vendredi 18 juillet 2008 par Nord-Sud

Depuis Paris (en France) où il est en mission, le président de la Chambre de commerce et d'industrie de Côte d'Ivoire, Jean-Louis Billon, fait une analyse de la situation qui prévaut à Abidjan depuis lundi. Pour lui, l'Etat doit encore faire des sacrifices.









?Cela fait 4 jours que la ville d'Abidjan est paralysée suite à une grève des transporteurs et des commerçants contre la hausse fulgurante des prix du carburant. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Avec plus de 43% de taux de pauvreté en Côte d'Ivoire et les salaires qui ne bougent pas, le gap devient de plus en plus important entre le coût de la vie et le véritable pouvoir d'achat des citoyens. C'était prévisible que la hausse du carburant même nécessaire dans une certaine mesure, s'accompagne d'un mécontentement général. Cela fait des années que les Ivoiriens souffrent au plus profond d'eux-mêmes. L'économie est en difficulté parce que les dépenses de santé, de transport, d'éducation, de sécurité, de nourriture deviennent davantage difficiles dans un pays qui, aujourd'hui, est déjà l'un des pays les plus chers du monde. C'est une chose que beaucoup de personnes ne savent pas mais depuis un certain nombre d'année, Abidjan est classée parmi les villes les plus chères du monde. Cela va empirer avec cette nouvelle hausse. Vu le niveau de revenu des populations, cela devient effectivement insupportable.





?Avec respectivement plus de 180 et 240 Fcfa sur les prix du super sans plomb et du gasoil, cette hausse se présente comme la plus importante jamais réalisée en Côte d'Ivoire. Pensez-vous que c'est normal ?

L'augmentation était devenue inévitable mais elle est intervenue relativement tard en ce qui concerne la Côte d'Ivoire. Elle aurait du intervenir plus tôt. Le fait d'avoir tardé pour la faire, nous fait aujourd'hui une hausse plus importante de sorte qu'on veut rattraper les pertes que l'Etat et la Sir ont occasionnées depuis des mois. Ce mauvais timing n'est pas imputable aux populations. Cette hausse est proportionnellement trop élevée par rapport à la hausse nécessaire. D'autres pays ont fait des hausses mais beaucoup moins importantes par rapport à la Côte d'Ivoire. Il y a une chose qui nous parait très importante et dont on ne cesse de parler, il faut réduire les dépenses et le train de vie de l'Etat. On ne peut pas toujours faire porter aux populations le train de vie de l'Etat.





?L'Etat impute cette flambée des prix à la volatilité des cours mondiaux du baril de pétrole. Ne pouvait-il pas utiliser le fonds de réserve pour amoindrir le choc ?

Il y a plusieurs formules pour amortir cette hausse. Or dans le cas présent on a répercuté totalement la hausse aux populations et c'est pourquoi il y a un mécontentement général. Mais l'effort doit se faire de partout. En plus d'activer le fonds de réserve, on peut même réduire le niveau de la Tva sur le carburant qui est toujours de l'ordre de 20% au lieu de passer à 18%. On peut aller fortement en-dessous de cette proportion comme cela a été le cas avec les denrées de première nécessité. C'est pour cela que nous avons préconisé aussi une réduction du train de vie de l'Etat. Cela pourrait amoindrir également la pression fiscale. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont également demandé cette réduction du train de vie des autorités qui n'a vraisemblablement pas été acceptée. L'Etat demande d'augmenter les recettes fiscales mais les entreprises sont à bout. Maintenir ce niveau de dépenses de l'Etat par rapport au niveau de revenu des entreprises qui est aujourd'hui très faible, serait plus complexe encore. Il faut arriver, à mon sens, à une baisse du niveau général des impôts et lever tous les blocages de l'environnement hostile aux entreprises comme nous l'avons fait avec le racket et les tracasseries routières qui étaient les premiers facteurs d'inflation dans le pays. Il faut passer en revue tous les dysfonctionnements que nous connaissons en vue de trouver des solutions appropriées. Dans le cas contraire les mouvements de mécontentement ne vont pas cesser.





