mardi 4 mars 2008 par Le Matin d'Abidjan

Douze mois que l`accord de Ouaga suscite espoir et méfiance. Conséquence, son application connaît des moments de tourmente. Au plan interne et externe, le Premier ministre fait face aux manigances de ceux qui estiment qu`il a trahi, en ayant partie liée avec l`adversaire à abattre : Gbagbo

Les enquêtes n`ont pas encore abouti. L`attentat perpétré contre Soro Guillaume le 29 juin 2007 à l`aéroport de Bouaké demeure donc officiellement une énigme. Il n`empêche. Les forces nouvelles et une opinion largement répandue attribuent l`attaque de l`avion présidentiel aux forces impartiales. Les casques bleus de l`ONUCI et les soldats français de la Licorne sont fortement soupçonnés d`avoir voulu attenter à la vie du Premier ministre, près de trois mois après sa nomination. L`émoi qu`a suscité la fusillade était, en ces temps-là, à la mesure de la confiance placée dans les conclusions du dialogue direct. Du moins, par une proportion importante de la population. De fait, l`accord politique de Ouaga signé le 4 mars 2007 irritait une frange de leaders politiques et leurs partisans. Notamment, les ténors du RHDP cachaient mal leur exaspération de se voir écartés du processus de sortie de crise. Konan Bédié et Alassane Ouattara venaient de perdre leurs illusions. Les patrons du PDCI et RDR ont fait grise mine dès l`entame des pourparlers, jusqu`au décret présidentiel qui a porté Soro à la Primature. Ils ont surestimé la capacité de la France à conduire à sa guise la résolution de la crise. La toute puissance du groupe de travail international était encore de fraîche mémoire chez les houphouétistes. A Paris même, bien des sources notent l`agacement des anti-Gbagbo. En Côte d`Ivoire comme en France, Soro passe pour un traître. Les réseaux françafricains fulminent contre celui qu`ils ont adoubé pour évincer Gbagbo. C`est dans cette atmosphère qu`intervient l`attaque contre le Fokker 100 qui transportait Soro et sa délégation venus pour l`installation de l`administration judiciaire, en prévision des audiences foraines. La guerre qui couve entre les forces nouvelles et leurs alliés d`avant dialogue direct explique sans doute les premières réactions. Personne à Bouaké ne doute de l`implication de la France dans l`attentat. De Soro à Issiaka Ouattara dit ``Wattao`` en passant par le porte-parole des ex-insurgés, Konaté Sidiki, une unanimité se dégage. A les en croire, c`est la force Licorne qui a monté le coup et instrumentalisé l`ONUCI. Les FN venaient ainsi d`essuyer la première colère des parrains d`hier. Au plan local, Bédié continue de ruer dans les brancards. Le PDCI est invité à retirer ses membres du gouvernement Le RDR garde un silence qui en dit long sur son embarras. Ouattara et son entourage hésitent à dénoncer publiquement la trahison , laissant des seconds couteaux décrier Soro qui a trahi la lutte. L`Elysée veille ainsi à affaiblir le Premier ministre de l`intérieur, et tente d`obtenir son isolement à l`extérieur. Difficile exercice en réalité, le patron de l`ONU s`étant aligné sur l`accord de Ouaga. Paris est diplomatiquement affaibli. Sarkozy se contente de quelques piques à Laurent Gbagbo. Bernard Kouchner, en visite à Bamako, montre une certaine irritation et soumet un voyage à Abidjan à la tenue d`élections libres et transparentes. Les cellules africaines de l`Elysée craignent que Soro n`apporte sa caution à l`élection de Gbagbo lors de la présidentielle. Le PDCI, mais surtout le RDR, a longtemps douté de l`impartialité du Premier ministre, avant que Ouattara ne se décide à l`inviter solennellement à le rejoindre pour mener le même combat.

