mardi 4 mars 2008 par Nord-Sud

Après l'enterrement d'un des leurs, tué froidement par un élément du Cecos, les transporteurs ont été gazés par les forces de l'ordre dimanche, à leur sortie du cimetière de Yopougon. Témoin des faits, le président de la Ligue ivoirienne des droits de l'homme dénonce ici le manque de professionnalisme de la police et fustige la mauvaise gouvernance des pouvoirs publics.


?De nouvelles tensions ont ressurgi dimanche à Yopougon, alors que les transporteurs et des associations de la société civile étaient allés inhumer Lanciné Bamba, le chauffeur de gbaka, tué mercredi par des éléments du Cecos. Comment avez-vous vécu les évènements?

Nous avons vécu ces évènements de façon douloureuse. Nous n'étions pas seuls. En plus de la Lidho, il y avait le secrétaire général de la Convention de la société civile ivoirienne. Nous avons constaté la forte mobilisation des transporteurs qui sont venus témoigner leur solidarité à la famille du défunt. Mais, déjà sur le chemin du départ vers le cimetière de Yopougon, il y avait quelques provocations de la police. Au retour également, il était prévu que les transporteurs se rassemblent à Yopougon-Sable pour donner des consignes par rapport à la conduite à tenir. Je suppose que la police n'a pas souhaité que les gens viennent se regrouper pour faire un meeting. Donc ils ont procédé à une dispersion des marcheurs. Je trouve cela inadmissible dans la mesure où c'est un élément du Cecos qui a abattu Lanciné Bamba. Nous condamnons très sévèrement cette attitude des forces de l'ordre. A Yopougon, les forces de l'ordre ont créé plus de désordre que d'ordre.

?Le décompte est macabre. Aujourd'hui cela fait au total 43 chauffeurs abattus froidement par des agents des forces de l'ordre. Qu'est-ce qui explique autant d'atteinte aux droits élémentaires à la vie ?

Pour nous c'est le mauvais recrutement des agents des forces de l'ordre. Nous avons toujours dénoncé la manière peu fiable, peu crédible et complaisante de recrutement des éléments des forces de l'ordre. On recrute des gens de moralité douteuse qui sont dans les rangs des forces de l'ordre. La formation également laisse à désirer, c'est-à-dire le programme de formation à l'école de police. La Lidho a demandé qu'on y enseigne des cours sur les droits de l'Homme. On l'avait fait pendant deux ans en 1996 et 1997, après plus rien. Donc ce sont des brutes qu'on forme et les conséquences sont déplorables. Ce qui est valable pour les forces de l'ordre aujourd'hui l'est aussi dans plusieurs secteurs de l'administration où le recrutement est sujet à caution au niveau de la crédibilité et de la fiabilité. C'est courant dans les domaines de la santé, de l'éducation,

?Quels doivent être donc selon vous les critères de choix ?

Il faut tenir compte de la compétence et du mérite. Cela suppose qu'il faut revoir totalement la manière d'organiser les concours dans les écoles de police et de gendarmerie. Il faut revoir la méthode de recrutement au Cecos. Le Cecos a pour mission principale de combattre le grand banditisme. Aujourd'hui, il se met à racketter, à contrôler les pièces des véhicules. C'est vraiment regrettable. A chaque fois, on ira voir les parents des victimes pour les soulager avec quelques billets de banque, au lieu de prendre des meures vigoureuses pour assainir la police, la gendarmerie et l'ensemble des rangs des forces de l'ordre.

?Autour de ces différents meurtres, se greffe toujours l'épineux problème du racket.

Nous avons fait beaucoup de déclarations en ce qui concerne la Lidho. Cela ne semble pas porter ses fruits. De temps en temps le commissaire du gouvernement prend quelques mesures d'affectation des éléments qui commettent ce genre d'actes. Parfois, on les retrouve dans leur unité de base. La solution, c'est que les gens qui commettent des meurtres puissent être jugés et qu'on puisse leur infliger les corrections appropriées et prévues par la loi. On doit assainir tous les secteurs de la vie publique : la police, la magistrature, C'est pour cela que nous demandons qu'on aille au consensus national. Ce qui se passe à la police, n'est que la face visible de la gouvernance qui laisse à redire en Côte d'Ivoire.

