mercredi 21 mai 2008 par Fraternité Matin

En prélude au prix qui lui sera décerné samedi, la présidente de Children Of Africa, Mme Dominique Folloroux Ouattara, fait le bilan de ses activités et se prononce sur la situation socio-politique.

Vous êtes la présidente de la Fondation Children of Africa et à ce titre, vous recevez ce samedi 24 mai à l'hôtel du Golf un prix récompensant vos efforts en faveur des enfants déshérités. A quelques jours de cette distinction, quels sentiments vous animent-ils ?

Je suis très heureuse de recevoir ce prix. C'est un sentiment de joie de voir la reconnaissance de nos efforts. Mais avant tout, le mérite revient à toute l'équipe de bénévoles qui effectue un travail considérable à mes côtés depuis plus de 10 ans. C'est à eux que je dédie ce prix.

Généralement, les femmes des personnalités politiques attendent l'accession de leurs époux au pouvoir pour commencer des actions de bienfaisance. Vous, vous avez suivi le chemin inverse. Quelles en sont les raisons ?

Vous me donnez là l'occasion de vous parler des motivations qui m'ont amenée à créer la Fondation en 1998. Lorsque je suis arrivée en Côte d'Ivoire en 1975, j'ai toujours eu à l'idée de venir en aide aux plus démunis. Depuis cette période, j'essayais de mener de petites actions informelles, en soutenant financièrement des groupes de personnes et des associations, comme les enfants de la rue du Plateau par exemple. Et puis lorsque mon époux a été nommé au FMI à Washington, des personnalités comme M. et Mme Michel Camdessus alors directeur général du FMI, M. Marc Gentilini, président de la Croix rouge et bien d'autres m'ont conseillé de continuer mes actions de bienfaisance dans un cadre plus formel. Ils m'ont exhortée à créer une Fondation reconnue d'utilité publique, afin de recentrer mes activités et de recueillir des dons à cet effet. C'est ainsi que l'idée de créer une Fondation pour aider les plus démunis s'est concrétisée.

Vos premières activités ont été lancées à partir de Paris en France. Est-ce parce que vous y avez convolé en justes noces ou était-ce pour rallier des sympathies au moment où votre époux avait maille à partir avec les autorités ivoiriennes ?

Les activités de la Fondation se résument en trois volets: récolter des fonds ; élaborer des projets utiles pour les populations et mener des actions sur le terrain, toujours en faveur des plus démunis. C'est pour répondre au premier besoin, c'est-à-dire récolter des fonds, que nous avons organisé des galas de bienfaisance à Paris. La ville de Paris a été choisie, car le comité de gestion de la Fondation a estimé que c'était l'endroit qui pouvait rassembler le plus de donateurs. Et cela nous a permis de récolter des fonds substantiels pour financier plusieurs actions sur le terrain.

Pouvez-vous, justement, faire un bilan des activités de Children of Africa ?

La Fondation Children Of Africa intervient au profit de l'enfance en difficulté dans le domaine sanitaire, social, éducatif et culturel. Elle a aussi pour vocation d'aider les populations les plus démunies et plus particulièrement les femmes. Outre la Côte d'Ivoire, nous intervenons dans plusieurs pays : Sénégal, Mali, Burkina Faso, Bénin, Cameroun, République Centrafricaine, Gabon, Congo Brazza et Madagascar. Le bilan de la Fondation serait long à énumérer car, nous avons réalisé de nombreux projets que vous pouvez retrouver sur notre site qui est, si vous le permettez, www.childrenofafrica. org. Je vais cependant vous citer quelques-unes de nos actions.

S'il vous plaît !

Sur le plan éducatif, nous avons fait don récemment de kits scolaires à Abobo en Côte d'Ivoire, d'ordinateurs et de livres au Mali et au Cameroun. Nous avons construit un collège de jeunes filles à Kong et nous espérons d'ailleurs qu'il pourra fonctionner très rapidement. Nous avons également construit une bibliothèque à Madagascar pour le village du Père Pedro. Dans le secteur de la santé, nous avons offert des médicaments à plusieurs centres en Côte d'Ivoire, des ambulances à des maternités et effectué une campagne de vaccination dans le Nord et l'ouest du pays. Plus récemment, nous avons initié une caravane ophtalmologique qui a sillonné les 10 communes d'Abidjan et nous avons pu offrir à plus d'un millier d'enfants, des consultations, des lunettes et des soins gratuits. J'ajoute que la caravane était début mai à Yamoussoukro, deuxième étape de sa tournée dans les villes de l'intérieur de la Côte d'Ivoire après Aboisso.

