lundi 9 juin 2008 par Le Nouveau Réveil

Dans le communiqué du Conseil des ministres qu'a publié Fraternité Matin dans son édition du 6 juin dernier, il est écrit, à propos du sit-in projeté par des diplomates de carrière en service au ministère des Affaires étrangères, que " le Chef de l'Etat, en historien avisé, a retracé l'évolution de la représentation diplomatique et ce, en partant des sociétés traditionnelles, des royaumes ou empires pour arriver aux Etats modernes. "
Pourquoi donc, s'agissant d'une histoire aussi récente que celle de l'élection présidentielle de 1990, l'historien avisé qu'est censé être Laurent Gbagbo vient-il nous raconter des histoires en travestissant des faits dont pourtant la plupart des principaux acteurs sont toujours vivants ? Pourquoi Laurent Gbagbo vient-il nous raconter que c'est lui qui avait gagné l'élection présidentielle de 1990 ? Cela fait 18 ans que cette élection s'est déroulée. Et c'est la première fois que l'on entend cela dans la bouche de Laurent Gbagbo. En 1990, après la proclamation des résultats de l'élection, nous n'avons pas souvenance d'une protestation de Laurent Gbagbo ou d'une marche, lui qui, à cette époque, était pourtant le champion toutes catégories en matière de marche, pour revendiquer une victoire qu'on lui aurait volée. Pourquoi donc nous ressortir cela aujourd'hui ? Rappelons à Laurent Dona-Fologo qu'il était à cette époque le secrétaire général du PDCI et directeur de campagne de Félix Houphouët-Boigny. Peut-il nous dire s'il est vrai que c'est bien Laurent Gbagbo qui avait gagné l'élection ? Au stade du reniement de soi qu'il a atteint aujourd'hui, Fologo est capable de nous dire que ce que Gbagbo a dit est la vérité vraie.
Je crois pour ma part que la vérité dans cette histoire d'interview est qu'en réalité Gbagbo ne s'adressait pas à nous Ivoiriens. L'interview a d'ailleurs été accordée à une chaîne française que peu d'Ivoiriens regardent. Gbagbo s'adressait en fait à l'opinion française qu'il veut préparer à la victoire qu'il va revendiquer à l'issue de la prochaine élection. On sait qu'une victoire à une élection en Afrique francophone ne vaut que si elle est reconnue par la France. Rappelez-vous que Gbagbo n'est devenu président en 2000 que lorsque la France a reconnu sa victoire, au grand dam de Thabo Mbeki qui réclamait une nouvelle élection. S'il dit qu'il a gagné contre Houphouët-Boigny qui était au pouvoir en 1990, contre Robert Guéï qui était au pouvoir en 2000, pourquoi perdrait-il en 2008 alors que c'est lui qui est au pouvoir ? Faut-il rappeler à l'historien que jusqu'à ce jour personne ne sait le vrai résultat de l'élection de 2000, que Robert Guéï fut le premier à se proclamer vainqueur, que lui, Gbagbo ne fut déclaré vainqueur qu'à la suite de tueries et du retournement d'une partie de l'armée contre Robert Guéï qui dut prendre la fuite ? Faut-il aussi lui rappeler qu'il avait accepté d'être candidat alors que l'on avait de manière scélérate écarté les candidats des deux plus importants partis que sont le RDR et le PDCI ? Et pourtant il revendique la paternité de la démocratie en Côte d'Ivoire. " C'est moi qui ai lutté pour la démocratie ; c'est moi qui ai fait de la prison des prisons c'est moi qui ai été en exil pendant six ans et demi à Paris, sans famille, sans travail, sans salaire. " nous dit-il. Faut-il lui rappeler qu'ils sont nombreux, ceux qui comme lui firent de la prison dans ce pays parce qu'ils revendiquaient la démocratie ? A-t-il oublié les Gbaï Tagro, Akoun Laurent, Ganin Bertin, Tiburce Koffi et tant d'autres avant lui ? Faut-il lui rappeler que son départ en exil n'avait été qu'une fuite, alors que tous ses camarades de combat qu'étaient les Zadi Zaourou, Francis Wodié et bien d'autres étaient restés dans le pays pour combattre le pouvoir d'Houphouët-Boigny et qu'ils n'ont pas été tués ou emprisonnés ? Qui menaçait d'arrêter Laurent Gbagbo lorsqu'il prenait la fuite pour la France ? Faut-il lui rappeler qu'en 1982, c'étaient nous les étudiants qui avions déclenché la grève parce que le pouvoir lui avait interdit de parler au Théâtre de la cité et que pour cette grève nous avions été enfermés à Akouédo ? Il est vrai que la victoire a plusieurs pères mais affirmer comme le fait Gbagbo que c'est lui qui a " ramené la démocratie par son combat quotidien " est purement démagogique.
