vendredi 9 mai 2008 par Nord-Sud

Après une campagne de presse savamment menée, les cimenteries de Côte d'Ivoire ont atteint leur but : amener l'Etat à prendre en leur faveur des mesures fiscales. Un gros piège qui s'est refermé à l'occasion des manifestations contre la vie chère à Abidjan début avril.

Le lait, l'huile de palme raffinée, la tomate en conserve, le sucre, la farine de blé, le poisson, le riz et leciment. Cherchez l'erreur dans cette liste de produits pour lesquels les droits de douane à l'importation sont suspendus par décret depuis le 1er avril. Le ciment bien sûr ! Car, le décret signé par Laurent Gbagbo était une réponse aux manifestations contre la vie chère qui ont fait deux morts à Abidjan début avril. On a faim avait alors crié la population à Yopougon, Port-Bouët, Cocody. Je suis sensible au cri de douleur des Ivoiriens qui subissent cette hausse des prix de produits de première nécessité , s'était ému le chef de l'Etat. A l'arrivée, du ciment dans les assiettes ! Pour bien faire, la Tva à l'importation a été aussi suspendue pour trois mois pour les intrants concourant à la fabrication du ciment. Mais, la générosité de l'Etat de Côte d'Ivoire envers les cimentiers s'explique.

Sans le vouloir, les manifestants d'avril ont servi les intérêts des cimenteries. Car ces dernières avaient engagé une bataille des prix quelques mois plus tôt. Elles menaçaient d'augmenter le prix départ usine pour faire face à la hausse des coûts des intrants importés. La Société ivoirienne de ciments et matériaux (SOCIMAT) a ainsi saisi par courrier, fin novembre 2007, les ministères de tutelle pour expliquer cette révision du prix. L'argument principal brandi est la hausse du coût des intrants. La forte demande au niveau mondial des matières premières importées qui entrent dans le processus de fabrication du ciment (clinker, gypse, laitier et calcaire) mais surtout et à souligner la forte croissance sur les tarifs mondiaux du fret maritime à hauteur de plus de 100% expliquent les résultats difficiles auxquels notre société est confrontée , a expliqué le cimentier dans son argumentaire. Pour donc sauver SOCIMAT, son directeur général J. Pachler annonçait une augmentation du prix de vente. Les deux autres sociétés, SCA et SOCIM, n'ont pas officiellement pris position. Même si, on le devine aisément, elles profitent de la situation.





Des mesures imposées par un lobbying





Dans son courrier, la société ne cherchait pas l'accord de l'Etat de Côte d'Ivoire pour une éventuelle hausse ; elle le mettait devant le fait accompli : Par la présente, nous tenons à expliquer et argumenter les raisons principales de nos graves préoccupations qui nous amènent à une nouvelle augmentation du prix de vente du ciment . Pour empêcher la hausse de son prix de vente, le cimentier proposait tout simplement au gouvernement les mesures suivantes: exonération des droits de douanes pour toutes les matières premières importées nécessaires à la fabrication du ciment, exonération de la Tva pour toutes les matières premières importées et paiement de crédits de Tva pour une somme totale de 3.053.678.030 Fcfa. Le lobbying mené dans les couloirs du ministère de l'Economie et des finances a payé en partie. Les exonérations sont passées comme lettre à la poste.

A l'analyse, il apparaît que le gouvernement gagnerait à mieux s'imprégner de la question avant la fin du mois de juin, terme de la période de validité du décret. Le marché du ciment cache en effet bien d'incongruités. En matière d'augmentation des prix, les cimenteries méritent bien de figurer au livre des records Guinness. En effet, en l'espace de 3 ans, elles ont réussi à augmenter de 63,4 % le prix du ciment. La tonne qui était vendue à 45 500 Fcfa sur le marché en 2002, est passée à 74 350 Fcfa en 2005. Avec le prix de 110.000 Fcfa qu'elles s'apprêtent à appliquer si rien n'est fait, la hausse globale serait de140% en 6 ans ! Une croissance exponentielle peu justifiable en fait.

D'abord, cette hausse ne se fait qu'au profit de la marge commerciale. Depuis qu'il y a des hausses, nos conditions salariales n'a pas changé. Pire, tous nos avantages sociaux ont été supprimés depuis quelques années, peste un employé d'usine qui a requis l'anonymat. Les hausses de prix de vente ne profitent donc pas aux salariés que les sociétés n'hésitent pas à brandir en cas de nécessité. L'opacité qui entoure les activités du secteur est aussi à l'avantage des revendeurs qui s'offrent une marge de 16.000 Fcfa sur la tonne. Sans aucun contrôle.

Ensuite, nulle part il n'est mentionné que le taux de fret a augmenté de 140% en 6 ans. Même si le coût de ce facteur est tributaire du cours du baril de pétrole brut, il ne peut s'agir d'une corrélation parfaite. Et, pourquoi seul le prix du ciment serait touché dans une telle proportion et pas ceux des autres produits importés?

Au niveau des matières premières, c'est encore l'opacité totale. Selon une source douanière, les cimenteries s'approvisionnent en Inde (laitier), en Chine (clinker) et en Europe pour le gypse. Mais, elles ne vont pas directement sur le marché, auprès des fournisseurs. Ce sont des entreprises européennes qui effectuent les transactions pour elles. Ce détour pourrait inutilement alourdir la facture finale. Pire, alors que les transactions s'opèrent en dollar sur le marché international, la facture supportée par le consommateur ivoirien est délivrée en euro. Or, depuis quelques années, la monnaie européenne ne cesse de s'apprécier dépassant aujourd'hui un euro pour 1,50 dollar us. Comme si l'on achetait moins cher pour revendre plus cher rien qu'en jouant sur le taux de change.

Kesy B. Jacob

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023