jeudi 24 juillet 2008 par Le Temps

Après la fête (tournante) de l`indépendance en 1978 et l`occupation rebelle depuis cinq ans, ce qui reste de la cité du Worodougou. Reportage ! Situé à plus de 400 km d`Abidjan, Séguéla est une ville cosmopolite du centre- Nord. Au moment du miracle ivoirien des années 1980, la ville va bénéficier du programme des fêtes tournantes de l`indépendance en 1978. Toutes choses qui lui font connaître un développement à nulle pareille avec des infrastructures assez modernes.30 ans après, cette ville croule sous le poids de la misère. Et surtout avec l`occupation rebelle depuis le 19 septembre 2002, elle donne les allures d`une cité inhabitée.
Rues impraticables
Ce qui fait la fierté d`une ville, c`est la qualité de ses rues qui saute aux yeux de tout visiteur. A Séguéla, ce problème de rue est aujourd`hui, un véritable cauchemar pour les habitants et les usagers de la route. Jadis, une référence en matière d`infrastructures routières, la cité du Worodougou vit un réel calvaire sur ce plan. Alors qu`au moment de la fête tournante de l`indépendance, la ville a bénéficié d`une tracée qui n`a rien à envier à celle des villes européennes. Bitume bien fait et bien tracé. Le spectacle était donc joli à voir dans tous les quartiers. Aujourd`hui, on peut se permettre de parler d`une catastrophe routière. Tant les rues croupissent dans une dégradation indescriptible au point d`en être un véritable danger pour les usagers. Nids-de-poule, crevasses et autres trous à tombeau ouvert constituent les dangers que les habitants y affrontent tous les jours que Dieu fait. Le bitume n`y existe pratiquement plus. Cette situation donne aux populations le sentiment d`être abandonnées par les autorités administratives et politiques de la région. Pour se rendre d`un quartier à un autre, il faut faire beaucoup de gymnastiques. D`où ce cri de c?ur de M.Diomandé, chauffeur de taxi dans la ville. " Séguéla est une ville abandonnée. Nous n`avons ni maire, ni Président de Conseil général. Ces rues que vous voyez là sont de véritables dangers pour nos véhicules. Nous sommes fatigués parce que nous ne savons pas à qui nous adresser pour nous sortir de cette situation. Quand on va voir le maire, il nous dit que ce n`est pas lui qui fait les routes. Et qu`il y a une société qu`on appelle AGEROUTE qui se charge des routes. Mais si lui, il n`est pas là pour ces problèmes de réfection des routes, pourquoi l`avons-nous élu ? " Lassina Doumbia, lui également chauffeur de son état, ne dit pas autre chose. " Il va falloir que les élus de notre région nous disent pourquoi ils sont là où nous les avons placés. Ce sont des gens qui ne veulent rien faire pour nous mais qui sont prêts chaque fois d`accuser les autres d`être à la base de nos malheurs. Mais eux qui sont natifs de Séguéla, que font-ils pour sortir cette ville de sa léthargie ? Rien, absolument rien. Dans une ville où il n`y a pas de rue praticable, c`est la mort. Et ça, nous le mettons sur le compte de leur incompétence ". A côté, existent d`autres problèmes liés à l`entretien des édifices que l`Etat a bien voulu construire à Séguéla pour donner à cette ville les atouts d`une ville moderne.
Les édifices abandonnés
Au moment de l`abondance et de la prospérité, avant de célébrer la fête de l`indépendance dans une ville, le Président Houphouët Boigny mettait tout en ?uvre pour doter la ville en question d`infrastructures de tous genres. Sa résidence, les hôtels et la Résidence du préfet occupaient une bonne place dans le programme des réalisations. Séguéla n`a pas échappé à cette règle. A cause de la fête de l`indépendance, toutes ces réalisations faramineuses y ont vu le jour. Selon des témoignages recueillis sur place, jusqu`à une certaine époque, elles étaient l`objet d`entretien scrupuleux à cause des préfets qui y accordaient une importance particulière. Mais après l`occupation de la ville par les rebelles en 2002, lesdites réalisations ont sombré dans l`oubli des nouvelles autorités. Notamment, celles des Forces nouvelles. La Résidence du chef de l`Etat et celle du préfet en sont des exemples patents. Soumahoro Ladji, habitant de la ville en est très amer. "Une ville, qu`on le veuille ou non, ce sont d`abord ses maisons et ses rues. A Séguéla, il n`y a ni rue ni maison de référence. Or Houphouët nous a tout donné. Maison du chef de l`Etat, maison du préfet, en tout cas, c`était une fierté pour nous, fils du Worodougou. On a pensé que ceux qui ont pris le relais, je veux parler des élus, allaient se soucier de toutes ces maisons. Alors que ce qui les préoccupe, c`est ce qu`ils gagnent pour leurs poches respectives. Les maisons que j`ai citées plus haut sont envahies d`herbes. Elles n`ont jamais bénéficié d`une couche de peinture. Avec ces hommes, que