vendredi 1 août 2008 par Nord-Sud

L'attrait du bonheur? et d'une situation stable pousse les jeunes filles du pays profond, surtout celles de la région du Nord-Est, à tenter l'aventure d'Abidjan.









L'exode de Ehouma Diane commence à quatre ans, lorsque son père, Kobenan Mathurin, chauffeur de taxi, abandonne sa mère pour une autre. Elle quitte l'école à 8 ans, en classe de CE1. Diane aide alors sa mère, Véronique, réinstallée à Tanda, à 363 kilomètres d'Abidjan. La vente de poisson fumé leur permet de survivre et d'assurer la scolarité des deux frères aînés. L'espoir de voir ces derniers devenir grands types? pour soutenir la famille tourne au cauchemar. Le fils aîné décède brutalement en 2004. Suivi bientôt par son cadet qui venait d'être reçu au concours de l'école nationale de la police.

En avril 2008, après avoir eu un enfant avec un jeune élève, Diane prend la direction d'Abidjan à vingt ans. Sans diplôme, sans qualification et sans tuteur. Premier emploi de servante à Abobo Les quatre étages . Sa patronne, Mme Houlaï Thérèse, est commerçante de vivriers. Le salaire est fixé à 15.000 Fcfa pour le ménage dans un appartement de 4 pièces, la lessive, la cuisine. Elle doit aussi accompagner les enfants à l'école et souvent vendre de l'eau glacée. Le travail commence à 5 heures du matin pour s'arrêter à minuit soit 18 heures. La petite bonne? n'a droit qu'à un repas par jour.





Des filles perdues à Abidjan





Le climat se détériore très vite. J'essuyais les injures de ma patronne qui m'accusait d'avoir des relations sexuelles avec son mari. J'ai décidé de quitter ce foyer. Mon employeur ne m'a pas versé mon salaire, témoigne Diane.

Une seconde offre se présente à Anono, dans la commune de Cocody. Là, elle travaille pour le compte de Théophile Groguet, professeur de sciences physiques au collège moderne de Treichville. J'étais payé à 20.000 Fcfa. Et il n'y avait pas grand-chose à faire : le nettoyage et la cuisine. Cependant, les cousins de mon patron ont voulu coucher avec moi. Ce harcèlement sexuel était fréquent surtout la nuit. J'ai informé mon employeur mais rien n'a changé. Donc, je suis partie de cette maison avec un pincement au c?ur, trois semaines seulement après le début de mon travail. Mon patron m'a remis 15.000 Fcfa comme salaire , confie-t-elle. La course au bonheur est loin de prendre fin pour elle.

Désillusionnée par les précédentes aventures, elle espère toujours décrocher un meilleur employeur. Un sachet de couleur bleue sur la tête contenant ses vêtements et ses chaussures, l'infortunée vient confier sa vie, sous une pluie battante ce vendredi 23 mai, au cabinet Espoir , un bureau de placement de servantes à Adjamé-Bracodi.

Comme Diane, elles sont des milliers de jeunes filles de l'intérieur du pays, attirées par les lumières d'Abidjan.

Nous recevons en moyenne sept filles par jour et nous parvenons à placer, au bout de 24 heures, cinq servantes à raison de 5000 Fcfa par domestique. Cette somme est prélevée sur le salaire et représente notre prestation de service , assure Tapé Donatien, responsable de l'agence Espoir.

Nous faisons de la proximité dans la recherche des filles. A travers les prospectus que nous affichons un peu partout. Les filles viennent à l'agence pour s'inscrire moyennant 5.000 Fcfa. Le salaire part de 20.000 Fcfa à 30.000 Fcfa par mois. Elles proviennent des communes d'Abidjan et de l'intérieur du pays. Notamment de la zone Est, le Zanzan mais aussi de l'Ouest, la région des Montagnes et du Centre-Nord, à Dabakala. Le fait notable c'est qu'il existe aujourd'hui, des étudiants des cités Mermoz et Rouge qui nous présentent des filles comme étant des bonnes. Or, il se trouve que ce sont leurs copines, explique Kambiré Philippe dont le cabinet est situé à Cocody, non loin de la pharmacie des arts.

