jeudi 10 juillet 2008 par Notre Voie

Dans la première partie de l'interview qu'il nous a accordée, le ministre de la réconciliation nationale et des relations avec les institutions a parlé hier de la façon dont le conflit entre autochtones et étrangers de Bloléquin a été réglé. Dans cette deuxième partie, il rappelle les autres dossiers chauds qu'il a eu à gérer. Il évoque aussi ses peines et ses joies dans le cadre de sa mission.
N.V. : Votre ministère gère beaucoup de crises qui ne sont pas forcément liées à la guerre que nous venons de traverser.
S.D.D. : Si je vous parle des dossiers qui atterrissent sur mon bureau, vous allez soit rire, soit être effrayé. Aujourd'hui beaucoup d'Ivoiriens demandent qu'on aille même jusqu'à régler leurs problèmes dans leurs familles. Il y a des syndicats qui demandent que je parte régler leurs problèmes avec leurs employeurs. Mais chacun a son travail. Le mien, ce n'est pas ça pour le moment. Mais au-delà du conflit militaro-politique, il existe des conflits naturels comme les conflits fonciers qui sévissent dans les zones du Sud. En général à l'Ouest, ce sont des conflits de cohabitation qui débouchent sur des conflits fonciers. Ici, à Bloléquin, c'est devenu un conflit foncier parce qu'au départ, le propriétaire d'une plantation a abandonné son bien pour fuir la guerre. On ne l'a pas chassé. Et comme la nature a horreur du vide, un autre a pris sa place. Quand il veut retrouver son bien, le conflit éclate. Il y a aussi des conflits entre éleveurs et planteurs au Nord, entre les pécheurs Bozo et les Baoulé à Tiébissou, des conflits culturels où les endroits sacrés sont désacralisés à cause du développement. C'est à tout cela qu'il faut faire face si tant est que notre mission est de rapprocher les hommes les uns des autres.

N.V. : Où en est-on à Tabou en ce qui concerne le conflit entre les kroumen et les Lobi et Dagari?
S.D.D. : Ça été ma première grosse expérience. Jusque-là, je faisais beaucoup de sensibilisation à Abidjan et à l'intérieur du pays. A chaque fois qu'il y avait des crises, je montais au créneau pour parler aux uns et aux autres sur les dangers des rumeurs et des campagnes d'intoxication. Mais il y a eu des conflits ouverts auxquels nous avons fait face à Gagnoa où il y a eu des tueries, et à Tabou. Le conflit de Tabou est vieux, il date de 1998. Un jeune kroumen a été tué par un jeune Dagari, un burkinabé. Les kroumen avaient demandé à l'assassin de retourner chez lui au Burkina. Mais la communauté à laquelle appartient l'assassin, a pris fait et cause pour son membre. Du coup les kroumen se sont dressés contre cette communauté pour exiger qu'elle quitte ses terres, toute la communauté. Beaucoup ont essayé de régler ce conflit qui a commencé sous Bédié en passant par le général Guei. Quand je suis arrivé, nous y avons effectué une mission au cours de laquelle on nous a bien expliqué ce problème. Au retour, nous avons fait une communication en conseil des ministres où nous avons présenté les dangers qui couraient si on ne réglait pas ces problèmes. On pourrait avoir des catastrophes humanitaires parce que les populations étaient sur le pied de guerre. Quand on a exposé, le Premier ministre Konan Banny a estimé que ce dossier n'était pas le nôtre. Il l'a confié aux ministres de l'Agriculture et de l'Intérieur. Donc on nous a dessaisi du dossier. J'ai fait mon compte rendu au mois d'avril mais rien n'a été fait jusqu'au mois de juin lorsque des jeunes kroumen à travers une ONG, ont organisé un atelier où ils m'ont invité en tant que ministre de la Réconciliation. Au cours de l'atelier, ils ont décidé de me confier le dossier. C'est donc ma casquette de fils de la région que je me suis intéressé à ce dossier et j'ai eu un peu plus de chances que les autres. Nous avons pu régler ce problème parce que nous avons mis en avant la dignité des populations kroumen. Jusque-là, on les traitait de tous les noms et personne ne prenait en considération leurs frustrations. Les discussions ont duré 3 mois. Le ministre de l'Economie et des Finances de l'époque nous a appuyés financièrement et nous avons obtenu les résultats que vous connaissez. Aujourd'hui les populations vivent plus sereinement même si le problème n'est pas réglé totalement. Nous allons retourner là-bas pour continuer à parler avec les tribus qui sont encore en retard pour que cette paix soit définitive. Mais pour le moment, tout se passe bien.

N.V. : Depuis que vous êtes à la tête de ce département, quelles sont vos satisfactions et vos déceptions ?
S.D.D. : Moi, je fais mon travail. C'est vrai que quand j'arrive à régler un conflit, je tire une satisfaction mais jusque-là, j'ai été aidé par les hommes et par Dieu. Sur le dossier de Bloléquin qui était très difficile, les gens en avaient d'ailleurs peur, je viens d'obtenir l'accord des parties sur un consensus. Chez les kroumen, c'était pareil. Chez moi-même à Gagnoa, il y a eu des tueries mais malgré la douleur, mes parents ont accepté de me suivre en se surpassant. A Alépé, il y a eu un conflit ouvert entre les attié et les lobi koulango. Là aussi, on a réussi à régler les différends, avec l'aide de certains collègues dont Mme Wodié, à l'époque, ministre des Droits de l'Homme, Achi Patrick des Infrastructures économiques, un fils de la région. Donc, j'ai des satisfactions. Je ne peux pas le cacher. Mais ma grosse déception, c'est que dans la mission qu'on m'a confiée, je n'ai pas toujours eu le soutien des miens. Je parle surtout de mon parti d'origine. Je me suis senti comme un orphelin. Beaucoup me le reprochaient. Quand j'arrivais dans les autres partis, on m'interpellait régulièrement. Mais je crois qu'on est dans une période où personne ne veut prendre de risque dans ce cadre-là.

