jeudi 29 mai 2008 par Notre Voie

Si rien n'est fait pour trouver une solution idoine au problème du riz en Côte d'Ivoire, le pays risque de connaître à nouveau des troubles. M. Guédé Béhinan, directeur général de l'ANADER, reste convaincu que le pays peut rebondir à condition qu'il débloque aujourd'hui 15 milliards de FCFA. Notre entretien.

Notre Voie : Monsieur le directeur général, la flambée des prix des produits de base et notamment du riz, sera-t-elle permanente ou circonscrite dans le temps. Autrement dit, y a-t-il une possibilité de retour à des prix plus bas en Côte d'Ivoire ?
Guédé Béhinan : Je ne sais pas exactement ce que vous appelez prix bas?, mais disons qu'aujourd'hui, on constate une flambée du prix des denrées alimentaires. Ce qu'on peut constater aussi, c'est que le prix du caoutchouc est en hausse ; ce qui veut dire que les prix des matières premières de manière générale (le fer, le cuivre, etc.) seront en hausse sur les 5, voire 10 prochaines années. C'est donc normal que cela puisse effectivement avoir un impact sur les autres denrées. Maintenant, examinons froidement la situation : de quoi proviennent les revenus du producteur de riz ? De la vente de sa production, ce qui lui permet de disposer de ressources pour l'achat de ciment, du fer, etc., dont il a besoin. C'est donc une situation qui lui est bénéfique. L'autre élément, c'est que le prix du riz en Côte d'Ivoire ne reviendra plus à celui des années 1980, c'est-à-dire à 125 FCFA le riz de base
appelé dénikachia. Aujourd'hui, c'est par des interventions rapides qu'on a ramené le prix du riz à 325 FCFA. On peut dire que 325 FCFA est le prix de base du riz. Si par quelques stratégies le riz blanchi se vend à 350 FCFA le kilo, ça serait une bonne chose. Mais il ne sera plus, plus bas que ça.

N.V. : Comment peut-on lutter contre cette flambée des prix ?
G.B. : En mettant tout en ?uvre, dans un premier temps, pour augmenter la part de la production interne. Aujourd'hui, avec la flambée des prix des denrées de manière internationale, notre riz peut maintenant concurrencer le riz importé. Surtout que de plus en plus, nous allons vers la raréfaction des importations parce que des pays asiatiques comme la Thaïlande et l'Inde disent qu'il n'est plus question d'exporter leur production. Donc sur cette base, ça veut dire que le marché devient automatiquement déficitaire. Donc on passe du riz qui était à 250 FCFA à 400 FCFA et du riz qui était à 400FCFA à 600 FCFA.

N.V. : Les augmentations des prix auxquelles on assiste ne sont-elles pas dues au fait que le producteur ivoirien trouve une opportunité avec la raréfaction des importations de riz en augmentant ses prix pour gagner de l'argent ou bien ces augmentations ne sont-elles pas liées au manque de riz en Côte d'Ivoire ?
G.B. : Le riz national n'a pas augmenté de prix. Il était à 300 FCFA. Justement, s'il se trouve qu'il y a une opportunité, il va bénéficier de cette opportunité. Il n'y a pas de raison que les paysans ivoiriens vendent leur production de à 300 FCFA s'il y a du riz de qualité inférieure qui voit son prix monter. Il est tout à fait normal que le producteur fasse un effort pour produire du riz et le vendre.

N.V. : Que doit alors faire la Côte d'Ivoire?
G.B. : En 1976, la Côte d'Ivoire satisfaisait ses besoins en consommation de riz. A cette époque, la population était de 7 millions d'habitants. Tout Etat souverain devant, sans être autosuffisant, produire une proportion très grande de ses besoins, la Côte d'Ivoire a couvert 100% de sa consommation. Cette proportion est passée à 75% en 1985. A cette même époque, les pays asiatiques produisaient du riz qui était sur le marché international à 75 FCFA le kilo quand le nôtre se situait à 150 FCFA. Donc, l'option était d'acheter le riz sur le marché international au lieu de subventionner nos productions rizicoles. Cette option était la meilleure puisque nous avions à développer notre hévéa, notre café, notre cacao, notre bois, notre ananas qui pouvaient nous procurer des devises suffisantes pour acheter le riz.
La conséquence de ce choix est que le niveau de la production nationale a continué à baisser et est à 40% actuellement.
Mais nous sommes aujourd'hui à 20 millions d'habitants et nos besoins sont pratiquement de 1,5 million de tonne de riz blanchi par an. Il nous faut donc inverser cette tendance parce qu'aujourd'hui le riz est la denrée qui va avec l'urbanisation. Ce qui veut dire que la Côte d'Ivoire doit mobiliser les énergies et ressources nécessaires pour relever le niveau de la production nationale.