La guerre économique
Ceci dit, l`autre pan du combat contre l`accord de Ouaga est économique. La France freine quelque peu l`ardeur de la communauté internationale à décaisser les fonds nécessaires au financement du processus. Paris, qui a son propre agenda, mise sur d`éventuels rejets à répétitions des élections pour remettre en cause les acquis des pourparlers inter ivoiriens. C`est d`ailleurs Bernard Kouchner qui, le premier, fait allusion à un probable report de l`élection présidentielle en Côte d`Ivoire, au terme d`un entretien avec Blaise Compaoré à Ouagadougou. C`était le 27 janvier. Selon le ministre français des Affaires étrangères, le scrutin prévu en juin peut connaître un retard, ce n`est pas grave, pourvu que les élections aient lieu cette année. Une démarche suspecte qui alarme l`opinion sur d`éventuelles pressions de l`Elysée sur Blaise Compaoré, le facilitateur du dialogue direct. Pour justifier le peu d`empressement de la France à délier la bourse, l`ambassadeur André Janier indique que le financement se fera par étapes. Une des conséquences des manigances de Paris, le pré- regroupement des rebelles tarde à se réaliser. Le ministre de la Défense, Amani N`guesssan, invoque des difficultés en termes de besoins financiers et matériels. Conséquence, le verrou pourrait sauter à brève échéance. La récente rencontre entre le Président Gbagbo et le directeur général du FMI Strauss-Khan à Ouagadougou donne à espérer au gouvernement. Même si le Premier ministre doit encore faire face aux poches de résistance en mission commandée contre l`APO. Le week-end dernier à Korhogo, il s`est dressé contre ses détracteurs locaux et élyséens. Nous avons tout entendu. Quand j`ai été nommé, des esprits malins, passés maîtres dans l`art de diviser et de détruire, ont approché des chefs militaires pour leur dire que j`ai trahi la lutte () Que ceux qui veulent nous diviser arrêtent. J`ai trahi quoi et qui ? J`assume ma responsabilité , rétorque Soro à ceux qui entendent lui mettre les bâtons dans les roues.

La longue marche de Gbagbo pour la paix
Manque d`eau dans les zones CNO, pauvreté accentuée des populations, famine généralisée, dégradation avancée de l`économie nationale. Les cris des populations ivoiriennes sont parvenus au président de la République qui va décider de tendre la main au leader des forces nouvelles pour une sortie de crise définitive. Pour sauver son peuple des affres de la misère sans nom qui sévissait dans le pays, Laurent Gbagbo décide de tendre la main au chef de file des Forces nouvelles, Soro Kigbafori Guillaume. Après en avoir discuté longuement à la faveur de plusieurs voyages à Ouagadougou avec son homologue Blaise Compaoré, il annonce à la nation tout entière, les pourparlers inter-ivoiriens qu`il baptise ``le dialogue direct`` qui porte aujourd`hui ses fruits. Mais avant d`en arriver à ce 4 mars 2007 qui a sonné le retour progressif à la paix, que de chemin parcouru par le chef de l`Etat ivoirien au nom de la paix?

Que de chemin parcouru par Laurent Gbagbo
Le périple de Laurent Gbagbo pour la paix dans son pays démarre avec le pays de feu Gnassingbé Eyadéma au lendemain de l`éclatement de la crise du 19 septembre 2002. Le chef de l`Etat ivoirien dépêche à Lomé pour les pourparlers inter-ivoiriens de la capitale togolaise le président du Conseil économique et social, l`honorable Augustin Laurent Dona-Fologo pour représenter le gouvernement ivoirien à ces discussions avec l`ex-rébellion. Les choses avancent bien. Le président togolais est à deux doigts d`obtenir un accord quand Jacques Chirac, l`ancien président français s`invite dans le débat. Par l`intermédiaire des chefs d`Etat africains que sont Me Abdoulaye Wade, Omar Bongo Ondimba, la paix qui se dessinait à l`horizon est souterrainement torpillée. Les rebelles se débinent. Tout est remis en cause. C`est la mort dans l`âme que le président du Conseil économique et social rentre bredouille sur les bords de la lagune Ebrié. La Françafrique qui était à l`abordage pour l`échec de ces pourparlers prend le relais et convoque du 14 au 25 janvier 2003 la table ronde de Linas-Marcoussis dans la banlieue parisienne. Objectif recherché : réussir un coup d`Etat constitutionnel en dépouillant le Président ce dernier de tous ses pouvoirs. Lorsque Laurent Gbagbo arrive à Paris presque la fin de la table ronde de Linas-Marcoussis pour le sommet de Kléber, les dés sont déjà jetés. On lui impose sur place un gouvernement hétéroclite, un panier à crabes où l`objectif visé est d`obtenir à la longue, le dépouillement total du chef de l`Etat ivoirien de tous ses pouvoirs. ``Une reine d`Angleterre`` en quelque sorte, juste bon pour inaugurer les chrysanthèmes. Seydou Elimane Diarra lui est imposé comme Premier ministre pour parachever le complot de Linas-Marcoussis. Seul contre tous, Laurent Gbagbo plie mais ne rompt pas, comme un roseau. Sur le terrain, les accords de Linas-Marcoussis peinent à être appliqués comme il se doit. Face aux blocages constatés quant à l`application de ces accords, s`en suivront sans succès les accords d`Accra (I, II et III) puis ceux de Pretoria I et II. A tous ces rendez-vous placés sous les auspices de la France Chiraquienne, Laurent Gbagbo est toujours présent. Et la primauté de la Constitution ivoirienne est toujours réaffirmée quand les leaders du RHDP appuyaient sa suppression. Sur le terrain en Côte d`Ivoire, les mêmes difficultés quant à l`application de ces accords tous inspirés par la France se multiplient. Les Ivoiriens et leur Président de la République sont bien conscients que tout ce qui vient de l`extérieur et qui est imposé ne peut ramener la paix dans le pays. Même pas les résolutions 1633 (2005), 1721 (2006) de l`ONU également inspirées par la France chiraquienne. Chirac et ses affidés sont obligés de reconnaître leur échec dans la résolution de la crise ivoirienne. Et de procéder autrement. Laurent Gbagbo qui sait que le temps est l`autre nom de Dieu, initie le ``dialogue direct`` avec les dirigeants des Forces nouvelles qui débouche le 4 mars 2007 sur la signature de l`accord politique de Ouagadougou. Cette solution ivoiro-ivoirienne à la crise porte aujourd`hui ses fruits. Laurent Gbagbo est aujourd`hui sur le point de ramener la paix totale dans son pays au grand désarroi de ses adversaires qui multiplient les écueils et les embûches sur le chemin de la normalité. C`est-à-dire le retour à une Côte d`Ivoire, une et indivisible. Le 4 mars 2007 sonne donc le glas des ennemis de la paix avec la signature de l`accord de Ouaga.

