mardi 5 août 2008 par Le Temps

Le Président de la République vient d'effectuer une visite dans votre région. Cela, 6 ans après son occupation par les rebelles. Quelles en sont vos impressions ?
La visite du Président Laurent Gbagbo à Vavoua, il faut le dire, se situait dans un contexte précis. Cela faisait suite aux remous qu'il y a eu dans la zone de la part des combattants de l'ex-rébellion. La venue du chef de l'Etat nous a donc rassurés. Elle a rassuré les populations au plan sécuritaire. C'est la première des choses que nous retenons de cette visite historique parce que c'est la première fois qu'un chef d'Etat ivoirien nous visite depuis 1961. Nous avons donc retenu cela comme une marque d'attention à nos populations. Cet événement historique restera gravé dans nos mémoires. En plus de cela, il y a le message que le Président de la République a délivré. C'était un message fort pour l'ensemble des Ivoiriens et qui se résume en ceci : " la guerre est terminée et qu'il faut désormais la mettre sur le compte du passé?. Que gagnent les populations concrètement de cette visite?
Dans un premier temps, les populations gagnent un réarmement moral. N'oublions pas que c'est une population qui a été traumatisée pendant 6 ans et qu'elle avait besoin de cette solidarité de leur Président. Nous autres, étions pratiquement persona non gratta à Vavoua. Et le fait que la première personnalité de ce pays se déplace jusqu'à Vavoua, c'est une assurance sécuritaire, morale et sur tous les plans. Ensuite, les populations gagnent en confiance parce qu'elles se considèrent désormais comme faisant partie de la République de Côte d'Ivoire. Nous avons posé un certain nombre de préoccupations. L'on sait qu'à Vavoua, le Président n'était pas venu pour ça. Il était venu pour éteindre le feu. C'est d'ailleurs pour cela qu'il nous a dit de venir à Abidjan.
Dans votre discours à Vavoua devant le Président de la République, vous n'avez pas été du tout tendre avec les ex-rebelles. Pourquoi avez-vous usé de ce ton ?
Dire que je n'ai pas été tendre avec les rebelles, c'est exagéré. J'ai présenté une situation qui est un fait. Je ne sais pas dans quel passage de mon propos vous avez remarqué ce ton dur. Soyez beaucoup plus explicite. On a remarqué que sans voiler les mots, vous avez demandé le désarmement systématique des ex-combattants et leur encasernement sans aucune autre forme de condition ?
Moi je n'ai fait que traduire l'Accord politique de Ouaga. Ledit Accord est tellement clair que je ne pense pas que demander le désarmement des rebelles veut dire qu'on est contre eux. Ce sont les dispositions de l'Accord de Ouaga qui stipulent qu'à un moment donné du processus, il faut désarmer les combattants, les démobiliser et les réinsérer dans le tissu socio-économique. Il est clair qu'au moment où je parlais au chef de l'Etat, les choses restaient encore au point mort dans le département de Vavoua.
Pourquoi ?
Parce que au jour d'aujourd'hui, il existe encore des barrages et des postes de contrôle tenus par les rebelles à Vavoua. C'est cela la réalité sur toute l'étendue du département de Vavoua. A Abidjan, les chefs traditionnels ont dit la même chose. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes contre les rebelles. Dans le processus, quand on regarde bien, Vavoua n'est retenu comme un site de regroupement. Ce qui veut dire que les ex-combattants doivent être regroupés ailleurs. Parmi eux, il y a ceux qui étaient déjà des militaires ; c'est-à-dire des gendarmes des policiers, des douaniers et autres qui sont des agents assermentés. Si ceux-là sont à Vavoua, il n'y a aucun problème. Parce qu'ils sont là pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Ils sont également à la disposition du corps préfectoral qui les utilise pour assurer la sécurité des gens. Les autres qui ne sont pas des militaires qu'on doit démobiliser, il y a deux possibilités pour eux. Soit, ils décident d'aller dans la nouvelle armée, et ils sont regroupés à Kani et on procède à la mise en place des procédures de recrutement les concernant et ceux qui seront retenus iront dans la nouvelle armée. Il faut aussi que ceux qui n'iront pas dans la nouvelle armée soient regroupés à Kani en attendant que ce qui est prévu pour eux arrive. Maintenant pour les autres, il y a eu une amnistie générale qui permettra à chacun de décider d'aller ou non dans la nouvelle armée. Il y a le CCI qui est lui composé d'éléments des FDSCI et des FAFN. Pour le moment, ce sont eux que nous voulons à Vavoua et non les jeunes gens qui se promènent avec les armes en bandoulière. Certains ont été démobilisés, ils sont allés toucher leur pécule et ils sont revenus sous prétexte qu'ils ne savent pas où aller. Ce qui les amène à racketter les populations. Et c'est ce que nous déplorons. Pour vous ils sont donc dans la nature ?