Notre métier est régi par le décret n° 193/03/96. Pour être enregistrée, une fille de ménage doit présenter les pièces suivantes : deux photos d'identité ; la carte nationale d'identité ou l'attestation d'identité ou encore l'extrait d'acte de naissance sans oublier l'adresse des parents ou du tuteur. Les frais d'inscriptions sont fixés à 5 000 Fcfa. Le salaire est fixé de commun accord par les deux parties. En tout état de cause, la base salariale reste le Smig qui est actuellement de 36.607 Fcfa. Nous prélevons 10% du salaire pour la prestation de service , explique Séri Guédé Lambert, président des cabinets de placement.

Pour nous imprégner de la réalité du phénomène des filles de ménage, nous nous sommes rendus dans le Zanzan du 18 au 21 juin, cette région située à l'Est de la Côte d'Ivoire, est la principale pourvoyeuse des servantes des ménages des grandes villes.





Nous y avons découvert un vrai fléau régional aux conséquences insoupçonnées. Partie pour la capitale économique, Abidjan, en 2005 pour devenir fille de ménage, K. F. est revenue en catimini à Méré, sa terre natale. Ce village est situé à 10 km de Bondoukou, (420 km à l'Est d'Abidjan). K.Francine, la vingtaine révolue, visage amaigri a perdu la quasi-totalité de ses cheveux. Couchée sur une natte, au fond de la maison en banco, elle accepte de se livrer.





Une catastrophe régionale





En janvier 2005, une tante, tenancière de maquis à Abidjan est venue me chercher pour l'aider dans ses tâches. Sur le terrain, les données changent. D'abord, je travaille quelques mois dans son maquis puis elle me présente à une dame au Plateau Dokui où je devais m'occuper des tâches domestiques. Au fil du temps, ma tante, de connivence avec sa camarade, m'introduit dans un club privé. Je deviens servante dans un bar climatisé à Marcory-Zone 4. Face aux propositions des hommes appuyées d'espèces sonnantes et trébuchantes sans oublier la pression de ma tante, j'ai couché avec toutes ces personnes très souvent sans préservatif , se souvient Francine. En avril 2007, elle est hospitalisée au service des maladies infectieuses du Centre universitaire hospitalier (Chu) de Treichville. Sa séropositivité est établie. Les premiers signes cliniques se présentent. La diarrhée chronique accompagnée de fortes fièvres, de taches noires sur tout son corps. Livrée à elle-même et désespérée, elle n'a qu'une solution: le retour à Bondoukou en mai 2008.

Au début, les parents de Francine et son entourage admettent difficilement sa situation. Nous sommes couverts de honte. Ce n'est pas pour autant que nous allons rejeter notre fille. C'est dommage que les choses aient tourné mal, se désole K. Pascal, planteur d'anacarde et frère aîné de Francine.

Dans la région, l'on a pourtant conscience que l'exode conduit très souvent à la prostitution. Une dame, membre de l'Union générale des femmes de Bondoukou (Ugfb) et qui a tenu à garder l'anonymat, fait des révélations sur les méthodes utilisées par un réseau de proxénètes, pour la plupart des tanties?. Nous avons formellement identifié ces dames qui sont originaires du Zanzan. Leur technique consiste à offrir des présents (poisson fumé, savon, vêtements et argent) à la famille. Elles proposent aux parents d'envoyer leur fille à Abidjan pour travailler chez elles. L'opération de charme aboutit et les filles sont embarquées pour atterrir dans les bras d'autres personnes. Sur le terrain, elles sont placées dans les ménages pour les plus chanceuses. Et les autres sont insérées dans le milieu de la prostitution. Les mentalités sont en train de changer timidement. Toutefois, il y a encore des foyers de résistance dans les localités de Bouna, notamment vers Wouha en pays Lobi et Danga , insiste la même source.





L'impuissance des religieux





L'iman Timité Kolonga pointe du doigt l'absence d'une politique sociale à l'endroit des populations vulnérables du fait de la crise économique. Personne ne souhaite mettre sa progéniture dans le métier de domestique. Le salaire est dérisoire et la maltraitance règne en maître. Mais, les familles n'ont même pas le minimum pour vivre. Nous sommes résignés face à l'exode des filles vers Abidjan. Le drame c'est le cas des infections des filles du sida quand elles reviennent au village , regrette l'imam de la mosquée centrale de Bondoukou.

Selon l'évêque du diocèse de Bondoukou, Mgr Félix Kouadio, ce dépeuplement des 1.103 villages qui constituent le Zanzan est une forme d'esclavage des temps modernes d'où un frein au développement socio-économique. C'est un secret de polichinelle ! Le retour des filles de ménage du périple abidjanais est catastrophique voire humiliant. Elles sont contaminées par le Vih-sida. C'est la résultante de la pauvreté des parents , constate le prélat.





