vendredi 18 juillet 2008 par Le Nouveau Réveil

Comme tous les Ivoiriens, j'ai suivi l'autre jour à la télévision la prestation de trois de nos ministres, dont un d'Etat, qui sont venus nous expliquer pourquoi les prix avaient grimpé sur le marché. Et comme tous les Ivoiriens, j'ai compris qu'ils étaient juste venus nous dire qu'ils ne pouvaient rien faire pour nous, et que ceux qui ne faisaient qu'un seul repas par jour devaient s'entraîner dès à présent à faire un seul repas tous les deux jours. Dans le flot d'explications que nos trois ministres ont données, trois points ont particulièrement retenu mon attention. Bohoun Boubré a dit que, comme nous sommes en économie libérale, il n'est pas possible de contrôler les prix. Le même a encore dit que cela ne sert à rien de produire du riz parce que le riz de chez nous coûte plus cher que ce que nous importons d'Asie, raison pour laquelle la Soderiz avait fermé. Enfin Charles Diby Koffi a dit que le gouvernement allait proposer un plan de réduction du train de vie de l'Etat.
Prenons le premier point. Comme l'a fait remarquer mon confrère André Silver Konan sur le plateau, l'Etat a ainsi accordé des exonérations de frais de douanes pour un montant de 30 milliards de francs, et il ne se donne même pas les moyens de vérifier que ce pour quoi il a fait ce sacrifice est effectivement appliqué. Sous prétexte que nous sommes dans une économie libérale ! Bohoun Bouabré n'avait d'ailleurs pas manqué de répéter plusieurs fois que c'est en 1991 que cette décision d'adopter l'économie libérale avait été prise. Histoire de dire que ce n'est pas la faute aux réfondateurs si nous sommes dans un tel système. J'avais pourtant cru que les réfondateurs étaient arrivés au pouvoir pour corriger le système ancien et faire du socialisme. En tout état de cause, je trouve ces propos de Bohoun Bouabré tout simplement incroyables et irresponsables de la part d'un ministre. Si l'Etat ne se donne pas la peine de vérifier que le sacrifice de 30 milliards profite effectivement aux consommateurs, je ne peux comprendre cela que comme un cadeau fait aux commerçants. Pourquoi baisseraient-ils leurs prix s'ils savent que personne n'est là pour les contrôler ? Qui a dit à Bohoun Bouabré que lorsque l'on est dans une économie libérale on ne doit plus s'assurer que les décisions de l'Etat sont respectées ? Qui nous fera la guerre si, après avoir accordé ces exonérations aux importateurs, on envoyait des contrôleurs vérifier qu'ils appliquent vraiment la baisse des prix ? Qui ? La France ? Le FMI ? L'ONU ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Depuis quand le libéralisme a signifié que chacun fait ce qu'il veut ? Je suis désolé monsieur le professeur d'économie, mais dans le système libéral, l'Etat est là pour encadrer et surtout pour veiller à ce que chacun respecte les règles du jeu. Si la baisse ou les exonérations de frais de douane avaient pour corollaire la baisse des prix par les commerçants, le minimum pour tout gouvernement responsable était de s'assurer que l'autre partie avait effectivement baissé les prix.