Bien entendu, ils sont dans la nature. Et notre message avait pour objectif d'aider au règlement de leur problème. Il y en a qui occupe encore les maisons de gens et quand on leur dit de quitter ils sont bien d'accord, mais ils rétorquent qu'ils ne savent pas où aller. Certains observateurs ont eu par moments le sentiment que votre discours était l'expression d'un ras-le-bol ? Partagez-vous ce sentiment ?
C'était l'expression d'un véritable ras-le-bol. Dans un département où les militaires circulent toujours en arme, il y a de quoi craindre l'insécurité. Quand ils se sont soulevés tout récemment, ils ont ligoté leur chef. Le calme est certes revenu, mais pendant cette petite période d'échauffourées, on a vu beaucoup de chose. Des armes qu'on pensait arranger sont ressorties.
Vous avez également réclamé les pleins pouvoirs pour les préfets. Est-ce à dire que les préfets n'ont pas les pleins pouvoirs à Vavoua ?
Le Corps préfectoral est bel et bien présent à Vavoua et collabore avec les autorités des Forces nouvelles. Mais il n'a pas les pleins pouvoirs. Pour moi, c'est à lui seul, en tant que représentant de l'Etat dans le département, qu'on doit se référer quand il y a des problèmes. Il est inadmissible de se référer à lui pour des problèmes administratifs et quand il s'agit des problèmes sécuritaires on doit de se référer à d'autres personnes. Je pense que nous qui sommes dans le département, nous devons être tous placés sous l'autorité du préfet. C'est lui qui doit donner les instructions et non quelqu'un d'autre. Lorsqu'il y a un problème de sécurité, les éléments des Forces nouvelles doivent être mis à sa disposition. J'ai bien précisé que les éléments doivent travailler sous le commandement de leur hiérarchie, mais sous l'autorité entière du préfet. Une semaine après sa visite à Vavoua, les populations sont allées rendre visite à leur tour au Président Gbagbo. Quel était le sens de cette visite ?
Je saisis l'opportunité que vous m'offrez pour dire merci au Président de la République. Il y a trois ans de cela que les populations avaient souhaité le rencontrer. Les rendez-vous ont été pris et par deux fois, l'actualité n'a pas permis au chef de l'Etat de nous recevoir.Il avait donc à c?ur de régler ce problème. Quand il s'est déplacé de lui-même en visite de travail à Vavoua, nous en avons profité pour lui présenter un certain nombre de doléances. Et comme il n'a pas eu le temps d'examiner notre dossier, il nous a invités à Abidjan pour qu'on échange avec lui sur les problèmes du département. C'est ce que nous avons fait. Quel est aujourd'hui le point de la situation sécuritaire après le passage du chef de l'Etat ?
Du point de vue du déplacement des personnes et des biens, il n'y a aucuns problèmes dans le département. Les gens se déplacent et vaquent à leurs occupations. Mais il y a encore un certain nombre d'habitudes comme le racket qu'il est difficile d'abandonner. Mais d'autres problèmes qui peuvent se greffer, c'est que d'autres individus non maîtrisés et qui ne sont forcément pas des éléments des Forces nouvelles en profitent pour faire des braquages. Quels sont actuellement les rapports entre le Conseil général dont vous êtes le président et les populations ?
Nos rapports avec les populations ont toujours été ceux d'encadrement. C'est vrai que la guerre a fait que nous n'avons pas pu nous localiser à Vavoua. Mais notre cas est un cas particulier. Parce que c'est un Conseil général tenu par un élu FPI. Donc dès le début de la crise, nous ne pouvions pas venir nous installer comme ça à Vavoua et travailler comme d'autres ont pu le faire, ailleurs. La preuve, lorsqu'il y a eu les premiers Accords en 2003 et que nous avons tenté de revenir, Koné Zackaria qui a considéré le reportage de l'équipe de la télévision qui nous accompagnait comme une insulte à sa personne, nous a interdit de séjours à Vavoua. Et comme pour des questions sécuritaires nous ne pouvions pas nous y rendre et faire des investissements lourds comme les constructions d'écoles et de centre de Santé, il nous fallait avoir du matériel pour faire des dons aux populations. Dès la signature de l'Accord politique, nous avons tenu notre premier conseil. Et à partir de là, tous les projets que nous avions laissés en veilleuse ont commencé à être réalisés. C'est-à-dire que vous êtes maintenant autorisés à travailler ?
