mercredi 25 juin 2008 par L'intelligent d'Abidjan

Toute durant sa carrière artistique, le septuagénaire a promené sa voix sur une guitare pour le bonheur du peuple ivoirien, ainsi que pour la promotion de la musique Akyé. Après une carrière mitigée, il a décidé en écoutant son âme , de se retirer de la scène. Dans cet entretien, Anouma Brou Félix expose ses déboires et révèle son nouveau point de chute.


Vous avez, à une époque, été l'une des figures emblématiques de la musique ivoirienne. Aujourd'hui vous êtes derrière le rideau. Peut-on savoir pourquoi ?



D'abord, il faut savoir que j'ai pris un coup de vieux, mais, je suis artiste et je mourrai comme tel. Il y a des moments dans la vie lorsque rien ne va, il faut savoir reculer pour mieux sauter. C'est ce qui justifie cette disparition du petit écran. Je suis l'un des premiers musiciens Akyé. Et avec Amédée Pierre et bien d'autres, je passe pour être un des doyens de la musique ivoirienne. C'est parce que les affaires ne me répondent pas. Quand on veut forcer, on se tord le cou après. Ce n'est pas que j'ai abandonné la scène, mais c'est le temps pour moi de passer à une autre étape de ma vie. Je suis né avec une puissance. Car depuis mon enfance, je n'ai appris à jouer à aucun instrument. J'ai pris les différents instruments : la batterie, la guitare, le toumba, la guitare basse et les ai joués sans que l'on m'apprenne les premières notes. C'était ainsi parce que c'est mon âme qui faisait tout à ma place. Quand je jouais la guitare, c'est elle (Ndlr, l'âme) qui me poussait à le faire..




Pourtant ,Amédée Pierre qui a également pris un coup de vieux est encore présent sur la scène avec les jeunes générations

Chacun a sa chance sur cette terre. Voilà pourquoi lorsque tu es jaloux, tu meurs. Moi, je ne connais pas la jalousie. Je ne me plains jamais. Ce que je suis en train d'écrire, mon âme me le dicte. Eux, ils continuent, quant à moi, je préfère vivre dans mon petit coin ici (Ndlr : dans ma maison à Adzopé).




Que devient donc Anouma Brou Félix aujourd'hui ?

Pour Anouma Brou Félix, chaque chose a son temps. J'ai été d'abord couturier. Un métier que j'ai abandonné plutard. Je me suis ensuite lancé dans la musique. Aujourd'hui, mon âme qui m'a appris à faire tout cela n'est plus là. Si je prends une guitare en ce moment je ne sais plus ce que je dois en faire. La musique ne t'a pas rapporté, il faut essayer une autre branche . C'est le dernier mot que mon âme m'a dit et qui m'a plu. Elle m'a laissé un proverbe, il dit que sur l'arbre des arts, il y a plusieurs branches. Chaque branche donne des fruits. Au début, j'étais sur celle de la musique. Elle m'a demandé de me déplacer pour me mettre sur la branche de l'écriture. Je suis écrivain. Quoi qu'on dise, Anouma Brou Félix est écrivain. Il faut savoir que j'écris depuis 1966. Chose étrange puisque j'ai un niveau d'étude CE1 inachevé , parce que j'ai passé trois mois en classe de CE1 du fait du décès tragique de mes géniteurs.




Quelle distinction Anouma Brou Félix a obtenu durant sa carrière ?

Je voulais le prestige. Je voulais percer dans la musique, mais je n'ai pu. J'ai créé une danse le Wami . Je l'ai expérimentée avec quatre jeunes gens du Groupe N'dji Orchestra. Il a suffi de quinze minutes pour que ceux-ci esquissent les pas de cette danse. Dès l'instant que nous nous sommes mis à la danser, le public a commencé à se manifester en donnant de l'argent. Je me souviens que ce jour-là, j'ai reçu séance tenante la somme de cinquante mille francs. Il y a plusieurs exemples de ce genre. Mais, mon âme me dit d'arrêter la musique. J'ai été fait Officier de l'Ordre du mérite national par le Président Félix Houphouët Boigny.




Que devient la danse le Wami et pourquoi n'a-t-elle pas bénéficié de l'onction populaire ?

Le Wami est dérivé du rythme Akan appelé Akpô N'gbô , que j'ai modifié un tout petit peu. C'est un amalgame de pas accompagnés de gestes, exécuté de façon synchronisée. Le Wami n'a pas été créé en Côte d'Ivoire. Il est né en France. J'avais des amis Camerounais avec lesquels je travaillais à Paris. Ces musiciens-là soutenaient qu'ils étaient plus créateurs que les Ivoiriens. Cela m'a fait très mal à l'époque. Une fois de retour à la maison, je me suis dit qu'il était tant que je créé une danse. J'ai donc créé le Wami qui signifie Rythmes des pas . En Côte d'Ivoire, tous les peuples dansent aux rythmes des tambours et des percussions. On peut danser le Wami sur les rythmes de chants et de danses ivoiriens. Pourquoi cette danse n'a pas séduit le public ? Je ne sais pas pourtant quand je danse le Wami tout le monde m'admire. Comme c'est ainsi, mon âme m'a demandé de laisser la musique et d'écrire. Donc j'ai fini par deposer la guitare.




Vous n'avez de cesse de parler de votre âme. Que représente-t-elle pour vous?