Nous avons aussi fait don d'un important lot de médicaments d'une valeur de 7 millions CFA, suite aux déchets toxiques qui ont été déversés à Abidjan. Sur le plan social, notre centre d'accueil, La Case des Enfants , situé à Abidjan au Plateau est réservé à l'hébergement et à l'encadrement des enfants abandonnés et en situation difficile. Ce foyer est un havre de sécurité pour beaucoup d'enfants démunis, en rupture avec leurs familles. Je remercie d'ailleurs la GTZ de la Coopération allemande, ainsi que les généreux donateurs qui participent quotidiennement à la vie de la Case. Par ailleurs, nous apportons des subventions régulières et parrainons plusieurs centres d'accueil pour enfants en difficulté basés en Côte d'Ivoire et à l'étranger. En Côte d'Ivoire : Notre Dame des Sources à Bouaké, la Maison de l'Enfance à N'Gattakro, l'ONG SAPE-CI à Abidjan. En dehors de la Côte d'Ivoire, nous avons la Maison Arc-en-Ciel à Libreville au Gabon, l'Association Kizito au Burkina Faso, La Voie du Coeur en Centrafrique et La Voie Lactée au Cameroun. Au niveau des femmes, la Fondation a soutenu, entre autres, de nombreuses organisations féminines et coopératives à Akouédo Village, Yopougon Wassakara, Danané, Foungbesso dans la région de Touba et à Séguéla. Enfin concernant les activités récréatives, nous organisons chaque année, un arbre de Noël pour enfants démunis, aussi bien en Côte d'Ivoire que dans les pays où nous intervenons. Et à plusieurs reprises, nous avons offert un repas aux enfants de la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan (MACA). Bien entendu, en tant qu'Ivoirienne et partageant au quotidien leurs difficultés, il est naturel que la Fondation réponde en priorité aux besoins de solidarité des populations les plus vulnérables en Côte d'Ivoire.

Vous avez cité tantôt des pays dans lesquels vous intervenez. Qu'est-ce qui préside au choix de ces Etats ?

C'est très simple ! La Fondation essaie de ne pas faire de dépenses inutiles, de ne pas dilapider les moyens mis à notre disposition par les donateurs. Nous utilisons donc nos propres structures et choisissons des endroits où nous sommes sûrs que les projets iront à leur terme. C'est cela le plus important.

Et comment ça se passe dans ces pays ? En clair, avez-vous des échos de vos activités ?

Ça se passe très bien, mais il y a tellement de besoins ! Les gens nous appellent pour dire qu'on devrait intervenir à tel endroit où à tel autre. Finalement, l'on a l'impression que nos dons sont une goutte d'eau dans la mer. C'est un peu cela notre difficulté.

En cette année électorale, que répondez-vous à ceux qui pourraient penser à un prix à relent électoraliste, étant donné qu'il pourrait attirer sur vous et votre époux les faveurs de l'opinion ?

Non, je ne le pense pas. L'opinion sait que nous faisons depuis une dizaine d'années un travail considérable concernant la Fondation qui ne pose pas des actes seulement en Côte d'Ivoire mais dans d'autres pays d'Afrique. Il ne peut donc y avoir de relent électoraliste. S'agissant des activités de votre ONG, où trouvez-vous les moyens par ces temps difficiles ? Ou, alors, le couple Ouattara, comme on le dit dans certains milieux, roule-t-il carrosse ?
Je ne sais pas ce que vous voulez dire par ces termes. Mais ce que je sais, c'est que le couple Ouattara a décidé d'affecter une partie de ses ressources à l'aide aux plus démunis. C'est quelque chose de constant dans notre vie. Je vous ai parlé, plus haut, des galas de bienfaisance et dîners de stars que nous organisons. Vous savez, lorsque vous avez une Fondation, trois axes s'offrent à vous.

Le premier axe est de savoir comment récolter les fonds pour avoir les moyens de votre politique. Le deuxième axe, c'est de choisir les projets, et cela se fait grâce à un comité de gestion qui se réunit pour décider des projets à mener. Le troisième axe, est peut-être le plus important, concerne les activités sur le terrain et il faut veiller à ce que tout se passe bien et que l'argent aille effectivement jusqu'aux plus démunis. Récemment, nous avons organisé des dîners de stars dont vous avez, je crois, entendu parler puisque notre compatriote Didier Drogba a accepté de s'associer à cette opération et nous en avons été très heureux. Les gens s'intéressent donc à nos activités et cherchent à s'assurer qu'on n'y fait pas de la politique mais qu'on agit en faveur de toutes les populations sans distinction.

