mercredi 30 juillet 2008 par Le Nouveau Réveil

Toute la Côte d'Ivoire suit avec intérêt les heures de bilan d'une certaine Refondation qui, en définitive, n'aura eu de mérite que d'avoir remis au goût du jour le vieux débat sur les aptitudes réelles des oppositions africaines à muer leurs projets de société en politique gouvernementale productrice de bien-être social. En Côte d'Ivoire en tout cas, avec les Refondateurs, nous avons eu droit à une guerre avec son lot de malheurs et un chef dont le génie est d'user de ruses pour pourfendre davantage un peuple, on ne peut plus, affamé. Est-il politiquement correct de se maintenir au pouvoir durant huit années sans organiser de scrutin? La morale de la démocratie tolère-t-elle le rapt de notre liberté de choix des gouvernants? Bref, quelle est cette raison d'Etat qui autorise un gouvernant l'usage de la ruse pour dénier à ses propres concitoyens le droit de renoncer à une politique qui ne sert pas la cause du peuple?
Au commencement, une crise du pétrole
Le dimanche 06 juillet 2008, comme il fallait s'y attendre, le gouvernement, sous l'entière responsabilité de Monsieur Laurent Gbagbo, avait annoncé une augmentation du prix du carburant. Deux semaines plus tard (le dimanche 20 juillet), suite à des mouvements pacifistes - qui ont mis en déroute une orchestration politique (de la Refondation) qui avait plutôt escompté des manifestations de rues - le gouvernement est remonté au créneau pour annoncer une baisse des prix. Tout compte fait, même s'il eut fallu que les populations ivoiriennes attendissent une hausse du prix du carburant à la pompe, elles avaient du moins espéré que les taux d'augmentation fussent raisonnables et que les nouveaux prix se seraient ajustés sur une certaine moyenne de la sous-région. Les raisons d'une telle espérance n'étaient pas sans fondement.
D'abord et objectivement, le niveau des prélèvements fiscaux et parafiscaux de l'Etat sur le carburant qui est de 44% (contre une moyenne de 30% dans la sous région) est suffisamment élevé pour permettre à notre gouvernement d'assurer une certaine stabilisation des prix aux consommateurs particuliers ainsi qu'aux entreprises qui font mille et un efforts pour survivre à la longue crise ivoirienne.
Ensuite, le mécanisme de régulation des prix du pétrole en Côte d'Ivoire a généré des réserves suffisantes qui peuvent permettre actuellement de maintenir un certain niveau des prix (cf. la publication des centrales syndicales et des organisations professionnelles du secteur des hydrocarbures; in Le Patriote, n° 2634 des 19 et 20 juillet 2008, P. 11) Bien plus, notre gouvernement sait que la moindre augmentation du carburant provoque une inflation immédiate sur les autres produits de consommation. Mais ces faits n'ont point infléchi l'Etat dans sa décision d'augmenter de 29% le super sans plomb, de 44% le gas-oil et de 17% le pétrole lampant. Même la révision des prix (du gasoil et du pétrole lampant uniquement) accompagnée de quelques mesures absurdes n'aura pas une incidence réelle sur une amélioration du pouvoir d'achat des populations ivoiriennes.
Par ailleurs, il faut rappeler que notre pays est producteur de pétrole (environ 50 mille barils/jour); ainsi, une dépréciation du dollar US qui est l'une des causes primordiales de la crise du pétrole au niveau mondial, devrait relever le niveau du chiffre d'affaires du secteur pétrolier qui se situe actuellement à près de 897 milliards (chiffres déclarés) par an. Notre Etat (qui récolte environ 90 milliards de ces recettes) a expressément omis de faire usage de ce puissant moyen de politique gouvernementale pour éviter à la Côte d'Ivoire d'autres types de soubresauts qui pourraient, de toute évidence, la détourner de sa marche sereine vers la sortie de crise.
Enfin, il est important de souligner que si notre Etat ne pouvait pas se dérober du tout une augmentation des prix, il était raisonnable qu'il fixe des taux d'augmentation qu tiennent compte du niveau de vie des populations ivoiriennes et de la moyenne de leurs revenus. Qu'est-ce à dire? Notre Etat sait que les revenus qui n'ont connu aucune variation depuis un certain temps ne sont pas capables de supporter une inflation galopante. Il sait également que même dans le meilleur des cas ou il déciderait d'une augmentation des salaires dans le public - ce qui est très peu probable - la majorité de Ivoiriens continuera de vivre en deçà du fameux seuil de pauvreté avec moins d'un repas par jour par ménage. Certes, comparaison n'est pas raison, mais la Côte d'Ivoire pourrait ajuster ses taux de prélèvements fiscaux et parafiscaux ainsi que ses taux d'augmentation sur ceux des pays de la sous-région sans que cela n'affecte réellement le fonctionnement de l'appareil étatique. Bien entendu, une telle démarche n'aura d'autre conséquence que d'obliger notre Etat à compresser certaines dépenses telles que le niveau du budget de souveraineté, le train de vie des institutions, remettre à plus tard la continuation des investissements en cours, instituer de nouvelles taxes légères sur des filières en plein essor comme l'hévéa, le palmier à huile, etc. - du moins jusqu'à la fin de la crise du pétrole.
Mais notre Etat n'a rien retenu de toutes ces possibilités, il a choisi de faire payer le consommateur, le maillon le plus vulnérable d'un système politico-économique dans lequel tous les sacrifices ne sont demandés qu'à lui tout seul ! Il y a eu des augmentations autorisées par le gouvernement de Monsieur Laurent Gbagbo comme c'est le cas l'électricité. C'est une immense contradiction, une forme de contrefaçon de l'idéal social et politique du socialisme - système dont se réclame la Refondation - et qui nous convainc sur bien d'autres motivations d'une démarche politique qui tend plus à détruire les acquis d'une pénible sortie de crise plutôt qu'à les consolider.