Mon âme est mon dieu. Parce qu'elle me parle depuis 1946, alors même que j'avais onze ans. Mon âme m'a fait réaliser des choses indescriptibles et inimaginables. Vous savez comment je suis allé pour la première fois à Abidjan ? Mon père et ma mère sont décédés au cours du mois d'avril 1946. J'ai eu marre de rester vivre à Adzopé. J'avais un oncle qui était interprète auprès des colons, un cadre à l'époque qui vivait à Abidjan et qui s'appelait Nicolas Kébé. Un matin, aux environs de 8 ou 9 heures, j'étais en train de laver les assiettes. C'était la première fois que j'entendais cette voix. Elle m'a dit : ne voulais-tu pas aller à Abidjan ? Voilà un camion de transit de marchandises de cacao qui part pour Abidjan . J'ai pris peur. Et la voix de me dire : n'entends-tu pas ? . Puis, je suis monté dans le véhicule sans un radis. Le véhicule faisait escale à Agboville pour ensuite prendre le chemin pour Abidjan. Ainsi, une fois à bord, au moment du contrôle des titres de transport mon âme me dit à l'oreille de dormir. C'est ce que je fis sans hésiter. Le capitaine ne m'a pas réveillé pour le contrôle. Lorsque le véhicule est entré à Agboville, j'ai été le premier à descendre. J'ai cherché la gare de train. Le train n'est arrivé qu'aux alentours de 18 heures. Là, j'ai rencontré un ami de quartier qui m'a demandé où j'allais. A Abidjan, je lui ai répondu. Et lui de me demander : veux- tu aller à la capitale sans titre de transport ? Allons que je t'achète un ticket de transport . Au cours du trajet, on ne m'a pas contrôlé.




Est-ce que Anouma Brou Félix a déjà rencontré le Président Laurent Gbagbo?

Oui, mais, pas de façon officielle. En 2004, à Assinie-Mafia, il y avait des artistes musiciens, des Cubains, des Congolais ou des Camerounais qui étaient venus d'un peu partout faire des dons au Président de la République. Le Président Gbagbo à son tour a dit qu'il avait aussi des anciens musiciens. Entre temps, il avait demandé à la radio internationale BBC de rechercher quatre anciennes gloires de la musique ivoirienne encore vigoureuses. Le Président a présenté Amédée Pierre, N'douba Kouakou Simon qui est jeune, mais qui joue avec ces grands frères. A mon tour, le Président Gbagbo, répondant à sa propre question de savoir pourquoi il m'avait mis en dernière position, a fait savoir que s'il n'était pas Président de la République, il n'aurait pas eu l'occasion de serrer la main à Anouma Brou Félix. Cela m'a fait verser quelques larmes. Le Président Laurent Gbagbo me connaît depuis Gagnoa lorsque j'y avais mon orchestre. Quand il allait en vacances. Tout récemment en Mars 2008, le Président Laurent Gbagbo était à Adzopé. J'ai seulement joué et après je suis allé vers lui. Il m'a embrassé et m'a dit : on se connaît à Gagnoa n'est-ce pas ? .




Vous êtes en train d'écrire un ouvrage intitulé Sueur du courage purifie l'âme, donc mets-toi en évidence Enfant Noir . De quoi parle ce livre?

Ce livre est autobiographique et philosophique. Je traite de l'exode rural et du retour à la terre. C'est l'histoire d'un jeune homme qui est allé à Abidjan. Il a voulu se battre pour réussir. Il a tout fait, mais rien y fit. Abattu, il est retourné vers son père au village qui lui a cédé un lopin de terre pour sa mise en valeur. Quand un homme est à l'ouvrage, la sueur qui s'échappe de son corps est ce qui purifie l'âme. C'est un appel à la jeunesse ivoirienne pour se prendre en charge en utilisant leurs propres moyens d'actions. Sueur du courage purifie l'âme, donc mets-toi en évidence Enfant Noir , est une équation arithmétique qui combine aptitudes académiques, l'intellect et la volonté de se réaliser par soi-même. Mon livre est un défi. C'est mon expérience que je confie aux jeunes Ivoiriens. Car, comme il est dit de façon triviale, la vie est un combat.




Votre premier livre a été publié, mais il n'a pu être commercialisé. Pourquoi ?

J'ai fait le premier tirage, mais il a rencontré quelques difficultés liées à des taches d'encre, des erreurs graves ou encore des fautes intolérables. Vous savez, je m'interroge encore sur le pourquoi de tout ceci. Je ne sais si c'est par pure jalousie. J'ai voulu éditer mon livre à Fraternité Matin. Mais, Valen Guédé, alors chef (Ndlr, PCA) du Burida l'a édité ailleurs. Les mille exemplaires sont restés jusqu'à ce jour au Burida. Cette édition gâchée m'a coûté la bagatelle de trois millions de francs CFA que je suis en train d'éponger en ce moment. Mais, pour celui que j'éditerai bientôt, je frapperai à la porte de Zio Moussa à Fraternité Matin. S'il refuse, je me débrouillerai. D'ici à l'an 2009 ou 2010, je produirai à coup sûr mon livre..




Est-ce que Anouma Brou Félix est toujours sociétaire du Burida et perçoit-il des droits d'auteurs ?

Oui ! On me donne un peu puisque je suis à la retraite. C'est le minimum pour survivre. Pour les trois millions que je dois, je subi une ponction trimestrielle d'environ cent dix-neuf mille francs. Après cela, c'est souvent cinquante ou cent mille francs que je reçois.




Que sont devenus vos amis de la belle époque ?

Mes amis sont présents. Certains sont morts et d'autres comme Amédée Pierre nous nous rencontrons de temps en temps, quand je suis de passage à Abidjan. J'ai toujours été loyal envers mes amis même ceux disparus. C'est les cas de Mamadou Doumbia, M'gbakou Ludovic, Yapi Jazz, le grand guitariste Américain Noir et Aspro Bernard.



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