Mais une chose est de ramener la démocratie et une autre est de la pratiquer. Qu'a fait Gbagbo du combat mené par les gens de sa génération qui ont risqué leurs libertés et vies pour cette démocratie ? Est-ce ce que nous voyons là, la démocratie que revendique Gbagbo? Est-ce cela la démocratie, lorsque l'on arrête un homme parce qu'on l'a entendu dire simplement " on est prêt " ? Est-ce cela la démocratie, lorsque l'on crée des escadrons de la mort pour assassiner ceux qui pensent différemment ? Est-ce cela la démocratie, lorsque l'on détruit des bidonvilles, jetant ainsi des milliers de familles à la rue parce que des assaillants seraient partis de ces bidonvilles pour attaquer une caserne ? Est-ce cela la démocratie, lorsque l'on soutient des jeunes étudiants qui tuent en toute impunité leurs camarades qui pensent différemment ? Est-ce cela la démocratie, ce pouvoir aux mains pleines de sang qui, tel un vampire, suce chaque jour le sang de ce peuple et nous menace tous les jours dans nos vies et nos libertés ? Qu'a dit le jeune Assalé Tiémoko Antoine qui lui vaut de croupir en ce moment en prison ? Il a dit que ce pays est corrompu. N'est-ce pas ce que Laurent Gbagbo lui-même a récemment reconnu, en avouant même que le pays qu'il gouverne est devenu le cinquième pays le plus corrompu de la CEDEAO ? Charles Blé Goudé, fils spirituel de Laurent Gbagbo déclarait ceci dans Fraternité Matin du 6 juin dernier : " Nous sommes tous le produit d'un système qui nous a enseigné une manière d'être, une manière de voir, une manière de concevoir. J'ai bien l'impression malheureusement que la valeur morale a foutu le camp en Côte d'Ivoire. On ne vous considère que quand vous avez beaucoup d'argent. On ne vous enseigne que les voies de bifurcation c'est-à-dire les raccourcis. L'on a tendance à contourner les contraintes légales. " Il est justement bien placé pour en parler, lui qui fut accusé, à l'arrivée des refondateurs, d'avoir pris un raccourci appelé tricherie pour obtenir sa licence en anglais. Mais son constat est parfaitement juste. C'est bien cela qu'a produit la démocratie de Laurent Gbagbo. Gbagbo peut revendiquer cette démocratie-là, personne ne la lui disputera. Parce que la démocratie, la vraie, celle pour laquelle de vaillants Ivoiriens ont sacrifié leurs vies et libertés n'est pas du tout celle qu'il nous sert depuis qu'il est au pouvoir.
Et puis, quel est ce faux suspense qu'il essaie de nous servir dans cette interview, à propos de sa candidature ? Lorsque le journaliste lui demande s'il sera candidat, il répond qu'il le dira à un moment qu'il choisira, parce que maintenant c'est trop tôt. Il n'est pas encore candidat et il a des directeurs de campagne qui battent campagne dans tout le pays ? Il n'est pas candidat et son épouse sillonne le pays pour demander aux populations de lui accorder un second mandat ?
L'on voit aujourd'hui que la France a entrepris de réhabiliter Laurent Gbagbo. Et peut-être même à l'aider à conserver son pouvoir. En témoignent les paroles élogieuses de Jack Lang à l'endroit de Laurent Gbagbo, après qu'il l'eut emmené s'amuser dans ce haut lieu de la pédophilie qu'est la Rue Princesse. En témoigne également cette interview que vient de lui accorder la chaîne France 24 qui lui a permis de travestir l'histoire récente de notre pays et de se payer la tête des Français en leur déclarant qu' " aucun Français n'a été détroussé en Côte d'Ivoire, aucun Français n'a été pillé, aucun Français n'a été tué, chassé. " En témoigne enfin la visite que va lui rendre prochainement Bernard Kouchner, le ministre français des affaires étrangères, ancien militant des droits de l'homme.
Espérons que les Ivoiriens qui attendent que quelqu'un d'autre vienne les débarrasser du régime sanguinaire et kleptomane des refondateurs auront enfin compris que c'est à eux seuls qu'il appartient de se mobiliser pour le faire. Blé Goudé qui retrouve un brin de lucidité dit qu'il n'y a plus de morale en Côte d'Ivoire depuis que les refondateurs sont au pouvoir. Il n'y en a jamais eu dans les relations internationales. Les principes moraux sont totalement solubles dans les intérêts économiques. C'est pour cela que les pays qui prônent le plus le respect des droits de l'homme sont ceux qui soutiennent les pires dictatures au monde. C'est pour cela que Nicolas Sarkozy qui, pendant sa campagne électorale, avait dit qu'il changerait les relations entre la France et ses anciennes colonies a viré son ministre qui l'avait pris au mot et déclaré qu'il fallait enterrer le Françafrique, qu'il s'est précipité dans les bras de Bongo, qu'il a renoué avec l'Angola où l'on n'a pas organisé d'élections depuis 1992, et qu'il est en train de renouer avec Laurent Gbagbo qui a sur sa conscience la mort de plusieurs centaines d'habitants de ce pays et qui n'a pas organisé d'élection depuis 2005.
Venance Konan

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