Des accords complémentaires pour consolider la paix
Le 27 mars 2007, intervient un premier accord complémentaire à l`APO. Les parties signataires décident de désigner un nouveau premier ministre en remplacement de Charles Konan Banny proposé par Jacques Chirac. Guillaume Soro Kigbafori, secrétaire général des Forces nouvelles, sera donc nommé aux fonctions de premier ministre par décret du Président de la République, SEM Laurent Gbagbo. Il demeurera en fonction jusqu`à la prochaine présidentielle à laquelle il ne pourra pas participer mentionne l`APO. Le 28 novembre 2007 est signé à Ouagadougou, un deuxième accord complémentaire dans lequel les deux parties s`entendent sur la désignation par le gouvernement, de la SAGEM sécurité (groupe SAFRAN) en qualité d`opérateur technique pour les opérations d`identification des populations. Un troisième accord complémentaire est intervenu le même jour après le deuxième pour donner plus de confiance aux deux parties ex-belligérantes. L`article 1 évoque le regroupement des ex-combattants, le stockage des armes et le démantèlement des milices pour le 22 décembre 2007. Et cela sous la conduite du centre de commandement intégré. Il évoque aussi le service civique. L`article 3 fait mention de la restauration de l`Etat et le redéploiement de l`administration sur l`ensemble du territoire national. Le redéploiement de l`administration fiscale et douanière, sur la base du principe de l`unicité des caisses devait commencer aussi au plus tard le 30 décembre 2007. In fine, l`accord de Ouaga signé le 4 mars 2007 a beaucoup apporté dans la réunification de la Côte d`Ivoire. Un an après sa signature, les avancées sont bien notables et achèvent de convaincre les plus sceptiques que Laurent Gbagbo a eu le nez creux. Et qu`il appartient à la classe des grands chefs d`Etat qui mettent en avant l`intérêt de leurs peuples et qui recherchent leur bien-être. Les résultats de la longue marche du chef de l`Etat ivoirien pour la paix sont là. Gbagbo a eu raison de ses détracteurs tant locaux qu`internationaux. La paix est bien de retour grâce à l`accord de Ouaga. En attendant les élections.