N.V. : L'ANADER, votre structure, a certainement une mission pour la Côte d'Ivoire dans tout ceci. Quelle est cette mission ?
G.B. : La mission de l'ANADER est d'appuyer tout entrepreneur agricole dans ce qu'il veut faire. Notre mission, c'est de lui dire : voilà des opportunités. Maintenant que notre riz est concurrentiel, il faut justement qu'on envahisse les bas-fonds et tous les plateaux rizicultivables?. C'est cela qui va permettre à ce secteur de produire des richesses, et à la Côte d'Ivoire, si les stratégies sont mises en ?uvre, d'inverser la tendance, c'est-à-dire de produire 70% de riz et importer seulement 30%. Les terres existent. Les hommes existent. Jusqu'ici, le riz local subissait deux problèmes. Le premier problème était les importations qui faisaient que le riz était bon marché et les importateurs étaient rois. Le deuxième problème, c'était la libéralisation de la filière rizicole sans qu'un prix minimum soit garanti.
Dans une telle période, si je suis producteur, je vends mon riz au prix fort. Par contre, dans une période d'abondance, le prix de mon riz peut perdre jusqu'à 75% de sa valeur. C'est pour ça qu'il faut justement, même quand on libéralise, laisser l'interprofession veiller à ce qu'il y ait un prix plancher en dessous duquel on ne peut descendre. Autrement, on décourage les producteurs.

N.V. : Justement, est-ce que vous avez conseillé cela au gouvernement ?
G.B. : Oui, nous avons, avec le Programme national riz (PNR) et la profession ANARIZ-CI qui a des antennes sur le terrain qui sont les coopératives départementales de riziculteurs (Cooderiz), concocté un projet pour dire que si la Côte d'Ivoire veut parer à cette flambée des prix, il faudra mettre au moins 1/10 de ce qu'elle consacre aux importations dans des programmes de production de riz. Aujourd'hui, la Côte d'Ivoire dépense 150 milliards FCFA pour importer du riz. Il s'agit donc de donner 15 milliards de FCFA à la filière riz dans ses composantes. A savoir, le conseil agricole, la recherche agronomique et les organisations paysannes de la filière, sans oublier les commerçants. De cette manière, nous arriverons, d'ici 3 ans, à une augmentation de la production de 20 à 25%. Ce qui permettra en l'an 2010-2011 de produire 70% de notre consommation.

N.V. : Est-ce que cela n'arrive pas un peu sur le tard parce qu'on a l'impression que le gouvernement a été surpris par la flambée des prix.
G.B. : Le gouvernement n'a pas été surpris. En 2003, l'ANADER a fait un séminaire à Grand-Lahou avec la Coopération japonaise. En 2007, le ministère de l'Agriculture lui-même, sur les tendances conjoncturelles qui s'annonçaient, a tenu un séminaire. Et en 2007, le ministère de l'Economie, devant ce problème-là, a aussi organisé un séminaire. Celui du ministère de l'Agriculture s'est tenu à Yamoussoukro, le séminaire du ministère de l'Economie ici à Abidjan.

N.V : Et les résolutions....
G.B. : Mais les résolutions, on les applique. On les finance et à partir de ce moment, on prend le risque. Donc dire que le gouvernement est surpris, je ne suis pas d'accord.