Le sida sévit parmi les bonnes?





Force est de reconnaître que la majeure partie des filles de ménage revenant d'Abidjan sont infectées par la pandémie du siècle. Cela nous a amené à mettre en place une politique d'assistance médicale et psychologique. Il s'agit d'accompagner les malades avec des conseils. On agit aussi pour qu'elles bénéficient du traitement Anti retroviral (ARV). Les malades jouissent d'une gratuité au niveau des médicaments de la Pharmacie de la santé publique (PSP) , explique Mme Haidaira Elisabeh, du service d'assistance sociale logé au Centre hospitalier régional (Chr) de Bondoukou.

Dr.Kouassi Julien, médecin généraliste au Chr et coordonnateur départemental du comité de lutte contre le Vih-sida donne l'aperçu de la situation. Nous recevons en moyenne dans le mois 50 malades porteurs du virus Vih. Cependant, 60% de ces patients sont de sexe féminin notamment les filles domestiques qui reviennent d'Abidjan. Donc, on dénombre 30 cas de domestiques infectés par le sida. Cette situation contribue fortement au taux de prévalence dans la région. Il se situe à 4,9% nettement au-dessus de la norme nationale. A titre d'exemple, pour la semaine du lundi 16 juin au vendredi 20, nous avons enregistré dans nos fichiers 16 cas d'infection du Vih. La situation est alarmante. De ce fait nous menons dans le cadre du programme national de lutte contre le sida, des campagnes de sensibilisation en direction des populations (rurale et urbaine). Par ailleurs, ce taux de 4,9% témoigne de la persistance de comportements sexuels à risque c'est-à-dire les rapports sexuels non protégés. Les filles infectées sont mises sous traitement anti rétro viraux moyennant une contribution financière à hauteur de 1.000 Fcfa par mois au lieu de 300.000 Fcfa il y a quelques années. A côté du soutien médical, nous apportons un appui psycho-social aux malades , soutient-il.

C'est un scandale et un naufrage pour la région. Dans la mesure où elle est dépourvue de ses bras valides pour assurer son développement économique. Nous sommes conscients des filles qui reviennent infectées du sida. C'est un lourd tribut que nous payons. En plus des filles domestiques, nous avons 7.200 ressortissants qui travaillent dans les plantations d'hévéa à San-Pédro, déplore, le chef traditionnel, Nanan Adou Bibi 2, chef de la province Pinango constituée de 500 villages.





Vivement des écoles





Nanan Adou Bibi 2 donne des pistes de solution. Il faut attaquer le mal à la racine. C'est-à-dire accentuer la campagne de sensibilisation sur la scolarisation des filles. Cela doit se traduire par la construction dans chaque village d'une école primaire. La gratuité de l'école, prônée par les pouvoirs publics, doit être une réalité. Comment pouvez-vous comprendre que c'est maintenant qu'un village comme Bizarédouo qui compte plus de 2000 âmes ait une école pour la rentrée scolaire 2008-2009 ? En outre, l'introduction de l'hévéaculture dans la région doit être accompagnée d'usines de transformation du caoutchouc afin de donner du travail à la jeunesse pour créer la richesse. C'est essentiel pour le développement harmonieux de la région , propose le souverain du peuple Bron.

Gonti Michel, directeur régional du ministère de la Famille, de la Femme et des Affaires sociales insiste sur la récurrente question de la scolarisation de la jeune fille. Très tôt, la fillette aide sa mère dans les travaux domestiques. Ainsi, dès le bas âge, elle garde ce réflexe et grandit avec cette mentalité. Les parents privilégient la scolarisation du garçon. A ce sujet, les statistiques de l'année scolaire 2002-2003 établies par l'Institut national de statistiques (INS) donnent froid dans le dos : 8,01% de filles sont scolarisées à Bouna contre 9,68% pour les garçons ; à Bondoukou on a 55,69% de jeunes filles qui ont pris le chemin de l'école lorsque 64,24% de garçons fréquentent au primaire , explique le fonctionnaire.