?Cela ne pose-t-il pas réellement la question de la transparence dans ce secteur où le montant du fonds de réserve reste encore méconnu ?

Il est clair qu'aujourd'hui en toute gestion de la chose publique il faut de la transparence. Les choses finissent par se savoir et les Ivoiriens se posent beaucoup de questions auxquelles nous n'avons pas de réponse malheureusement. En effet, quand on voit l'augmentation réalisée en Côte d'Ivoire par rapport aux prix existant dans d'autres pays qui viennent chercher leur carburant à Abidjan et qui pratiquent des prix moins élevés chez eux, l'Etat doit faire des efforts. Puisque des pays dits plus pauvres que la Côte d'Ivoire arrivent à le faire. Tous les pays voisins sont moins chers alors qu'il y a quelques temps, on était les moins chers. Or nous sommes supposés avoir du pétrole, nous sommes supposés avoir une économie plus forte. Mais dans la réalité, les populations ne profitent pas de cet avantage-là.



?De votre position aujourd'hui, est-ce que vous savez comment mesurer l'impact de 4 jours de paralysie sur l'activité économique ?

Cette grève est malheureuse et va entraîner une réduction des revenus de l'Etat. C'est pour cela qu'au lieu d'en arriver à une situation de blocage total, il faudrait, au terme des négociations, qu'on puisse arriver à des concessions de part et d'autre. L'Etat doit faire certains sacrifices de même que les populations, les transporteurs, les commerçants et les industriels. Car si les sacrifices sont faits dans un seul sens, il y aura toujours un blocage. Il n'y a pas simplement que le coût du carburant qui a augmenté. Il y a le coût de l'électricité qui a été répercuté aux industriels. Cela va avoir une répercussion sur le prix des marchandises. C'est une réaction en chaîne qui va se faire et le coût de la vie va être encore plus important.





?Ces mouvements ne risquent-ils pas de fragiliser davantage le secteur privé déjà essoufflé par cinq années de crise ?

Le secteur privé est déjà fragilisé. Les transporteurs et les commerçants souffrent aussi. Avec le pouvoir d'achat et le taux de paupérisation en Côte d'Ivoire, plus personne ne consomme. Donc le secteur privé est en difficulté. Alors si la situation de blocage se maintient, plusieurs entreprises iront inéluctablement vers une mort certaine. Il faut donc trouver un terrain d'entente. Au moment où le nouveau gouvernement a été mis en place, le Premier ministre avait promis rencontré les chambres consulaires et les organisations patronales pour parler de la situation du secteur privé. A ce jour, cela n'a pas été fait.





?Vous êtes l'un de ceux qui ont toujours dénoncé la pratique du racket sur nos routes. Depuis l'avènement du comité technique de la fluidité routière, le 2 juin, peut-on dire que les choses se sont améliorées ?

Oui, les choses se sont nettement améliorées. Mais on peut encore faire mieux. Tant que les barrages subsisteront, on ne sera pas satisfaits. C'est un bon début et nous devons continuer. Il faut savoir qu'il y a encore des pratiques dans les commerces et les marchés avec des contrôles abusifs de prix. Tout ceci doit cesser car ce sont des facteurs d'augmentation du coût de la vie.





?Dans un rapport publié le mercredi 9 juillet sur le racket en Côte d'Ivoire, la Banque Mondiale estime les pertes à 150 milliards Fcfa. Comment réagissez-vous devant ce chiffre?

C'est beaucoup plus important que ça puisque la Banque mondiale s'est limitée à la tranche conservatrice. En ce sens qu'il s'agit simplement des coûts directs. Mais on ne voit pas les effets indirects sur le quotidien des ivoiriens.


Interview réalisée par Cissé Cheick Ely

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