lettres et des Sciences humaines, Droit et Sciences économiques que le ratio est vraiment faible. L'année académique 2007-2008 a-t-elle démarré?
Elle a démarré pour certaines UFR, mais pour d'autres, l'année universitaire 2006-2007 est encore en cours. Ce sont les UFR où l'on rencontre des difficultés d'encadrement. Il faut dire aussi que le retard que nous accusons est dû aux grèves. Avant c'étaient des grèves des étudiants. Aujourd'hui c'est nous, enseignants qui faisons des grèves. Et en cumulant trois mois de grève, nous avons empiété sur le temps des cours. En votre qualité de président de l'université, qui a sous sa responsabilité enseignants et étudiants, que faites-vous pour qu'il y ait une accalmie à l'université?
Nous faisons beaucoup. Le problème, c'est que les revendications syndicales ne sont pas adressées au président de l'université. Il s'agit généralement de revendications salariales. Je suis moi-même fonctionnaire, donc salarié de l'Etat. Ces revendications ne me sont pas adressées, mais plutôt au gouvernement. Quant aux étudiants, nous leur faisons comprendre qu'ils sont là pour les études. Apparemment le message est passé. Puisqu'ils ont pris la résolution de ne plus jamais manipuler de machettes, mais d'accorder le privilège à leurs études. Récemment, ils ont restitué 530 chambres occupées illicitement. Quel commentaire cela vous inspire-t-il?
J'ai salué cette action et j'ai même rencontré les responsables. Je leur ai même demandé d'aller plus loin pour se réconcilier avec la population, vu que leur image est ternie. Un conseil de gouvernement s'est tenu ici et semblait susciter beaucoup d'espoir. Avez-vous commencé à percevoir les retombées?
Les résultats sont bien maigres, mais je ne désespère pas. Puisque l'administration est une continuité. Hier, c'était l'ancien Premier ministre Banny. Le conseil de gouvernement avait pris la résolution d'achever la construction des amphithéâtres et salles de cours, qui faisaient partie du programme de développement de l'université depuis 1995. Je n'étais même pas encore doyen. Ces bâtiments sont toujours dans les broussailles. On compte des bâtiments de Biosciences, de Droit, de Sciences de la Terre et de Criminologie. Tout cela faisait partie d'un programme d'urgence. Le conseil avait également promis des ordinateurs à travers le ministère des NTIC. Nous les attendons toujours. En fait, nous attendons que le calme revienne pour rappeler au gouvernement ce qu'il avait promis au cours de ce conseil. Mais un Premier ministre est en fonction depuis plusieurs mois. L'avez-vous rencontré pour poser vos problèmes?
Vous savez que sa mission première est de rétablir la paix par l'application de l'Accord politique de Ouagadougou. Du coup, la gestion quotidienne des affaires est reléguée au second plan, mais il n'ignore pas nos problèmes. Je lui ai remis un document à ce sujet. Comment expliquez-vous que les enseignants ne disposent pas de budget, pour la recherche?
C'est le paradoxe. Dans notre budget de fonctionnement, il n'y a pas de chapitre destiné à la recherche. Mais je pense que le ministère de tutelle doit mettre en place un plan d'action pour penser effectivement à la recherche. Car elle nécessite beaucoup d'équipements. Et les appareils coûtent excessivement cher. Dans mon domaine par exemple, il y a un appareil dénommé résonance magnétique. Il peut coûter un milliard. C'est son application qui a donnée l'imagerie de résonance magnétique utilisée par les médecins. Quand un tissu n'est pas sain, même à l'échelle microscopique, il peut être révélé par l'imagerie de résonance magnétique. C'est le cas du cancer. Quand il est décelé très tôt, on en guérit à 100%. En matière de recherche, il n'y a pas des pays développés et d'autres sous-développés dans la mesure où nous avons tous le même cerveau. La preuve, une fois à l'extérieur, nos étudiants et enseignants font partie des équipes de pointe. La seule différence est que nous n'avons pas de moyens. Il faudrait qu'un jour, une volonté politique forte se manifeste afin que nous puissions commencer à faire véritablement de la recherche. Des résultats importants sont emmagasinés dans les tiroirs de nos laboratoires. Pourquoi ne les faites-vous pas divulguer?
Ce ne sont pas les chercheurs qui doivent les divulguer. Le CNRA fait de la bonne recherche avec le peu de moyens puisque nous y envoyons des universitaires, des ressources humaines. Il y a par exemple des résultats sur le paludisme dans nos laboratoires. Mais quel opérateur économique peut faire face à de gros producteurs antipaludéens? Il faut une réelle volonté politique pour que nos médicaments africains semi-finis puissent se retrouver dans les officines. Cela se fait bien au Cameroun, au Sénégal et au Burkina Faso. La plupart de vos enseignants courent vers les universités privées, à cause des difficultés de l'université publique. A cette allure, ne craignez-vous pas que votre institution soit dévaluée?
Les universités privées doivent avoir l'aval des universités publiques pour valider leurs programmes académiques. C'est la loi qui le dit. Et plus loin, pour qu'elles soient reconnues, elles doivent faire valider leurs enseignements au Cames. Ces universités privées fonctionnent à 95% avec des vacataires qui sont nos enseignants. Ils y vont pour arrondir leurs fins de mois. Leurs enseignements ne peuvent pas être supérieurs aux nôtres puisque nous sommes tenus de les juger. C'est même une illusion de croire que leurs enseignements sont supérieurs à ceux que nous produisons dans les universités publiques. Ce n'est pas parce qu'elles ne font pas de grève qu'elles sont meilleures. D'autant plus qu'elles tapent encore à nos portent pour faire des diplômes de troisième cycle. Leurs diplômes ne peuvent pas être reconnus au niveau national s'ils ne sont pas validés par nous. Dans le cas contraire, ils restent des diplômes maison.



Interview réalisée par Marcelline Gneproust

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