mercredi 4 juin 2008 par Nord-Sud

Le ministère de la Construction et de l'Urbanisme a décidé de détruire toutes les constructions anarchiques situées dans la zone aéroportuaire de Port-Bouët et son prolongement. Face à cette menace, locataires et propriétaires de ces maisons en appellent à l'indulgence des autorités.


Téa est inquiet. Les deux mains dans les poches de son pantalon, il a la tête baissée comme si la réponse à son souci se trouvait sur le sol. Sa maison en dur de deux pièces risque d'être détruite les jours à venir par les bulldozers du ministère de la Construction et de l'Urbanisme. Dans le sous-quartier Ancien Adjouffou dans la commune de Port-Bouët, non loin de l'aéroport international Félix Houphouët Boigny, Téa a acheté un terrain de 144 mètres carré avec un ressortissant béninois en 1996. L'espace lui a coûté 150.000 Fcfa. Le vendeur lui a délivré un reçu qui porte la signature des deux parties. C'est le seul document qu'il possède. Il déroule la suite de son histoire. Effectivement, le terrain m'a été vendu sur la base d'un marché de gré à gré. Le comité de gestion et de développement d'Agbabou a entériné la transaction. J'ai été fiché sur la liste des propriétaires de maison sur ce site après un recensement. Une fois les droits coutumiers payés, j'ai entrepris les travaux de construction qui ont pris fin deux ans plus tard. Ma maison m'a coûté 1,2 million Fcfa. Depuis, j'habite ici avec toute ma famille, explique-t-il.





Dormir la peur au ventre





Toute sa maisonnée perd le sommeil lorsqu'elle apprend par le petit écran qu'une vaste opération de déguerpissement sera bientôt engagée contre les maisons situées dans la zone allant de l'aéroport aux limites de Port-Bouët. Cet autre père de famille, qui vit dans une baraque avec sa famille, est aussi résigné. Je reconnais que nous occupons un site appartenant à l'aéroport. Cela est une évidence. Nous avons établi nos familles ici après de longues années de dur labeur. Où allons-nous partir aujourd'hui? , s'interroge-t-il.

Sur toute la zone aéroportuaire qui part d'Adjouffou à Gonzagville sont bâtis plus de 7.000 logements. Mme Bakayoko Koffi Elisabeth, propriétaire d'une cour commune avec des maisons de 2 à 3 pièces dissimule difficilement son amertume. Comment peut-on laisser des gens construire sur un site appartenant à l'Etat ? On les laisse investir leur argent et on décide de réduire en poussière ces efforts. C'est à la fois trop facile et injuste. Les pouvoirs publics devront renoncer à ce projet suicidaire. S'il arrivait qu'ils mettent en ?uvre leur dessein, alors ce sera une catastrophe sociale. Parce que ce sont des milliers de familles qui seront jetées à la rue. Cela ne fait pas honneur au pays , estime-t-elle. Un autre occupant, Dr. Traoré, médecin, vient d'achever sa villa. Il y réside avec sa famille depuis le début de l'année écoulée : Avoir un terrain à Abidjan pour construire une maison est un véritable parcours du combattant. Il est vrai que le site sur lequel nous avons construit est dans le domaine public, mais nous ne souhaitons pas partir. Il souhaite un règlement à l'amiable avec les pouvoirs publics. Cette opération de destruction de maisons, poursuit-il, est lourde de conséquences. La villa que j'ai bâtie représente toute ma vie. Aujourd'hui la tonne de ciment coûte 88.000 Fcfa (Ndlr : dernier prix en vigueur). Il n'est pas facile de construire une maison. Pour lui, la solution réside dans la régulation des terrains en question. Il demande que l'on donne la possibilité aux occupants d'obtenir tous les documents administratifs nécessaires. Sous le vacarme assourdissant que déclenche le décollage ou l'atterrissage des avions, Sylla Kassoum, promoteur d'une agence de voyage et propriétaire d'une villa de quatre pièces dans ce quartier. L'infortuné fait son mea-culpa : Je reconnais que nous squattons ce site. En 2002, j'ai payé mon terrain d'une superficie de 225 mètres carrés à 200.000 Fcfa. La transaction s'est faite avec le chef de quartier. Il se nomme '' Vieux Valentin''. J'ai dépensé 8 millions Fcfa pour les travaux. Nous voulons engager la négociation avec les autorités. Même si le communiqué gouvernemental nous a semblé très musclé, la voie du dialogue doit être privilégiée. Ce sont plus de dix mille familles qui vivent ici. Imaginez toutes ces familles sans abris. Les résidents dorment désormais la peur au ventre. Pr.Aka Théophile, cadre financier d'une société de la place possède un imposant immeuble (R+3). Il reconnait l'irrégularité. Obsédé par la recherche d'un toit, je n'ai pas hésité un seul instant. Une aubaine s'est présentée à moi en 2003. Un ressortissant malien m'a proposé un terrain de 600 mètres carrés à 1,2 million Fcfa. Tout a été réglé en relation avec le comité villageois avance-t-il. Les travaux de construction de son immeuble commencent en août de la même année pour s'achever en septembre. Selon lui, le montant de son investissement s'élève à 85 millions Fcfa. Si on doit détruire du jour au lendemain cet ouvrage, ce sera la catastrophe.





La conciliation





On aurait dû décourager le début des travaux. Mais, les autorités ont fermé les yeux et les maisons ont poussé comme des champignons. Je pense qu'il faut ouvrir des négociations. Il est possible de trouver une solution. Au pire des cas, il faudra trouver un site d'accueil pour toutes ces familles propose-t-il. Kpan Romain, infirmier secouriste et Kassi Marc tous deux locataires à Adjouffou sont du même avis. Même s'ils balaient du revers de la main les arguments du ministère de la Construction. Le prétexte de sécurisation de la zone aéroportuaire ne tient pas. Dans des villes comme Dubaï, l'aéroport se trouve en plein centre de ville. Les avions décollent et atterrissent sans problèmes. Les autorités ont cautionné la construction des habitations dans le périmètre aéroportuaire. Les gens ont déboursé des millions pour bâtir leurs maisons. C'est une cruauté absolue si on doit anéantir toutes ces concessions, déclarent-ils. Le comité de gestion et de développement d'Adjouffou, tutelle légale des différentes opérations immobilières s'inscrit dans une démarche de conciliation. Doba Zouahain Dagobert, président dudit comité fait le plaidoyer suivant : Nous souhaitons être reçus par le ministère de le Construction et de l'Urbanisme afin de trouver les solutions idoines. Car il serait dangereux de fabriquer des sans-logis pendant que nous nous approchons inéluctablement des élections. La sortie de crise ne doit pas créer des frustrations au risque de générer des tensions sociales inutiles.



O.M

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