N.V. : Qu'est-ce qui avait été décidé concrètement ?
G.B. : C'était de créer des comités interministériels avec chacun son rôle. Le ministère de l'Economie doit prendre les dispositions pour que le prix de 325 FCFA soit maintenu. De l'autre côté, des moyens devaient être dégagés par l'Etat et mis à la disposition du ministère de l'Agriculture et des producteurs pour que très rapidement, ils puissent inonder les bas-fonds aménagés. Il s'agit aussi d'annoncer un prix entre 150 FCFA et 200 FCFA le kilo de paddy. Mais puisqu'il y a urgence, il faut tenir compte du calendrier agricole et faire vite. Le projet est actuellement au ministère de l'Agriculture et la communication est sur la table du gouvernement qui devait très rapidement réagir.

N.V. : La flambée des prix a été durement ressentie. On a eu des manifestations de rue, le gouvernement a pris des mesures. Fin juin, ce sera la fin de ces mesures. Alors que le riz, il faut le cultiver. Est-ce que très rapidement, on ne retombera pas dans une situation qu'on a connue récemment ?
G.B. : D'ici 3 mois, on retombera dans la même situation. C'est-à-dire qu'à la fin juillet, il n'y aura plus un grain de riz puisque les paysans auront semé toute leur production et les importations ne viendront pas puisqu'il n'y aura plus de riz à importer. Mais si les Ivoiriens savent que pendant ce temps l'Etat a pris des mesures et qu'en novembre, décembre, il y a du nouveau riz, il n'y a pas de problème. Alors, ils peuvent attendre. Mais si l'Etat ne fait rien avec les difficultés que l'on connaît, alors les gens descendront dans les rues et ils auront raison. Mais je pense que l'Etat va prendre des mesures. Cette communication dont je parlais plus haut, si elle passe, sera la garantie de disposer des 15 milliards FCFA nécessaires à une augmentation de la production dans les proportions de 15 à 20%. En 2009, on peut essayer de rattraper 20%, consolider cela en 2010, et en 2011 avoir 70% de la production nationale qui couvre nos besoins.

N.V. : Avec ce que vous annoncez-là, devrait-on envisager une reconversion de l'alimentation des Ivoiriens ?
G.B. : Justement, l'alimentation va avec la civilisation, les us et coutumes. Un peuple a une culture de base et puis il y a les autres cultures. On connaît la période de soudure en Côte d'Ivoire ; c'est-à-dire lorsqu'on a semé, à partir de juin. Pendant cette période, on mange le manioc, le tarot, la patate. Mais ces cultures qui sont des cultures lourdes au transport ne sont pas correctement distribuées au niveau du territoire national. D'où la responsabilité des différentes filières. Les coopératives doivent faire en sorte que le manioc qui est produit et qui est déficitaire à Abidjan, zone de grande consommation, puisse y arriver. Cela veut dire aussi qu'il faut avoir des installations techniques. Le problème du riz, ce n'est pas qu'il y a des déficits énormes, mais lorsqu'on produit du riz ou du maïs, il faut avoir des infrastructures pour faire la conservation, des silos où les stocker. Il faut que la filière, à travers l'Anariz-ci, les Cooderiz, puisse effectivement le faire. Aujourd'hui, ces infrastructures existent. Elles ont été bâties au temps de la Soderiz. Mais à un moment, l'Etat les a affectées à des sociétés privées, Jean Abil Gal et autres. Il y a un problème juridique parce que l'Etat a cédé ses infrastructures à des francs symboliques. Aujourd'hui, l'Etat peut prendre des avocats et dire : J'ai besoin de ces infrastructures et je les reprends au même franc symbolique et je les cède aux mêmes conditions à la filière, à l'Anariz-ci?. On parle alors de souveraineté de l'Etat. Faire des infrastructures à des prix d'or et les donner à des francs symboliques à des sociétés internationales et vouloir les vendre quand il s'agit des structures nationales La fonction de ces silos que vous voyez dans les campagnes, c'est, quand il y a surproduction, de stocker le surplus dans de bonnes conditions. Un exemple très simple. Nous sommes en période de mangue. Les routes, depuis pratiquement Toumodi jusqu'à Odienné, de Toumodi jusqu'à Man, de Tiassalé jusqu'à San Pedro, sont jonchées de mangues qui pourrissent. On ne fait pas de la confiture, de la compote, et à la télévision, on fait la publicité des produits occidentaux alors que des technologies existent. Il faut faire confiance aux structures nationales telles que l'I2T qui a des technologies qu'on peut maîtriser pour faire de la compote et la vendre aussi. Quand je vais dans des supermarchés, je vois des confitures de mangue, d'abricot etc. Et j'ai le choix. Si c'est vraiment les confitures de mangue qui sont bonnes, qu'elles soient africaines, européennes ou asiatiques, je choisis.