Laissez-moi vous raconter ceci, Bouabré. Du 26 juin au 6 juillet, je me suis retrouvé au Burkina Faso dans le cadre justement d'une enquête sur les stratégies de lutte contre la vie chère dans ce pays, pour le compte d'Afrique Magazine. Là-bas, lorsque le problème s'est posé, le gouvernement a pris à peu près les mêmes mesures que nous. Puis un certain nombre de magasins dits témoins, chargés d'appliquer les mesures de baisse des prix ont été sélectionnés sur l'ensemble du territoire. Leur liste a été publiée et des contrôles ont été régulièrement faits pour s'assurer que ces magasins jouaient effectivement le jeu. L'avantage de ce système est que les consommateurs savent où aller s'approvisionner à moindre coût, et les autres magasins sont obligés de suivre le mouvement pour ne perdre leur clientèle. Mais parallèlement à cela, l'Assemblée nationale a créé une commission ad hoc composée de toutes les tendances politiques, chargée de réfléchir et faire des propositions au gouvernement. Cette commission a sillonné le pays et relevé les faiblesses du système des magasins témoins que sont notamment leur nombre insuffisant et la publication tardive de la liste. Et dans le rapport de cette commission que j'ai sous les yeux, il est écrit ceci : " la commission a pu constater au plan réglementaire, que les mesures conjoncturelles de contrôle et de surveillance des prix et de la distribution étaient inopérantes sur le terrain, les textes pris pour administrer les prix (Cf. arrêtés N° 08-054 à 08-057 du MCPEA en date du 26 février 2008) étant ignorés par les commerçants et les consommateurs : prix, marges et marques fixés mais non vulgarisés ni diffusés. Dans le contexte actuel du marché intérieur, il est impératif d'instaurer un véritable contrôle, en vue de contenir un tant soit peu l'inflation. L'administration des prix et de la concurrence devra donc être renforcée et dynamisée pour lui permettre d'affirmer davantage son autorité de contrôle et de régulation des actes de commerce et jouer son rôle d'alerte qui reste essentiel en période de crise. " Le Burkina Faso est aussi dans un système d'économie libérale et il n'a jamais dit qu'il était socialiste. Je peux prêter ce rapport à Bohoun Bouabré ou à tout député que cela peut intéresser. Mais attention, je suis en ce moment entre le Togo et le Bénin et ne rentrerai que la semaine prochaine. Le ministre Diby avait dit qu'il y avait un problème de moyens au niveau des contrôleurs de prix. Je crois que si la résolution de ce problème de hausse des prix tenait à c?ur à notre gouvernement, il aurait dégagé les moyens. Ne serait-ce qu'en réquisitionnant quelques-unes des 4X4 que les refondateurs avaient offertes aux jeunes filles.
Concernant le développement des cultures vivrières, j'ai déjà entendu Laurent Gbagbo dire aux gens d'aller planter du riz. Et récemment, son perroquet Mamadou Koulibaly a dit à Bassam que sur la route d'Aboisso, il a vu des herbes de part et d'autre de la voie, et que c'est parce que nous sommes devenus des paresseux que nous ne plantons pas du riz. Je ne sais pas s'il y a mieux que cela pour démontrer l'incompétence et l'irresponsabilité de ce pouvoir. Avec quoi et où veulent-ils que les gens aillent planter du riz ? Rappelons-leur qu'au temps de la Soderiz, c'était l'Etat qui avait pris en charge l'aménagement des terrains pour développer la riziculture. C'est lorsque les Programmes d'Ajustements Structurels sont arrivés que l'Etat a dû se désengager. Nous ne sommes plus dans ce contexte. Laurent Gbagbo a aussi dit plusieurs fois que l'agriculture avait été mal orientée vers les cultures d'exportation au lieu des cultures vivrières. Il le disait déjà lorsqu'il était dans l'opposition. D'abord ce n'est pas vrai, puisque des structures comme la Soderiz existaient. Mais cela fait huit ans qu'il est au pouvoir. Qu'est-ce qui l'empêche de réorienter l'agriculture vers les cultures vivrières ? Ce n'est pas l'espace qui manque. Tout le centre, le nord et l'est de notre pays ne sont pas occupés par les cultures de rente. On peut parfaitement y développer le riz, l'igname, le mil, le maïs, le sorgho etc. Et puis qu'est-ce qui empêche de faire des cultures vivrières là où il y a du cacao, du café, des palmiers à huile, ou de l'hévéa ? Tout notre problème est que nous avons affaire à un gouvernement qui n'a aucune vision, qui est totalement incompétent et dont la seule préoccupation est la jouissance. Au Burkina Faso, j'ai rencontré le ministre de l'Agriculture. Il m'a longuement parlé du programme qu'ils sont en train de mettre en place pour doubler d'ici la saison prochaine la production du riz. Il m'a dit que le moment est propice en ce moment, parce qu'avec le renchérissement du prix du riz dans les pays asiatiques, dont certains ont même carrément interdit l'exportation, le riz produit au Burkina sera plus compétitif que celui d'Asie. Et l'Etat est en train de dépenser des milliards de francs pour aménager les plaines de Sourou et de Bagré. L'Etat fait des terrassements pour les irriguer, il a commandé des tracteurs, des engrais et des semences et il compte y installer des jeunes agriculteurs. Le ministre m'a dit que par le passé, ils avaient installé des jeunes sur des parcelles, mais au bout de quelque temps, ils sont tous partis. Aussi, cette fois-ci, pour ne pas échouer encore une fois, ils vont faire une sélection rigoureuse de ceux qu'ils vont installer, en ne choisissant que les plus motivés, à qui ils donneront un minimum de formation. Voici ce qu'on appelle un gouvernement responsable qui a pris un problème à bras-le-corps.