Opportunisme et
calcul politiciens...

Au regard de ce qui précède, nous sommes en droit d'opiner que la réelle volonté du clan de Monsieur Gbagbo Laurent n'était rien d'autre que de créer une fronde sociale dont le but final est de rendre impossible la tenue des élections dans les délais prescrits par l'accord de Ouagadougou. En toute logique, l'on devrait s'attendre à une tentative de séduction du peuple par la présentation d'un bilan de qualité essentiellement axé sur les efforts de sortie de crise. L'on devrait retrouver le parti de Laurent Gbagbo uni et concentré sur le prochain programme de son candidat. Rien de tout cela. Paradoxe des paradoxes, il prend des mesures impopulaires et attire le courroux du peuple. Sa logique n'a qu'une seule interprétation : il travaille pour éviter les élections. Et pour donner raison à ceux qui le pensent, il annonce une dissolution du gouvernement. Disons-le tout net, Monsieur Gbagbo Laurent oublie qu'il s'agit d'une mesure qui ne relève pas tout à fait de son pouvoir. Car en réalité, sa présidence actuelle, donc son pouvoir, est une présidence issue d'un accord. Il est finalement le fruit d'un accord et il ne pourra agir que dans les limites des termes de cet accord. Dans tous les cas, la dissolution du présent gouvernement est loin d'être une réponse au pressant besoin des Ivoiriens d'aller aux urnes.
Certes, Monsieur Gbagbo n'a pas décidé d'une crise du pétrole sur le marché international. Il n'a fait qu'utiliser cet argument pour tenter d'ouvrir cette fronde sociale en décidant d'augmenter à des taux irraisonnables le carburant, l'eau, l'électricité etc., et de favoriser donc l'inflation. Cela s'appelle opportunisme. Il sait et nous savons tous que le carburant est source d'inflation et que l'inflation elle-même est source de troubles sociaux et que le régime de Monsieur Laurent Gbagbo aime calmer les troubles sociaux avec une force démesurée qui, très, souvent occasionne de nombreux morts, des blessés graves et des invalides à vie. Ce tableau pourrait suffire pour retarder les préparatifs des élections et bien entendu la tenue de celles-ci. Il mise gros sur une certaine démoralisation des électeurs par des ruses dont l'une serait d'endeuiller quelques familles, qui, préoccupées par ces malheurs et cette violence gratuite, n'auraient plus le coeur à des élections. C'est pourquoi, jusque-là, il tient ferme dans cette décision de titiller la sensibilité des populations ivoiriennes, de les provoquer par cette manoeuvre manipulatoire afin d'obtenir ce clash qui servirait sa cause : se maintenir au palais malgré tout, envers tous et contre tout.

