mardi 4 mars 2008 par Le Matin d'Abidjan

Artiste peintre congolais, Dikissongele fait partie des grosses pointures des plasticiens du Congo démocratique. Il a fait le tour de la planète notamment dans des pays comme le Japon, la France, les Etats-Unis, la Belgique Il est à Abidjan pour une exposition sur les cimaises de la galerie ?'Arts pluriels'', à partir de demain. En attendant, il indique ici son amour fou pour la culture et la tradition africaine aux couleurs de la modernité.

Vous arrivez pour la première fois en Côte d'Ivoire. Vous allez participer à une exposition qui se tient à la galerie Arts Pluriels. Peut-on avoir une idée de la place de la culture et des arts plastiques au Congo, votre pays ?
La République démocratique du Congo est un pays qui a traversé une longue période de guerre. Durant cette période, l'art n'a pas cessé d'exister. Parce que tous les désarrois et les disputes ont été une source d'inspiration pour les artistes. On a saisi cette période pour cristalliser les choses et les fixer dans le temps. L'art joue donc en ce moment son rôle de soubassement de l'histoire. Malheureusement, de façon générale, en Afrique, l'artiste lui-même n'est pas considéré par les dirigeants.

On a souvent tendance à cataloguer ou inscrire l'artiste dans un courant artistique donné. Dans quelle spécificité vous vous inscrivez ?
Cataloguer, le mot est quand même assez fort. Mais en tant qu'artiste, j'ai une démarche propre à moi. J'ai une démarche synthétique de la réalité qui prend appui sur les formes scripturales de l'Afrique. Le terroir africain est riche. Je suis parti des formes scripturales africaines, mais cela ne m'empêche pas du tout de donner dans les expressions les plus audacieuses de l'art moderne et contemporain. Je fais par exemple du figuratif abstrait. Mais de par ma formation, je suis parti des formes réalistes naturelles et humaines. Mais cela ne m'empêche pas aujourd'hui de prendre n'importe quelle image pour en faire l'objet de ma recherche.

Y a-t-il des raisons particulières qui militent en faveur de ce choix ?
Je crois que j'ai le devoir de créer en apportant un souffle nouveau à l'art congolais en particulier et africain en général. On a nécessairement besoin de nouvelles formes de création. Car le prix de l'évolution de l'art africain passe par là.

C'est cela certainement qui fait qu'une de vos sources majeures de création constitue le masque africain, objet de culte, de spiritualité dans l'Afrique traditionnelle ?
Le masque en Afrique, c'est l'élément identitoire. C'est la totalité de l'imagerie de l'Homme. Au départ, chez nos ancêtres, c'était un élément religieux. Ils se sont rendus compte qu'il y avait sur le masque une esthétique. Moi, en tant que descendant des ancêtres africains, et étant donné que l'art est un choix des traits, je les trouve intéressants. Je participe aux formes structurales. Mais sans pour autant me cantonner dans le traditionalisme. Aujourd'hui, mon imagination me donne la possibilité de donner des ailes à l'imagination de ceux qui contemplent mes ?uvres. Afin qu'ils puissent aller au-delà de ce que je fais (...)

Autre élément au fond de votre imagination créatrice, c'est le temps. Vous voulez l'arrêter ou affirmer son éternité ?
J'ai compris malgré toute la bonne volonté d'arrêter le temps que l'irréversibilité est loin d'être possible. Le temps, c'est l'expérience de notre existence. Pour moi, le temps ce sont les moments à capitaliser dans la vie. L'Africain a tendance à négliger le temps. Il a tendance à prendre le temps à demi cours. Or c'est l'élément capital à fructifier pour capitaliser le développement de l'Afrique. Pour une Afrique qui gagne, une Afrique forte, nous avons besoin du temps. Il faut que l'Afrique tout entière et ses dirigeants comprennent que le temps est un bien précieux à mettre à profit pour avancer. C'est donc pour moi une manière d'interpeller et d'attirer l'attention de mes pairs africains sur le temps. Je vais plus loin en combinant le temps à travers l'horloge et le masque. Mais dans mes ?uvres, il y a aussi l'hélice du ventilateur qui représente la force et la vivacité de la création. Cette grandeur d'âme et la volonté de vouloir donner le meilleur de soi-même.