Certes, le taux de scolarisation des filles à Tanda est nettement en progression avec 75,70%. Mais, certaines localités sont encore dépourvues d'école. C'est le cas de Tambi, un village de 8.000 âmes. Conséquence, la plupart des filles ne sont pas scolarisées. Cette situation arrange les vendeurs d'illusions et autres proxénètes, en particulier les tanties venues d'Abidjan.

La politique d'insertion et de reconversion socio-professionnelle des aides ménages s'inscrit en priorité dans le projet d'appui aux Jeunes filles domestiques (Jfd) initié en 2002 par le Bureau international catholique de l'enfance (Bice). Désiré Koukoui, directeur des actions et projets, donne des précisions : Ce projet prend en compte les filles dont l'âge se situe entre 14 et 18 ans. Nous proposons, en accord avec les patronnes, des séances de formation aux métiers de la pâtisserie, de la mécanique ; la couture ; la coiffure. Nous travaillons avec les structures de formation publiques à l'instar de l'Institut de formation et d'éduction féminine (Ifef). Il y a aussi des centres privés et les congrégations religieuses disséminées à travers le pays. Le projet a pris forme en 2002 et se poursuit jusqu'en 2009. Nous avons installé 300 filles qui exercent dans divers secteurs d'activités économiques. Le soutien financier pour l'installation sur le marché du travail varie entre 50.000 Fcfa et 350.000 Fcfa remboursables. Pour se rendre compte de la portée réelle de ce projet d'insertion socio-économique, notre investigation nous conduit à Attécoubé-Quartier Ebrié. Sous la conduite de notre informateur, nous rencontrons Mlle Kouma Marcelline, devant son salon de coiffure. Elle a bénéficié du projet (Jfd) et s'est installée en 2007. J'ai exercé le métier de servante pendant 6 ans. J'ai même été contrainte d'abandonner l'école en classe de 4ème. J'ai été intéressée par le projet d'insertion professionnelle et je suivais les séances de formation. Pour mon installation, j'ai obtenu un prêt du Bice à hauteur de 250.000 Fcfa. Je continue de rembourser la dette. Mais, ma reconversion est une réalité. J'assume entièrement mon autonomie , se réjouit-elle.


La réinsertion socio-professionnelle





Autre expérience d'insertion, celle conduite par la Coopérative des producteurs agricoles de Bondoukou (Copabo). Nous avons installé en 2001 trois usines de traitement de l'anacarde à Kpanan, Kirmessé et Taoudi. Nous avons recruté 300 femmes dont la majorité est composée des filles de ménage reconverties aux tâches de trieuses de nos fabriques. Elles travaillent 8 heures par jour et reçoivent 1.300Fcfa /J soit 39.000 Fcfa comme salaire mensuel.

L'initiative privée doit être encouragée pour résorber la question des filles domestiques originaires de notre localité, propose Sékongo Fonibé, son Directeur général.

A 105 kilomètres du chef lieu de région, Taoudi, un village situé sur l'axe Bondoukou-Gouméré, respire l'odeur des amandes de la noix d'anacarde. Koffi Adja Agnès y a effectué en 2002 un retour gagnant après sa mésaventure de domestique sur les bords de la lagune Ebrié en 1997. J'ai suivi une formation au Bénin dans le cadre du projet de décorticage de la noix d'anacarde. Puis, trois ans plus tard, j'ai été engagée par la Copabo pour la commercialisation des amandes sur le marché local. En fin de compte, je travaille comme trieuse dans cette unité de transformation. Je suis une femme heureuse et autonome car je participe activement aux dépenses familiales. Le métier de fille de ménage est la pire des humiliations, témoigne-t-elle.

A l'Union générale des femmes de Bondoukou, on a décidé de prendre le taureau par les cornes. En plus, des campagnes de sensibilisation pour la scolarisation des filles, les femmes du Zanzan, regroupées en une coopérative agricole, investissent les bas-fonds et les marécages. Cette entreprise réunit plus de 200 femmes dont l'âge varie entre 25 ans et 70 ans. Les coopératrices pratiquent les cultures maraîchères sur des superficies allant de 2 à 5 hectares. Il s'agit de la tomate, de l'ognon, de la carotte Ces produits sont écoulés à Abidjan avec des grossistes. Les bénéfices sont partagés entre les femmes. Chacune reçoit en moyenne 125.000 Fcfa. Le reste est placé dans un compte bancaire à titre d'épargne afin de réaliser les investissements futurs. Des filles de ménage revenues d'Abidjan ont intégré la coopérative.





O.M.

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