samedi 7 juin 2008 par Notre Voie

Notre Voie vous a offert, hier, en intégralité, l'interview saisissante accordée par le président ivoirien, Laurent Gbagbo, à la télévision publique française à vocation internationale France 24. Dans cette analyse, nous exposons les grands enseignements que livre le décryptage de l'intervention du chef de l'Etat.
Trois grands axes et enseignements se dégagent, à notre sens, de l'interview importante que le président de la République de Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, a accordée à la télévision française France 24 à Abidjan et diffusée hier. Il s'agit, primo, de la vision du chef de l'Etat des élections en Côte d'Ivoire, principalement de l'élection présidentielle. Secundo, de sa conception des nouvelles relations bilatérales entre la Côte d'Ivoire et la France. Et tertio, du princi-pe sous lequel les événements douloureux (pour les deux pays) de novembre 2004 devront être appréhendés. Attendez ! AttendezMon passé plaide pour moi ! Je n'aime pas que les gens passent sur ce passé-là. C'est moi qui ai lutté pour la démocratie ; c'est moi qui ai fait la prisonDes prisonsJ'ai fait au moins quatre fois de la prison pour que nous ayons de nouveau la démocratie. C'est moi qui ai été en exil pendant six ans et demi à Paris (France) sans famille, sans travail, sans salaire, chez des amis. Le résultat de tout cela, c'est que nous avons eu le multipartisme que j'essaie de transformer en démocratie. Donc il ne faut pas que les gens croient que Gbagbo est un premier venu. Je ne viens pas d'arriver ! Je suis là, et c'est moi qui ai ramené la démocratie par mon combat quotidien. Il faut qu'on le sache.
Ces propos de Laurent Gbagbo tenus sur un ton d'agacement restituent, somme toute, le rôle central que l'ex-opposant historique à Houphouet-Boigny a joué pour le retour au multipartisme en Côte d'Ivoire et l'engagement du pays sur la voie de la démocratie.

Elections démocratiques et transparentes

Pendant 30 ans d'opposition, dont 20 ans très actifs, l'homme politique Laurent Gbagbo a connu toutes sortes d'humiliation. Certaines étaient bien pires que celles subies par Morgan Tsvangirai au Zimbabwe. Mais les grandes puissances du monde, dont la France, n'osaient pas dénoncer l'attitude dictatoriale du pouvoir du parti unique de l'époque en Côte d'Ivoire. La raison ? C'était l'ami Houphouet-Boigny qui tenait le pouvoir. Celui que De Gaulle appelait cerveau politique de premier ordre. L'opposant Gbagbo a connu plusieurs fois les geôles des prisons ivoiriennes pour ses idées et son combat pour la démocratie. Le dernier emprisonnement suivi de sévices corporels en date est celui de 1992. L'ordre venait d'Alassane Dramane Ouattara, Premier ministre d'Houphouet. Henri Konan Bédié, alors président du parlement ivoirien, s'était même déplacé chez Ouattara pour le féliciter pour l'incarcération réussie de Gbagbo, cet opposant gênant. Deux années auparavant, soit en octobre 1990, lorsque Laurent Gbagbo s'est présenté à l'élection présidentielle face à Houphouet, le système du parti unique, qui ne voulait céder sur aucune exigence démocratique, a mis en branle la répression et la fraude. Le ministère de l'Intérieur, organisateur du scrutin, a affecté un pourcentage de son choix à Gbagbo. L'opposition muselée et réprimée n'avait aucune possibilité de contrôle. Après Houphouet, son successeur Bédié a hérité du même système d'opacité et de fraude. De 1993 à 1999, Konan Bédié s'est opposé à toute démocratisation de la vie politique ivoirienne, ainsi qu'à la tenue d'élections transparentes et démocratiques. Il ne voulait pas d'urnes transparentes, de bulletin unique, de commission électorale indépendante, ni du vote à 18 ans. L'opposant Laurent Gbagbo, qui avait obtenu de haute lutte le retour du multipartisme sous Houphouet, a poursuivi son combat face à Bédié. Un combat dont le point culminant fut le boycott actif de la présidentielle d'octobre 1995.
Même face aux militaires, après le coup d'Etat de décembre 1999, Laurent Gbagbo a continué sa bataille pour la démocratie. Arrivé au pouvoir en octobre 2000 par des élections organisées par une commission électorale indépendante, le président Laurent Gbagbo estime qu'il faut maintenir le cap de la démocratisation en Côte d'Ivoire. C'est parce qu'on ne s'est pas mis dans la peau du démocrate (allusion faite aux soutiens de la rébellion armée) pour défendre un régime démocratiquement installé dès le départ que cette crise a perduré, a-t-il précisé sur France 24.
Le chef de l'Etat ivoirien croit en la démocratie comme un système politique salutaire pour l'Afrique. Voilà pourquoi il abhorre la prise du pouvoir par les armes et se bat pour que les élections présidentielles de novembre 2008 en Côte d'Ivoire soient libres et sans fraude.