N.V. : Mais pourquoi traîne-t-on alors? Est-ce parce que ces technologies coûtent trop chères?
G.B. : Non. Mais c'est parce que les Ivoiriens n'ont pas l'esprit de l'entreprenariat.

N.V. : N'est-ce pas aussi qu'il n'y a pas de volonté politique?
G.B. : Non, ce n'est pas une question de volonté politique. Si je veux être entrepreneur, je veux faire des confitures de mangue, est-ce que les Ivoiriens auront le réflexe de ce que ces confitures qui sont faites dans un atelier à Toumodi sont mieux que celles d'abricot qui viennent d'ailleurs ? Donc, c'est un problème d'évolution de mentalité. Comme vous parlez d'habitudes alimentaires, que cela se fasse aujourd'hui à l'école par les dégustations du Tô? par exemple. Dans un supermarché, de même qu'il y a la semoule de pomme de terre, il doit y avoir la semoule de maïs. Et en ce moment, et petit à petit, les gens s'en servent. Nestlé, il y a quelque temps, avait fait le foutou d'igname. Mais ce produit marche bien en Europe dans la diaspora, mais pas ici. Le troffè marche dans la diaspora. C'est un marché potentiel. Maintenant, il faut habituer les jeunes à cette alimentation. C'est une manière pour que ce troffè? soit vendu ici en Côte d'Ivoire.

N.V. : Nous voudrions avec votre permission revenir sur la production du riz. Si la Côte d'Ivoire doit produire rapidement du riz, cela signifie qu'elle dispose de semence. Y a-t-il de la semence de riz en Côte d'Ivoire?
G.B. : Oui, on a même trop de semence. Il y a un catalogue de variétés qui existe. Si vous prenez le riz pluvial, vous avez toutes les variétés possibles. Selon la pluviométrie et les endroits, il y a des variétés à cycle court et cycle long. Il existe aussi les superficies rizicultivables en Côte d'Ivoire.

N.V. : Qu'en est-il du coût?
G.B. : Il y a ici une indication à faire. L'Office des semences et plants (OSP), en son temps, a fait en sorte que le coût de la semence soit plafonné à 300 FCFA le kilo. L'Etat subventionnant 200 FCFA. C'est-à-dire que la semence qui est produite en régie était de 500 FCFA, et l'Etat a réfléchi en disant : Je vais mettre en place des systèmes de production communautaire de semence. Mais ces systèmes de production communautaire de semence sont financés par des bailleurs de fonds étrangers. Alors, on demande à l'Anader de produire 200 tonnes de semence dans le projet CBSS. Mais que représentent 200 tonnes de riz ? C'est 200 000 kg et cela est peu. Aujourd'hui, le CNRA a des variétés mais pour produire de la semence, il faut mettre en place des technologies qui nécessitent beaucoup d'argent. Ce qui fait que la semence est à 500 FCFA. L'Etat le sait, des variétés existent au niveau du CNRA et de l'ADRAO. Au niveau de la sélection variétale, les variétés existent.