Contre le bien-être
de son propre peuple...

Cette ruse qui n'est qu'un jeu de triche-coeur est tout à la fois cruel et mesquin. Son déroulement, selon la volonté de son inventeur, opère sur des acteurs qui refusent de se prêter à la pratique d'un jeu politicien de trop. Ce sont d'une part les protagonistes Monsieur Laurent Gbagbo dont le Premier Ministre Soro Guillaume et les leaders de l'opposition (Messieurs Bédié et ADO notamment) et d'autre part le peuple.
Commençons par le peuple. A priori, il est à la fois le pantin et la victime de ce jeu vilain de Monsieur Laurent Gbagbo. Bien sûr, le peuple a faim et se sent écrasé de tout parts par l'inflation. La seule réaction logique de ce peuple est de descendre dans la rue. Voilà l'espoir de Monsieur Laurent Gbagbo. Dans ce schéma de Monsieur Laurent Gbagbo, le peuple n'est rien d'autre qu'un pantin à manipuler pour parvenir à cette fin. Soulignons-le bien, même au cas où le peuple descendrait dans les rues, rien ne sera fait pour calmer les choses, Monsieur Laurent Gbagbo et ses stratèges tireront indéfiniment sur les ficelles pour garantir le maintien d'un climat de désordre et de trouble non propice à la tenue des élections. Et c'est le cas actuellement. A peine a-t-il fait le bilan son échec du premier round, il annonce des décisions fâcheuses. C'est le plan de substitution et il y en a bien d'autres. Au meilleur des cas, il ne sortira que tardivement pour calmer le jeu et apparaître comme un champion, séducteur et manipulateur d'opinions. De multiples cas jalonnent le parcours de Monsieur Laurent Gbagbo tout au long de ses huit années de présidence mais réduisons-les tous à la possibilité de faire ce dialogue direct dès les premières heures de la crise comme le lui ont recommandé le Président Bédié ainsi que ses pairs de la sous région dont les territoires de quelques-uns ont servi d'arrière base à la rébellion, plutôt que d'attendre cinq ans après. Dans ce sens-là, le dialogue direct n'est pas une trouvaille si originale; pour un houphouétiste en tout cas, c'était l'alternative la plus indiquée. Il a plutôt fait le choix des tergiversations et de la ruse politique. Cela nous vaut à ce jour, six années d'errements et d'irrégularités politiques. Le résultat est évident pour nous tous: impossibilité de tenir des élections 2005 et très irrévocablement d'en tenir à la date du 30 novembre prochain. A défaut de déclarer publiquement qu'il ne veut pas organiser des élections, Monsieur Laurent Gbagbo orchestre d'autres schémas pour s'y dérober.
La fronde qu'il tente vainement de susciter servira autant pour le scénario décrit ci-dessus que pour ses antagonistes.