Le Premier ministre ferme les yeux sur l'essentiel
A quatre mois des élections, l`accord politique de Ouagadougou (APO), signé le 4 mars 2007, semble être au point mort. Sinon, son application va au ralenti, au regard du point de situation de sa mise en ?uvre. Le non respect du chronogramme établi dans la capitale burkinabé, et actualisé selon la conjoncture suffit pour convaincre du retard pris dans l`exécution des APO. Concrètement, les principaux chantiers- Désarmement, Démobilisation et réinsertion, Identification, Indemnisation, Unicité des caisses et Election- dont la réalisation doit matérialiser la fin de la crise, restent encore entiers. Si quelques signes et actes présagent une activité sur les chantiers de Désarmement, Démobilisation et réinsertion, Identification, force est de déplorer le statu quo en ce qui concerne la réalisation de l`unicité des caisses de l`Etat. Cet aspect des choses préoccupe au plus haut point quand, à l`analyse l`on constate que l`Etat est toujours scindé en deux. Les deux parties, Sud et Nord du pays, soudées par le démantèlement en avril de la ligne de front, ne le sont pas économiquement. La gestion de l`économie de la Côte d`Ivoire se fait encore de façon séparée. Car chaque zone a sa caisse. Le Nord continue de collecter impunément l`impôt, fixe à sa guise les taxes, et entretient jalousement un marché de produits agricoles et miniers. La fin de l`autonomie financière et économique n`est pas pour demain. Eu égard aux dernières tractations engagées la semaine dernière par les Forces nouvelles avec les opérateurs économiques en vue de la baisse des prix dans les zones Centre, Nord et Ouest (CNO). Ainsi, les recettes faites par les FN leur sont exclusivement reversées. Les chefs de guerre conservent ce statut et s`enrichissent à souhait. Alors que l`Etat qu'ils sont maintenant censés aider à prospérer dépense pour les deux entités. Pour le Nord et pour le Sud. Malgré les bonnes affaires qu`elles font sur le dos de l`Etat de Côte d`Ivoire, les FN jouent les démunies. Elles accusent, disent-elles, le manque de moyens financiers notamment et logistiques pour commencer le regroupement. Or, la logique et la bonne foi auraient voulu qu`elles pré-financent l`aménagement des sites (bâtiments existants) de regroupement. Pour espérer se payer, pourquoi pas, sur l`aide financière qu`elles réclament. En l`absence de cette aide matérielle et financière, le regroupement sonné le 22 décembre dernier a été appliqué unilatéralement par les Forces de défense et de sécurité (FDS). Aux dernières nouvelles, le regroupement des FN annoncé pour le 1er mars a été reporté à une date ultérieure. Et on pourrait rester dans ce cycle de reports tant qu`on concevra que le désarmement avant les élections est une préoccupation idiote . Pour leur part, les FDS avisent, espérant que leurs frères d`armes joindront l`acte à la parole. Aujourd`hui, c`est plus de 12 000 soldats républicains qui ont regagné les casernes. Tandis que seulement 118 ex-rebelles ont quitté leur poste de Djébonoua pour le 3ème Bataillon d`infanterie à Bouaké. Pour le secrétaire général des FN, les choses avancent , il en veut pour preuve, très insuffisante d`ailleurs, le fait qu`on voie les généraux Mangou et Bakayoko ensemble . Le projet de la nouvelle armée peut aussi attendre, puisque les préparatifs confiés au centre de commandement intégré traînent aussi. En effet, c`est seulement vendredi dernier qu`un atelier sur le mode opératoire du regroupement des FN a planché sur la question. Cela, alors que le décret portant création du Groupe de travail sur la restructuration et la refondation de l`armée a été signé. Identification, une lueur d`espoir avait paru à l`horizon avec la remise du cahier de charges de la Sagem. Mais l`opérateur devra attendre la signature de la convention. Non seulement, un point de ses prérogatives a été rejeté par le RDR. Dont le secrétariat général s`oppose au croisement des fichiers électoraux existant et à venir. La contestation couve donc autour de la Sagem qui avait été récusée par le camp présidentiel. A part les audiences foraines, le grand dossier de l`Identification va au ralenti. Les audiences pourraient même s`étendre sur un temps plus long que prévu. Pour la simple raison que des officines politiques telles le RDR demandent que le délai accordé aux 25 premières équipes soit prolongé. De ces différents points de vue, on déduit que l`établissement et la distribution des cartes électorales n`est pas pour maintenant. L`espoir de voir les élections se dérouler en juin 2008 s`éloigne Le redéploiement de l`Administration. Les préfets, les sous-préfets et les secrétaires généraux de préfecture ont été redéployés. Certes, mais nombreux parmi eux sont encore locataires d`hôtels. Des locaux administratifs et logements de ces derniers ne sont pas encore réhabilités. C`est à la fin de février dernier que le secrétariat général des Fn devait aviser du non achèvement de la restauration desdits bâtiments. En attendant, il est à déplorer que 25% des fonctionnaires et agents de l`Etat restent à redéployer. En somme, le gouvernement a de quoi faire. Espérons que Soro qui se dit déterminé ira à grands pas dans son ambition d`exécuter sa feuille de route.

Par Yves de Séry
Guillaume N`Guettia
Maxime Wangé
Bidi Ignace

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