N.V. : Qui doit semer le riz? Le paysan avec sa machette ou bien devrait-on opter pour une mécanisation de l'agriculture?
G.B. : Le problème de l'agriculture, c'est l'exploitant. Et donc, la Côte d'Ivoire ne peut pas dire : Je mécanise?. A partir du moment où le prix est incitatif, je peux produire beaucoup, j'ai de l'espace, je m'organise en conséquence. C'est comme ça que les choses vont se faire. Ce qui veut dire que la mécanisation ne se décrète pas. Lorsque vous achetez un motoculteur, il est exonéré de taxes mais lorsque vous devez acheter les pièces de rechange, elles sont taxées. Alors que si les pièces de rechange de ce motoculteur étaient aussi détaxées, la motoculture irriguée irait de l'avant. Il existe un centre de mécanisation agricole à Grand-Lahou qui a formé déjà près de 20 000 riziculteurs du nord, du centre, de l'ouest, de l'est et du centre ouest. Malheureusement aujourd'hui, la Coopération japonaise qui subventionnait ces motoculteurs s'est retirée dès le déclenchement de la crise. Et le prix d'un motoculteur fait aujourd'hui 3 millions de FCFA. Mais si le paddy peut être acheté entre 150 et 200 FCFA le kg, je peux justement acheter moi-même mon motoculteur, labourer moi-même ma parcelle et faire de la prestation chez d'autres, et ça me permet de gagner de l'argent. On demande à l'Etat d'agir sur des segments, sur la fiscalité et la parafiscalité, sur les intrants, sur les herbicides, etc. Et même sur la machette et la lime. Il suffit que la Côte d'Ivoire dise : Pendant 3 ans, avec la guerre qui est venue, je détaxe les limes, je détaxe les machettes?, pour que le prix soit bon pour relancer la culture du riz. L'Association nationale des riziculteurs de Côte d'Ivoire, l'Anariz-ci, et la cooderiz, avec l'appui de l'Anader sont là pour produire. Mais toute culture a des ennemis. Dans les bas-fonds, il faut de l'herbicide adapté. Or, les prix aussi augmentent. Des herbicides qui étaient en 1975 à 12000 FCFA sont aujourd'hui à 25. 000 FCFA. Ils ont pratiquement doublé. Par contre le prix du paddy est resté à 100 FCFA. Voilà ce qui n'encourage pas.

N.V. : L'Etat aurait donc dû augmenter le prix du paddy?
G.B. : Mais l'Etat a pris une option d'importation...

N.V. : Pour les 3 années à venir par rapport à votre projet de grands aménagements, peut-on avoir une idée du budget?
G.B. : On demande à l'Etat, pour tous les segments de la filière, 15 milliards de FCFA. Ainsi, sur une période de 3 ans, on peut facilement faire un surcroît de production de 25%. La communication va passer en Conseil des ministres, alors vous aurez les chiffres. Et si la cadence se maintient, on peut très rapidement, au bout de 5 ans, être autosuffisant et même exporter le riz. Actuellement, nous sommes tombés à 400 000 tonnes de riz blanchi en Côte d'Ivoire. Pratiquement, il y a 800 000 tonnes qu'on importe. Donc d'ici à 3 ans, l'objectif est d'atteindre 1 million de tonnes de riz blanchi qui était la production que nous faisions jusqu'en 1999.

N.V. : Mais on ne sera pas encore autosuffisant?
G.B. : Mais on aura produit la moitié quand même. Et si cela continue sur les autres 5 années, alors, on sera à peu près à 80% de 1 million de tonnes. On produira 1,2 million de tonnes car les importations devront être d'environ 500. 000 tonnes. C'est ça qu'on cherche parce que la consommation augmente avec la population. D'ici là, on sera passé à 1,2 million et on pourrait atteindre 1,5 million de tonnes d'ici l'an 2015. Donc, il s'agit que sur des segments de 7 ans, nous arrivions à produire 1 million de tonnes de riz blanchi ou 1,2 million de tonnes de riz blanchi et que les importations soient de 300 000 tonnes.

N.V. : Qu'est-ce qui a fait qu'en 1976, la Côte d'Ivoire était autosuffisante en riz?
G.B. : C'est la simple volonté politique. On a créé une société, la Soderiz, on a formé des techniciens, on leur a dit de produire. Ils se sont mis à produire et ils sont arrivés effectivement à cette autosuffisance en riz. De 1972 à 1977, la Côte d'Ivoire était autosuffisante. On avait investi dans la construction de barrages agro-pastoraux afin qu'on développe le riz irrigué qui produit 3 fois plus que le riz pluvial. C'est la combinaison de cela, c'est-à-dire la volonté de faire, de mettre en place des infrastructures d'irrigation, d'aménager des terres et de faire une politique de semence gratuite de 1985 à 1992 avec l'OSP.