Pour vous prendre au mot, seriez-vous prête à aller faire des heureux à Mama, à Gagnoa, par exemple ?

Tout à fait ! Nous étions, par exemple, à Yamoussoukro pour l'Association des victimes et déplacés de guerre. Nous n'avons pas demandé si les gens que nous allons soigner, dans le cadre de la caravane ophtalmologique étaient du RDR ou pas. Nous ne pouvons pas faire cela et nous ne l'avons jamais fait. Je suis l'épouse du président du RDR et, bien entendu, cela va de soi que je sois compatissante aux peines et difficultés des militants du RDR. C'est ma vocation première d'être là et d'aider les militants du RDR car s'ils ne peuvent pas compter sur le soutien de leur président et de son épouse, sur qui peuvent-ils compter en priorité ? Mais ne je m'appuie pas sur de telles considérations pour dire que dans le cadre des activités de la Fondation, nous allons exclure les autres.

Je voudrais revenir sur nos sources de revenus pour dire que mon amie la Princesse Ira De Fürstenberg qui est la marraine et moi-même mettons notre réseau de relations au service de la Fondation. Et à titre personnel, j'ai choisi d'affecter une partie de mes revenus à son fonctionnement. Il y a tant à faire et ce n'est pas facile. Les besoins sont énormes partout en Afrique et plus particulièrement en Côte d'Ivoire En Côte d'Ivoire où la situation ne se prête pas toujours à ces ?uvres de bienfaisance parce que souvent très tendue.

Que pensez-vous, en tant que Mme Ouattara, de la situation socio-politique ivoirienne avec la grave crise que traverse le pays depuis le 19 septembre 2002 ?

J'en suis profondément peinée. Le niveau de vie de nos compatriotes a considérablement baissé et le seuil de pauvreté en Côte d'Ivoire est à plus de 40% aujourd'hui. Les populations souffrent et il est urgent qu'on puisse y remédier. La santé des Ivoiriens se dégrade, avec le manque de soins, le déversement de déchets toxiques, etc., à tel point que l'espérance de vie des populations est de 49 ans, alors qu'il était de 60 ans du temps du Président Félix Houphouet-Boigny. Vous savez, je reçois beaucoup de lettres de jeunes désemparés, qui ne demandent pas forcément à être assistés, mais qui veulent simplement retrouver leur honneur et leur dignité par un travail qu'ils n'arrivent pas toujours à obtenir. J'ai le c?ur serré de voir autant de détresse.

Dans un tel cas, que faire ?

Eh bien, je pense que les uns et les autres doivent aider ceux qu'ils peuvent aider. Il doit y avoir une véritable chaîne de solidarité. Il faut aussi que le climat soit apaisé pour que les investisseurs viennent plus nombreux en Côte d'Ivoire. Il faut fournir du travail à nos compatriotes qui en ont besoin et qui peuvent mettre leur talent et leur savoir-faire au service de la nation.

Comment avez-vous personnellement ressenti cette guerre au plan familial et professionnel ?

J'ai vécu pendant cette période des évènements très douloureux, qui m'ont beaucoup marquée à titre personnel. Je crois que vous les connaissez. Et je ne souhaiterais pas m'y attarder parce que j'en ai été très affectée.

Les adversaires politiques de M. Ouattara l'accusent d'être à l'origine des crises répétées qui secouent la Côte d'Ivoire depuis le décès de Félix Houphouet-Boigny. Comment réagissez-vous à cela ?

Je trouve que c'est profondément injuste. Quand j'entends cela, je me demande toujours si les gens sont de mauvaise foi ou mal informés. Alassane a plutôt été une victime, comme beaucoup d'autres Ivoiriens du concept d'Ivoirité, qui est la véritable cause des crises répétées qui ont secoué la Côte d'Ivoire. Je me permets de le dire aujourd'hui. Vous savez, Alassane occupait de hautes fonctions à Dakar et Washington en tant qu'économiste mondialement reconnu. Et nous étions très heureux comme cela. Mais son honneur a été bafoué et il a choisi entre autres de lutter contre cette injustice en s'impliquant dans le jeu politique de son pays. Je voudrais ajouter par ailleurs que mon époux a toujours été un homme profondément épris de paix ayant à c?ur d'aider son pays et de contribuer au mieux-être de ses compatriotes.

Comment expliquez-vous que ce soit lui la plus grosse victime de l'Ivoirité au point de chercher à s'en défendre ?