A bas le paternalisme !

Côté diplomatie, le président Laurent Gbagbo demeure engagé pour la réforme des relations bilatérales entre la France et la Côte d'Ivoire. Voire entre l'Afrique et la France. C'est à juste titre qu'il salue le discours du chef de l'Etat français, Nicolas Sarkozy, prononcé le jeudi 28 février 2008 devant le parlement sud africain réuni au Cap, en Afrique du Sud. Je suis à 150% d'accord avec lui (Nicolas Sarkozy). Je suis vraiment d'accord, lance le président ivoirien. Qui pense qu'il est temps que les relations franco-ivoiriennes se débarrassent des habits du paternalisme de la France, l'ex-colonisateur.
Après 45 ans d'indépendance, Laurent Gbagbo trouve son pays suffisamment adulte pour prendre son destin en main. Un destin qui se traduit par la diversité des partenaires économiques mais également par une autonomie en matière de sécurité. D'où le bien-fondé de la suppression de la base militaire française en Côte d'Ivoire (le 43ème BIMA).
Qu'il n'y ait plus de base militaire française ici selon ce qu'a dit Nicolas Sarkozy et je pense qu'il a bien fait de le dire (). Dans les relations entre la France et la Côte d'Ivoire, le plus important, c'est le fondamental. Or, le fondamental, c'est de laisser de côté ces vieilles rengaines du tutorat, de grand frèrisme, ce que Aimé Césaire appelait avant le fraternalisme. Le plus important, c'est de laisser ça de côté et d'avoir des rapports d'Etat à Etat, des rapports normaux, des rapports sains.

Lumière sur les événements de novembre 2004 et l'affaire Kieffer

Dans la veine des rapports normaux d'Etat à Etat que demande le chef de l'Etat, figure en bonne place le recours permanent à la recherche de la vérité et au respect mutuel. Si ces données avaient prévalu à propos des événements de novembre 2004, ainsi que dans l'affaire de la disparition mystérieuse le 16 avril 2004 à Abidjan du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, on n'en serait pas à ce charivari constaté çà et là. Laurent Gbagbo pense en toute sincérité qu'il faut rompre avec cette attitude de victimisation qui s'abreuve de clichés et d'a priori. Attitude qui voudrait que les coupables ne soient qu'en Afrique et les innocents ailleurs. Qu'un fait ordinaire sous d'autres cieux devienne obligatoirement extraordinaire une fois qu'il survient en Afrique.
Soyons sérieux. Si quelqu'un a disparu, laissons les juges, les policiers et les gendarmes faire leur travail. N'essayons pas de politiser des affaires qui sont toutes courantes dans notre métier de chef d'Etat. On voit ça plusieurs fois. Il ne faut pas chercher à politiser une affaire qui est ordinaire, dira le président Gbagbo à l'endroit du gouvernement français à propos de la disparition de Kieffer. Autre chose : Laurent Gbagbo réclame qu'une enquête libre soit ouverte pour faire la lumière sur les événements de novembre 2004, sans oublier le bombardement du cantonnement français à Bouaké. Gbagbo souscrit même à l'idée d'une enquête parlementaire française. Je demande depuis longtemps qu'une enquête soit ouverte sur l'ensemble des éléments. Certains députés français ont demandé une commission d'enquête française. Elle n'a pas eu lieu, cette commission elle n'a pas fonctionné, déplore-t-il.
Le discours du Président ivoirien, Laurent Gbagbo, s'inscrit dans la droite ligne du nouvel ordre dans les rapports entre la France et l'Afrique qu'exigent les africains à travers le continent. Un tel discours ne peut que séduire l'Afrique de l'émancipation. Sauf celle de la françafrique, à l'instar de la Côte d'Ivoire de l'ordre ancien pour qui l'interview de Gbagbo serait révoltante?.




Didier Depry didierdepri@yahoo.fr

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