J'ai aussi lu dans la presse que lorsque Mugabé avait chassé les fermiers blancs de chez lui, certains gouverneurs des Etats du Nigeria leur ont fait appel. Ils leur ont donné des terres qu'ils ont aménagées, et leur ont demandé de produire, en enseignant leur expérience aux Nigérians. Voici aussi une initiative intelligente. Si chez nous, nos dirigeants se contentent de dire simplement " allez planter du riz ", et si nous continuons de les laisser faire, je vous parie que l'année prochaine, nous importerons notre riz du Burkina Faso.
Le ministre Diby a dit qu'il allait réfléchir à un plan de réduction du train de vie de l'Etat. Eh bien, qu'il commence d'abord par demander aux réfondateurs d'arrêter de voler l'argent du peuple pour construire des vilains châteaux et entretenir des petites filles, qu'il dise à Gbagbo d'arrêter de distribuer notre argent à tort et à travers, d'enterrer ses parents à très grands frais avec notre argent, de construire des palais inutiles et des monuments hideux, qu'il chasse tous ses conseillers qui ne servent à rien, qu'il dise à ses amis d'acheter des voitures moins coûteuses que des Maybach, qu'il nous rende l'argent du Probo Koala, que lui et Guillaume Soro diminuent leurs budgets de souveraineté, que l'on ferme le Conseil économique et social, mette en congé tous les députés qui ne servent à rien, et que l'on diminue de moitié les salaires des ministres. Enfin que le ministre Diby aille encore une fois faire un tour du côté du Burkina Faso. Le jeudi 3 juillet, les ministres sont allés au conseil des ministres à pied ou à vélo. Cela peut sans doute sembler folklorique. Le ministre de l'Economie et des finances que j'ai rencontré après m'a dit que c'était un symbole. Le gouvernement voulait demander à la population de faire des économies. Et il fallait donner l'exemple. Mais désormais, aucun véhicule administratif ne peut circuler les week-ends et jours fériés sans autorisation. Et un rigoureux contrôle est exercé. Cela n'a rien de nouveau. On l'avait déjà fait ici. Mais en bons nègres que nous sommes, les mauvaises habitudes finissent toujours par prendre le dessus. Lorsque j'ai rencontré le ministre dans son bureau, ce qui m'a frappé en premier lieu a été la chaleur qui y régnait. Et, au cours de notre entretien, il m'a fait remarquer qu'il n'allumera la climatiseur que lorsqu'il fera vraiment chaud, afin d'économiser l'énergie. Moi j'avais déjà très chaud, mais j'ai dû supporter stoïquement la chaleur de la pièce. Enfin, concernant les Ivoiriens, la seule chose qui leur reste à faire si l'élection présidentielle a vraiment lieu le 30 novembre, c'est de balayer définitivement du pouvoir ce régime d'incompétents, s'ils ne veulent pas mourir de faim après avoir échappé aux balles des rebelles, des escadrons de la mort, des miliciens et du Cecos, ainsi qu'aux coups de machettes de la FESCI.
Venance Konan
Email : venancekonan@yahoo.fr

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