Vous essayez de me faire parler de politique. Je ne répondrai pas à cette question (rires).

La reggae star Alpha Blondy s'en est violemment pris à vous et à votre époux, ces derniers temps, dans la presse. Vous êtes-vous sentie meurtrie par ses propos ?

Oui, effectivement. D'autant plus que ses attaques étaient infondées. Néanmoins, Alpha Blondy est un artiste de talent, dont j'ai toujours apprécié la musique.

Vous ne parlez pas très souvent à la presse et nos lecteurs seront certainement heureux de vous lire dans nos colonnes. Qu'auriez-vous voulu qu'au terme de leur lecture, ils retiennent de vous ?

Ce que je voudrais que les gens retiennent, c'est que mon ambition a toujours été d'apporter de l'aide de mettre et un peu de baume au c?ur de ceux qui en ont besoin. Cette mission n'est pas facile mais j'y crois fortement. Et ce qui me donne la force de continuer, c'est de voir la grande générosité de nos donateurs que je remercie de tout c?ur. Je voudrais assurer toutes les Ivoiriennes et tous les Ivoiriens de mon entière disponibilité à être toujours auprès des plus démunis et de ceux qui souffrent. Je terminerai mes propos en vous remerciant de cette occasion que vous m'avez donnée de répondre à vos questions.

Interview réalisée par Abel Doualy



Que de précautions!

Généralement, les cuisines internes et les préparatifs des interviews ne sont pas à mettre sur la place publique. Car ce qui intéresse les lecteurs, c`est le produit fini. Mais si nous avons décidé de relater les coulisses de cette interview, c`est bien pour rendre témoignage de tout ce qui, à notre avis, a valeur d`exemple pour la classe politique.

D`abord la franchise et la courtoisie de Mme Dominique Ouattara comme beaucoup le relèvent souvent d`ailleurs au sujet du couple Ouattara. Pour une première interview dans Fraternité Matin, Mme Ouattara a voulu éviter tout ce qui peut écorcher les autres acteurs politiques." Si vous voulez une inter¬view politique, nous pouvons prendre rendez-vous pour une autre fois. Je peux même convaincre mon mari pour qu`il vous accorde une bonne interview politique. Actuellement, je m `apprête à recevoir un prix et je ne souhaite pas créer des ten¬sions inutiles avant la cérémonie ", a plaidé Mme Ouattara qui s`est gardée, avec courtoisie, d`aborder certains sujets qui fâchent. Et les lecteurs s`en apercevront lorsque, répondant à une question, elle dira: "Vous essayez de me faire parler de politique. Je ne répondrai pas à cette question"; comme pour nous ramener à chaque fois aux clauses de départ. A savoir, ne pas donner dans la polémique et nous en tenir au canevas tracé.

A la vérité - et c`est cela la leçon à retenir - Mme Ouattara n`entendait s`attaquer à aucun acteur politique de l'opposition ni du pouvoir. Car, selon elle, Fraternité Matin est un grand journal dans lequel il faut se garder de faire des déclarations susceptibles de créer des problèmes.

Cet hommage à Fraternité Matin intervient après celui rendu le 14 mai dernier par des partis politiques réunis à 1`hôtel du Golf dans le cadre des concertations avec la presse.

Une autre chose qui nous a marqué lors de nos rencontres dans le cadre de ce travail aussi bien à la présidence qu`au bureau de 1`interviewée, c`est son ouverture et sa convivialité. Sur tous les sujets qui la préoccupent, elle est prête à demander 1`avis de 1`autre. "M. Doualy, que pensez-vous des attaques répétées contre mon mari ?" Après lui avoir donné notre avis sur la question, nous avons fait remarquer que ces attaques ont tout de même baissé ces derniers mois. Et de lui dire ceci:" C`est parce que lui-même (ADO) a amélioré son discours depuis l`Accord poli¬tique de Ouaga".

Bref, Mme Dominique Folloroux Ouattara nous a laissé l`image d`une dame foncièrement soucieuse d`avoir borne presse dans 1`opinion publique. Et pour y parvenir, elle sait se faire violence en pardonnant ou en taisant tout ce qui peut créer la tension au sein de la classe politique.

Si cette attitude pouvait se traduire à toutes les occasions, elle aurait véritablement valeur d`exemple pour une Côte d`Ivoire dans laquelle la politique ne fait plus des hommes des loups pour leurs prochains. Mais des frères et s?urs qui n`ont que des différences de vue sur certaines questions touchant à la vie et à la marche de la nation.

A. Doualy

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