?Pourtant, jusqu'à présent il n'y a eu aucune réaction officielle pour condamner ce drame

C'est que parfois, les autorités donnent l'impression qu'elles ne réagissent que suite à des violences, à des menaces. Il n'y pas d'anticipation ni de sanction appropriée. C'est le règne de l'impunité. Donc quand les victimes ont l'impression, qu'encore une fois, l'impunité va régner, malheureusement elles sont amenées à prendre des positions radicales. Parfois au mépris des règles élémentaires des procédures en matière de grève. C'est le désordre total. Il faut que les autorités anticipent et montrent que les gens qui sont coupables d'actes répréhensibles seront effectivement réprimés. Et qu'on donne des corrections exemplaires pour ne pas que d'autres policiers ou agents aient la même tentation. Tous les régimes qui se sont succédé ces 15 dernières années en Côte d'Ivoire, ont montré qu'ils étaient impuissants face aux dérapages des forces de l'ordre. Le gouvernement actuel fonctionne dans une certaine logique qui ne favorise pas forcément la lutte acharnée contre l'impunité et la culture de la gouvernance. Donc on doit aller au consensus national pour que les futurs gouvernements qui viendront après les élections soient des gouvernements de rigueur, de démocratie, de transparence et de bonne gouvernance, issus d'un nouveau pacte social.

?Vous l'avez vous-même reconnu, il y a eu plusieurs campagnes de sensibilisation. La dernière en date est la flamme économique? lancée par les transporteurs avec à leur tête le commissaire du gouvernement. Malgré cela, les dérives continuent. Où se trouve réellement le problème ?

Il est difficile de prendre du vernis pour soigner une plaie profonde. Le pays est malade, il faut une véritable thérapie pour le soigner. C'est le consensus national qui nous permettra de signer un nouveau contrat social. Même les campagnes de sensibilisation faites par les Ong sur les droits de l'Homme, ont un impact limité parce qu'il faut aller jusqu'à la racine. Ce que je dis n'est pas hors de portée des Ivoiriens. Allons au Botswana, à l'Ile Maurice et tout près au Ghana. Vous verrez comment la corruption a diminué dans ces pays-là. Justement parce qu'il y a eu des mesures à caractère consensuel.

?Justement au niveau de la mauvaise gouvernance, le Directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, a interpellé le 25 février à Ouagadougou, le chef de l'Etat Laurent Gbagbo

Strauss Kahn a parfaitement raison. Parce qu'ils savent le mal qui ronge les pays africains. C'est trop facile d'accuser souvent le Fmi, la Banque mondiale et la communauté internationale d'être à la base de nos malheurs. Est-ce que c'est la communauté internationale qui demande aux présidents africains de changer leur Constitution? Est-ce que c'est elle qui leur demande de sacrifier une bonne partie du budget de l'Etat dans les dépenses inutiles et improductives? La plupart des pays africains sont dans cette situation. Entre 15 et 30% des dépenses budgétaires des pays africains sont des dépenses improductives parce qu'elles n'ont pas un impact avéré sur la croissance économique et sur la lutte contre la pauvreté. Ce sont des dépenses de gaspillage. Prenez les budgets de souveraineté des chefs d'Etat africains. Ce qui est déclaré est différent de ce qui est réellement utilisé. Est-ce que c'est utile pour la lutte contre la pauvreté ou bien pour le financement des campagnes et autres achats d'armement. Nous devons donc revoir la gestion du budget et des ressources nationales. Je ne suis pas l'avocat du Fmi, mais les pays africains doivent montrer qu'ils méritent d'être aidés en assainissant leur gouvernance. Si on le fait, ces pays auront moins besoin du Fmi comme on le pense. Il faut revoir la gestion des Etats africains car la principale cause de l'instabilité socio-politique et de la misère de milliers d'Ivoiriens et d'Africains, c'est la gestion très peu rigoureuse des ressources.

Interview réalisée par Cissé Cheick Ely

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