N.V. : Mais pourquoi la Soderiz qui travaillait si bien a-t-elle été supprimée?
G.B. : Elle a été supprimée parce que les dirigeants d'alors ont voulu personnaliser la gestion des sociétés appartenant à l'Etat. La politique était qu'on créait une société pour une personne. Quand il y avait des failles dans la gestion, on supprimait la société. Mais dans le cas de la Soderiz, ce n'est pas totalement cela. En ma qualité de technicien, ma part de vérité est que la Soderiz achetait le riz aux paysans et c'est la Caisse de péréquation qui le commercialisait. La Caisse de péréquation qui agréait les vendeurs, les quotataires, devait par la suite reverser l'argent à la Soderiz pour qu'elle rembourse ses emprunts. Si au cours des premières années, le schéma a fonctionné normalement, en 1977, alors que tous les besoins nationaux ont été satisfaits, la Soderiz n'avait pas d'argent pour faire la campagne 1977-1978. L'Etat, à travers la Caisse de péréquation n'ayant pas honoré ses engagements.

N.V. : Et pourquoi?
G.B. : Parce que l'Etat a estimé que le riz que la Soderiz produisait était cher. Il se situait, à ce moment-là, entre 150 et 200 FCFA le kg alors que sur le marché international, le riz était entre 50 et 75 FCFA le kg. La Soderiz était obligée d'arrêter ses activités. Elle devait aux banques et l'Etat a commis un liquidateur pour vendre les biens de la société. A ce moment-là, peut-être qu'il aurait fallu céder ses actifs aux producteurs, il aurait fallu organiser ces producteurs en Cooderiz, en Anariz-ci. Mais c'était la période du parti unique et la vie coopérative ne permettait pas que des associations s'organisent pour se prendre en charge. Il a fallu attendre l'année 1985 pour que l'Etat reconnaisse son erreur et crée l'Office des semences et des plants pour encourager les producteurs en donnant des intrants au niveau des bas-fonds gratuitement. Cette politique a vécu jusqu'en 1990. En 1990, le 3ème choc pétrolier a fait que l'économie de la Côte d'Ivoire était sous ajustement structurel et la Banque mondiale a proposé à la Côte d'Ivoire d'arrêter sa politique rizicole et d'acheter du riz sur le marché. Plus tard, en 1992, encore sur conseil de la Banque mondiale, la filière riz est libéralisée et la Caisse de péréquation est supprimée. Il est mis en place une loi d'importation du riz et on passe d'un monopole d'Etat à des monopoles de personnes, de sociétés. Vous êtes des journalistes et vous connaissez les sociétés qui importent du riz en Côte d'Ivoire. Cherchez qui est derrière ces sociétés. Demandez les documents sur les actionnariats de ces sociétés et vous verrez que ce sont les gens qui sont derrière ces sociétés qui rendent la Côte d'Ivoire dépendante de l'extérieur pour de la spéculation la plus consommée. Je ne suis pas surpris que les prix flambent.

N.V. : Mais vous conseillez l'Etat...
G.B. : C'est effectivement notre rôle. Mais un conseiller, soit on l'écoute, soit on ne l'écoute pas. Le CNRA et l'Anader n'ont pas attendu 2008 pour tirer la sonnette d'alarme.
Aujourd'hui, le Centre national de recherche agronomique (CNRA) a toutes les lignées du riz du monde et demande, avec l'Anader, l'I2T et le laboratoire de l'université d'Abobo-Adjamé, que la Côte d'Ivoire donne les moyens aux structures qu'elle a créées pour l'aider à asseoir une politique rizicole. Des recherches sont effectuées au niveau des variétés d'igname, etc. Il faut que le ministère de l'Industrie fasse confiance à l'I2T pour mettre des moulins au point; le ministère de l'Agriculture fasse confiance à l'Anader et au CNRA. Si les moyens sont dégagés, il est possible, dans les 7 ans qui viennent, de faire en sorte que l'Etat de Côte d'Ivoire soit autosuffisant en riz. L'effort à faire est de mobiliser 15 à 20 milliards de FCFA.

Interview réalisée par Robert Krassault, Augustin Kouyo etAbdoulaye Villard Sanogo

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023