N.V. : Travaillez-vous à la prévention des conflits ?
S.D.D. : C'est ce que nous faisons plus d'ailleurs. Notre mission première, est la prévention des conflits. Nous faisons beaucoup d'ateliers, beaucoup de conférences, beaucoup de sensibilisation. Nous avons même créé des structures de prévention des conflits, notamment les comités locaux de réconciliation et de paix qui ne marchent pas bien par manque de moyens. Ces comités ont besoin de soutien financier et matériel. Mais grâce à la coopération allemande, dans le Moyens-Cavally et dans le Bas-Sassandra, nos comités locaux fonctionnent bien parce qu'ils ont les moyens de déplacement. Ils sont même intervenus dans la crise de Bloléquin. Pour faire la prévention, nous nous appuyons aussi sur les ONG. Nous leur donnons des formations minimales pour qu'à leur tour, elles les répercutent sur le terrain. Beaucoup de personnes, notamment les religieux nous aident. A l'époque, Mgr Agré a fait venir une missionnaire du Canada pour une formation dans la gestion des stresses, l'ONG Art de vivre qui nous a aussi aidés pour la gestion des stresses. Identifier les conflits latents ou déclarés, faire la cartographie des différents conflits en Côte d'Ivoire, chercher les mécanismes de règlement des conflits de façon traditionnelle et moderne, participent de la prévention des conflits.

N.V. : Votre ministère a-t-il les moyens pour mener à bien ce vaste programme ?
S.D.D. : Le ministère n'a pas les moyens, c'est tous les jours, je cours après le ministère de l'Economie et Finances pour demander quelques rallonges. Le ministère tel qu'il est conçu et tel que moi je le conduis a vraiment besoin de moyens. Imaginez les séances de travail qu'on a dû avoir pour venir régler ce conflit à Bloléquin. Inviter les cadres, les élus, les jeunes jusqu'à Abidjan pour discuter d'abord dans un cadre neutre. Après ça, on fait des tournées, on envoie soit des gens en mission, soit moi-même j'y vais. Et partout où on passe, il y a des coûts. A la fin du conflit, le suivi aussi a des coûts. A Pissékou, nous avons réussi à faire accepter aux autochtones la restitution des plantations. Mais pour ne pas qu'on retombe dans les mêmes pièges, il faut aujourd'hui délimiter les parcelles. Ce n'est pas gratuit. Il faut que je paie puisque le paysan n'a pas les moyens pour le faire.
Au contraire, il pense que tu es venu lui imposer quelqu'un. Le ministre est obligé de tenir compte et de gérer tous ces aspects du problème. Et c'est vraiment coûteux.
En 2003, j'avais 85 millions comme budget. Aujourd'hui, je n'ai pas plus de 500 millions FCFA. Or nous avons beaucoup de besoin en matière de réconciliation. Avec l'appui à la gestion des conflits qui est de 240 millions FCFA, on se bat et on fait ce qu'on peut. Le problème, c'est qu'il y a beaucoup de programmes en même temps. A côté de mon ministère, il y a le PNRRC qui a l'air de faire la même chose mais qui ne fait pas la même chose. Donc, il y a beaucoup de structures liées à la sortie de crise qui se marchent un peu sur les pieds. Et toutes ces structures puisent dans la même caisse de l'Etat. Donc, il faut bien partager, et ça ne suffit finalement pas.

N.V. : Quelles sont les perspectives de votre ministère ?
S.D.D. : Je suis très confiant. L'accord de Ouaga est une aide énorme pour moi. Ma mission a été très difficile par le passé. Je suis un homme de terrain et je vois que les choses commencent à s'arranger. Tous les Ivoiriens qui ne voulaient pas m'écouter hier, m'écoutent aujourd'hui. Même si les gens ne comprennent pas encore bien l'accord de Ouagadougou. A Guiglo par exemple, il y a des jeunes qui ne comprenaient pas bien à qui on a dû expliquer encore des choses. Parce qu'il y a effectivement ce qui est dit au plus haut niveau de l'Etat. Le président de la République, le gouverne-ment et il y a ce que nous vivons sur le terrain. La réalité n'est pas la même. Mais on est plus à l'aise parce qu'on peut leur dire que la paix a été signée par le président et le Premier ministre. Avant, on nous posait la question : Vous parlez de réconciliation, qu'est-ce qu'on dit au sommet là-bas ?? On n'avait pas de solution. Mais aujourd'hui, nous sommes beaucoup plus à l'aise.
Je suis confiant que nous irons jusqu'au bout de la sortie de crise parce que nous avons affaire à deux personnalités déterminées, engagées à faire aboutir ce processus. Notre priorité, ce sont les élections transparentes, justes et sans heurt. Donc, il faut que ces élections se passent dans la fraternité.
C'est un travail entier que nous devons faire. Beaucoup disent, on veut la paix, mais connaissant les hommes, demain quand la passion électorale va prendre le pas sur toute autre considération, on ne sait pas jusqu'où on peut aller. Il faut déjà commencer à sensibiliser dans ce sens-là. C'est pour cela que nous voulons mettre en place un programme de sensibi-lisation que nous appelons Programme d'organisation d'élections sans heurt pour que les Ivoiriens soient conscients de l'importance de leur pays, de la nécessité de lui donner un gouverne-ment digne de ce nom qui prendra toutes les décisions utiles pour son dévelop-pement, la paix.







Interview réalisée à Guiglo par Félix Téha Dessrait dessrait@yahoo.fr Collaboration Bruno Kouadio

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