Ruse et farces
d'un jeu de fou

Pour le Premier Ministre, il avait fondé son stratagème sur une incapacité de celui-ci à juguler une fronde de cette nature. Ce ne sera pas la première tentative de mettre à mal le premier ministre et pour les leaders de l'opposition, il porte à souhait l'accusation d'avoir fomenté, dirigé, financé, entretenu et tutti quanti, une situation parce qu'ils auraient peur des élections. Cumulativement, il pourrait, au gré de son imagination, faire penser que ce sont les leaders de l'opposition qui érodent à des fins politiques la primature de Soro. Pire, il met au compte de la gestion de ces hommes les contrats pétroliers et déclare n'avoir jamais interféré dans la gestion des filières agricoles comme le café et le cacao. A ce point-là, il déclare ne rien savoir, de n'être responsable de rien et de ne pas savoir ce qui est bon ou mauvais pour la Côte d'Ivoire.
Mais dans le même temps, Monsieur Laurent Gbagbo a le loisir de soigner son image avec des opérations dites "Mains propres", la suppression des points de racket, etc. Dans le même temps, il s'active hâtivement et furtivement à modifier des textes qui régissent les structures chargées de préparer les élections. Il émet des réserves sur l'efficacité du mode opératoire de la Sagem dans la confection des pièces électorales.
Il est vrai que dans la pensée de Monsieur Laurent Gbagbo, le peuple ne compte pour rien et il est un pantin quand il ne s'en sert pas comme bouclier humain et chair à canon (novembre 2004). Mais ce peuple si " malheureux comme un enfant" (Francis Cabrel) est loin d'être dupe comme un enfant. Une véritable opération "Mains propres" dans la filière café-cacao ferait tomber des têtes plus lourdes. Il est évident que dans un vrai débat sur la gestion de cette filière, les lourds détournements occasionnés par la liquidation des structures comme la Caistab, et si l'on pousse l'analyse au fait que des mains occultes ont obligé les paysans à fournir leur effort de guerre en son temps en donnant des fonds pour doter la flotte de l'armée ivoirienne d'une puissance de feu qui n'a, in fine, pas eu raison de la rébellion, des têtes comme celles des Tapé Do, Amouzou Henri et autres Madame Kili ne sont que les moutons du sacrifice. Une telle opération ferait publier dans un premier temps l'article de Guy André Kieffer et éluciderait les circonstances de sa disparition. Rien que cela convaincrait les Ivoiriens de l'innocence de certains personnages de l'écurie de Monsieur Laurent Gbagbo. Une telle opération ferait aussi mention du flou artistique, de l'opacité coupable, voire de l'occultisme qui entoure la gestion du pétrole ivoirien et l'utilisation des ressources qui en découlent.
Quant à la suppression des points de sécurité, nous savons tous le lot de conséquences d'une telle décision. C'est l'insécurité à haut débit. N'aurait-il pas été plus honnête de chercher à supprimer le mal qui est le racket et de maintenir les points de sécurité? La logique le recommande pour deux raisons au moins.
La première, c'est que le racket est un vice qui mine une économie et des opérateurs essoufflés par huit années de guerre. Cette période de crise a fait proliférer des armes de toutes sortes aux mains de plusieurs. Cela crée un environnement non propice à une reprise économique post-crise.
La seconde, c'est que ces opérateurs et le pays dans son ensemble ont besoin de sécurité pour vivre. Ils n'iront pas la chercher ailleurs du moment qu'il y a un Etat si hardi à prélever des taxes qui doivent leur garantir ce minimum de sécurité. En outre, sans un minimum de sécurité, il est illusoire de prétendre préparer des élections.

Enfin...

Quels que soient les raisons et autres raisonnements de Monsieur Laurent Gbagbo et de ses stratèges, ils s'apparentent bien à un jeu, une ruse politicienne qui prend les allures d'une mesquinerie surtout quand cette ruse que d'aucuns qualifient souvent et à tort de génie politique n'épargne pas le peuple de la misère. En réalité, toute sa manoeuvre n'est rien d'autre qu'un refus d'aller aux élections. La liberté d'opinion et le courage auraient voulu que Monsieur Laurent Gbagbo dénonce explicitement l'accord de Ouagadougou comme il le fit pour tous les autres accords (Lomé ; Linas Marcoussis; Accra 1, 2, 3 Pretoria 1 et 2). Osera-t-il le faire puisque c'est l'accord des " Moutons du même prix "?
KOBENAN TAH THOMAS,
Député

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