Vous voyagez beaucoup. Des pays comme le Japon, la France, la Belgique, les Etats-Unis sont des pays où vous avez déjà exposé plusieurs fois. Quel message vous lancez quand vous y mettez les pieds.
Je leur dis que nous pensons de la même manière ; et que la force, le développement et la création ne sont pas le monopole de l'Occident. Nous avons une culture, une tradition aussi forte que les leurs. Ceux qui regardent mes ?uvres savent très bien que nous devons être les premiers à repenser notre développement qui doit être basé sur notre propre culture africaine, à partir de nos propres ressources personnelles. Penser à nos compétences et au temps, éviter la distraction à la base de la distraction du continent. Car quand on est distrait, c'est comme une conscience sans conscience qui s'ignore presque. L'Afrique est constamment distraite. Les autres sont en avance sur le continent noir. Ils ont pris à l'Afrique beaucoup de choses : la politique, l'économie... Mais il faut se rassurer, jamais ils ne réussiront à prendre au continent noir sa culture qui est sa plus grande richesse. Les Occidentaux savent que l'Africain a la culture dans le sang ! Imaginez-vous les cycles de guerre qui se répètent sur le continent africain. Les raisons sont d'ordre économique, politique mais jamais culturel. Les Blancs ont essayé de mettre tous les moyens pour balkaniser le continent. Mais je vous assure qu'ils n'ont pas pu réussir à cause de la culture très forte sur le continent.

Le problème est donc de savoir la place que la culture africaine occupe dans le concert des nations.
Senghor, grand homme de la culture, avait dit qu'au rendez-vous du donner et du recevoir, l'Afrique doit donner ce qu'elle a de plus cher : sa culture. C'est une pensée très profonde. Il faut saluer la mémoire de ce grand monument africain. Des grands hommes comme Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah ces panafricanistes là, il faut les saluer. Car ils savent ce que constitue la grande richesse de l'Afrique et sa culture. La vie elle-même est dynamisme. Ce dynamisme là passe nécessairement par la culture. La part culturelle de l'Afrique aujourd'hui, c'est donc sa culture qui n'est pas la moindre. Nos dirigeants africains doivent savoir que la culture en Afrique doit occuper une place de choix dans la dynamique de développement. Non, ils ne doivent pas voir la culture comme de simples jeux pour amuser la galerie. Non la culture africaine a une dimension très grande. Tout le monde doit le savoir. C'est primordial ! Pour les sociétés qui s'épanouissent ce sont d'abord des conceptions intellectuelles basées sur la dynamique du culturel. Le monde évolue. Ce rendez-vous du donner et du recevoir, nous le vivons pleinement aujourd'hui. L'Afrique le vit à travers sa culture qu'elle donne au monde entier.

Vous êtes à Abidjan pour une exposition qui va démarrer demain. Est-ce qu'on peut savoir ce que vous allez présenter aux Ivoiriens qui vont vous découvrir pour la première fois ?
J'ai une vingtaine d'?uvres d'art de dimensions moyennes datant de 64 à 90. Mais j'ai traité des thèmes comme l'esprit des astres, l'unité familiale, les rêves, l'?uvre comme sous l'initiation, la mutation. La liste est longue. Et donc tous ces thèmes là c'est pour nous interpeller. C'est pour montrer comment on réfléchit à des thèmes spirituels. Il faut dire que mon travail revendique d'abord les valeurs spirituelles. Je pense que ce sont les valeurs spirituelles qui font la grandeur d'un peuple.

Avez-vous rencontré des plasticiens ivoiriens ? Quel est votre regard sur l'art ivoirien depuis le Congo.
Je n'ai pas un regard perspicace sur l'art ivoirien contemporain. Sinon j'ai rencontré l'artiste Kassi Augustin, j'ai vu son travail, je trouve déjà une belle expression. C'est l'esprit dans lequel je me retrouve. J'ai rencontré le sous-directeur de votre musée, M. Savané. Après donc le vernissage, je me donnerai le luxe de visiter certains coins des artistes. S'il y en a. Parce que ce sont les collègues. Et puis visiter l'école des beaux arts ça me ferait énormément plaisir. Je ne partirai pas de la Côte d'Ivoire sans avoir eu une idée sur l'art.

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