vendredi 25 juillet 2008 par Fraternité Matin

Me Ngouin-Claih Lucien Mathieu est un émérite avocat ivoirien dont la renommée a dépassé les frontières continentales. Il fut bâtonnier du Barreau ivoirien et milite dans des organisations de promotion des droits humains comme la Ligue ivoirienne des droits de l'homme (Lidho) dont il fut le président en 2003. Il est, en outre, vice-président de l'Union mondiale des professions libérales. Ce rappel n'est pas fortuit pour évoquer le roman Regard miroir, qu'il vient de publier chez Nei/Ceda. En effet, derrière la trame romanesque qui se veut volontiers une fiction, se dessine ostensiblement un prisme de la crise que vit la Côte d'Ivoire. Dans la perspective de la fin de la crise, l'avocat-écrivain porte son regard tel un miroir, ou plutôt un rétroviseur, sur des causes évidentes qui l'auraient provoquée. Regard miroir est l'histoire d'une communauté villageoise africaine avec ses us et coutumes, ses mythes et légendes, ses rites et croyances. A l'instar de toutes les communautés humaines, ce village est constamment à la croisée des chemins et traverse le temps avec des péripéties faites de périodes d'union et de désunion, d'amour et de désamour, de résistance et d'innovation, de naissance et de décès. De cette dualité permanente, l'on perçoit en filigrane, un conflit entre tradition et modernité, entre vices et vertus. L'image que nous soumet Me N'gouin-Claih est celle de la Vérité, ancêtre de la communauté et de ses deux rejetons Justice, la fille, et Amour, le fils. Ce dernier a pour enfant Paix et dont les meilleurs amis sont Pardon et Oubli. Entre conflits agriculteurs/éleveurs, excision, litiges fonciers, etc., l'auteur dépeint par l'écriture, une réalité nôtre. Il fournit des cadres d'interprétation de nos aventures. Le professeur Niamkey Koffi, philosophe, explique, à juste titre, dans la préface que donner un sens aux événements qui forment la trame de notre vie quotidienne, aux informations qui nous assaillent au jour le jour, suppose un cadre de référence qui organise nos jugements, nos appréciations. Le schéma actanciel est classique mais s'habille d'une originalité stylistique qui lui donne des allures de conte philosophique, dans la lignée des grands maîtres comme Voltaire. Alors que les vertus sont incarnées par des toponymes significatifs comme Véjubli (la localité de la vérité et de la justice) ou par des personnages allégoriques susmentionnés, les avatars du vice, par contre, comptent à leur tête, Fumigénie, le préposé aux pêchés capitaux, Tê, la méchanceté, mère des indésirables, Resqui le champignon parasite qui a pour sosies la tricherie et le mensonge, Wi le maître de la fraude, de la corruption et du trafic illicite, Senstopl'incontinence ou l'inconduite, Cupididi, le prince de l'avarice
L'irruption de ces vices dans Véjubli provoque l'exil de Paxini et la perversion morale de la communauté tout entière. Celle-ci ne sortira de sa décadence que lorsque Démocty (démocratie), Ziritaré (solidarité), Yafa (le pardon), Droiture et Loyauté se mobiliseront pour retrouver Paxini (la paix). En clair, le roman de Me N'gouin-Claih est un plaidoyer, voire une plaidoirie en faveur du retour de la société aux valeurs morales et civiques qui s'appuient sur le respect des lois. Dessein qui ne saurait prospérer avec l'impunité, le machiavélisme politicien, l'hypocrisie, le mensonge, la manipulation et la dépravation des m?urs. Regard miroir, malgré sa trame dramatique, n'est pas un roman sceptique. Bien au contraire, il irrigue le tréfonds de la conscience de sa force persuasive d'un rachat démocratique qui va de pairs avec l'émergence d'une conscience nationale forte. C'est aussi la preuve par trois, que le juriste a assurément pris la trempe d'un écrivain avec qui il faudra désormais compter.




Rémi Coulibaly
Nei/Ceda, 2008, 220P.

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