peut-on faire ? " Quant à M. Bakayo Adama, il met cette léthargie sur le compte de l`avènement de la guerre et l`occupation de la ville de Séguéla par les rebelles. " En toute chose, il faut savoir raison gardée et situer les responsabilités avec beaucoup de lucidité. Avant la guerre et donc avant l`occupation de la ville, ces infrastructures dont il est question étaient toujours entretenues. C`est quand nos frères sont arrivés que les choses ont commencé à s`empirer. Il faut avoir le courage de le dire tout net. La Résidence du Président de la République, et ça, nous le savons tous, était souvent la cible des touristes. Quand la présence de ces derniers a commencé par se faire rare du fait de la guerre qu`on a commencé à connaître cette situation. C`est pourquoi, il faut vite en sortir pour que les villes occupées retrouvent leur lustre d`atant ". A l`instar de ces deux maisons d`Etat, d`autres édifices connaissent le même sort. Ce sont les cas des Centres culturels, de l`Hôtel Worodougou et du grand marché qui, à l`époque, n`échappait pas à la curiosité de tout visiteur. Si l`Hôtel Worodougou et le centre culturel ont fait l`objet d`attention avec le passage du Président Laurent Gbagbo dans la région, tel n`est pas le cas du marché et du stade Losseni Diomandé. Le marché complètement délabré. A Séguéla, ce qui saute aux yeux du premier visiteur, c`est la présence massive des populations. Parce que, au dire des habitants, la crise n`a pas fait déplacer autant de monde comme cela a été constaté dans les autres régions occupées par l`ex-rébellion. D`où l`intensité et la régularité de l`activité commerciale. Mais ce qui est à déplorer, c`est le manque d`entretien du grand marché dans lequel cet exercice commercial est exercé. Lieu privilégié des touristes, ce marché, après sa construction, son plan architectural a servi à la construction de la plupart des marchés modernes de Côte d`Ivoire. Aujourd`hui, avec la guerre, il ressemble à tout sauf à un marché où existent des hommes et des femmes. Des commerçantes très amères, demandent aux autorités municipales d`agir en cette période de pluies en vue de leur éviter la détérioration de leurs marchandises. Mme Bakayoko Mariame, commerçante et vendeuse de poissons secs, communément appelés " magne " ne peut pas contenir sa colère. " Je pense qu`il faut dire la vérité à ces hommes que nous avons élus mais qui ne font rien pour le développement de la ville de Séguéla. Houphouët-Boigny a tout fait pour eux. Leur rôle c`est d`entretenir ce qui existe déjà. Nous étions encore jeunes filles quand Houphouët-Boigny a fait construire ce marché. C`était une fierté pour tout le Worodougou parce qu`il n`y en avait pas son comparable ailleurs en Côte d`Ivoire. Aujourd`hui, nous ne pouvons plus vendre à cause de la dégradation que vous constatez-là. Quand il pleut, c`est la catastrophe. La question que nous nous posons actuellement, c`est de savoir s`il existe un maire à Séguéla. On nous disait que c`est Gbagbo qui est contre nous. Mais avec ce que nous voyons, c`est le contraire qui nous a été raconté. Ce ne sont pas les autres qui vont développer Séguéla. Le développement de cette région est d`abord et avant tout, l`affaire des fils et cadres d`ici. En tout cas, l`attitude de nos fils est incompréhensible ". Le stade Losseni Timité en ruine
Construit à la faveur de la fête tournante de l`indépendance, le Stade Losseni Timité de Séguéla est l`un des meilleurs stades de Côte d`Ivoire. La preuve, c`est que plusieurs clubs de ce pays l`ont choisi à maintes reprises pour abriter leur matche de coupe d`Afrique. Ce joyau architectural est aujourd`hui, méconnaissable. Les tribunes ont non seulement foutu le camp mais aussi, l`air de jeu ressemble à une véritable forêt dense. Les fromagers et autres baobabs s`y disputent la place. Les sportifs de la ville n`ont que leurs yeux pour pleurer. Timité Adama, natif de Séguéla et fanatique de football ne peut contenir ses larmes. " Avant, nous avions le privilège de voir des équipes d`Abidjan venir jouer leur match ici. Chose qui ne sera plus jamais possible avec ce que nous vivons actuellement. Ce stade, il faut le dire, est l`un des meilleurs de notre pays. S`il n`y a personne pour l`entretenir, il ne peut que mourir. C`est ce à quoi nous assistons présentement. Dans une ville où les jeunes ne peuvent pratiquer du sport, il n`y a pas de vie. A Séguéla, je peux me permettre de dire qu`il n`y a pas de vie. Et c`est un véritable gâchis pour cette région qui était pourtant bien partie pour rivaliser de beauté avec les villes modernes de notre pays ou d`ailleurs dans le monde ". Séguéla comme cela se constate, recule de 50 ans en arrière.

Pierre Legrand
Envoyé Spécial à Séguéla

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