Il n'y a plus de problème. Nous pouvons travailler. Devant le Président de la République, vous avez demandé la réalisation d'un certain nombre de projets. Si le chef de l'Etat doit tout faire pour vous, quel est le rôle du Conseil général ?
C'est la question que le Président a posée lorsque nous sommes venus le voir à Abidjan. Nous avons été installés le 4 septembre 2002. Et le 19 septembre de la même année, le pays a été attaqué. L'objectif, c'était de renverser le pouvoir en place. Le pouvoir FPI. Donc nous Conseil général FPI, nous étions concernés. Nous ne pouvions pas travailler et mettre en ?uvre les programmes. Ce qui a fait que nos dotations ont connu une baisse parce que les crédits budgétaires ne sont pas de l'argent liquide. L'autre problème, c'est qu'avant l'avènement des Conseils généraux, le département de Vavoua était sinistré. C'est-à-dire que du point de vue équipement, nous accusions déjà un grand retard. Sur 79 villages, il y a seulement 7 qui étaient électrifiés. C'est déjà un problème. Nous n'avons pas de ligne de moyenne tension nulle part dans le département. Et ça, c'est l'Etat qui doit le faire. Le coût de cette réalisation s'élève à 13 milliards. Alors que notre budget n'a jamais dépassé les 200 millions. Ce n'est pas seulement un problème d'électrification, il y a aussi ceux concernant les routes. Pour refaire ces routes, il nous faut au moins 2 milliards. L'hôpital général qui, en son temps, avait été renouvelé par l'Union européenne, a été complètement pillé. Pour sa réhabilitation, il faut 400 millions et pour son équipement 700 millions. Nous avons 127 écoles où tout a été saccagé. Nous avons fait une évaluation de 200 millions à ce niveau. Quand on fait la somme de toutes ces dépenses, ce sont 30 milliards qu'il faut au Conseil général. Là, ce sont des interventions d'urgence. Nous sommes d'accord pour dire que ce que nous demandons, c'est le rôle du Conseil général de le faire. Mais comme à cause de la guerre nous n'avons pas pu avoir les moyens pour le faire, nous demandons un appui exceptionnel. Qu'est-ce que vous avez fait de vous-mêmes avant de solliciter le concours de l'Etat ?
Depuis que nous avons commencé à travailler, nous avons fait les routes à hauteur de 405 millions avec les marchés que nous avons passés. C'était juste pour faire un profilage léger. Parce qu'on voulait couvrir tout le département. Au niveau de la santé, dès le départ, nous avons réhabilité le logement du directeur de l'hôpital afin de lui permettre d'être là, nous avons réhabilité les cinq services les plus urgents, nous avons obtenu du matériel médical d'une valeur de 40 millions. Et nous avons donné deux mobylettes pour que les agents de santé puissent sillonner les 10 centres de santé pour donner les soins minimums à nos parents. Au niveau de l'éducation, une école de six classes a été construite à Bahiri. Nous avons confectionné 2550 tables -bancs, nous avons donné au Lycée 500 tables bancs. Nous leur avons apporté un appui pour prendre en charge les enseignants bénévoles. Nous avons un contrat avec un opérateur en vue de réhabiliter le foyer du Lycée. Au niveau de l'hydraulique, nous avons prévu de construire 5 systèmes d'hydrauliques villageoises améliorées dans cinq localités les plus importantes. Il faut noter qu'avant aucun village n'était doté d'une adduction d'eau potable. Ce qui est dramatique pour près de 29000 habitants. La ville de Vavoua souffre terriblement du manque d'eau potable parce que la capacité du château est complètement dépassée. Vous parlez de manques de moyens. Mais vous ne devez pas tout attendre de l'Etat ?
Moi je ne voyage pas pour voyager. Quand on voyage, c'est avec des dossiers concrets. Et moi, j'ai déjà voyagé au Canada, ce qui nous a valu un container de matériels médicaux. Mais aujourd'hui, nous ne sommes plus à la phase de dons. C'est-à-dire aller solliciter des gens pour vous faire des dons. Mais on ne fera jamais de dons en matériel neutre. Les dons que les ONG nous amènent ici, quelquefois, ce sont des choses qui ne sont pas adaptées. Quand on parle d'aller chercher les moyens, il s'agit des moyens financiers. Mais ça ne se fait pas comme cela. Il y a des dispositions qui doivent être prises au niveau du gouvernement pour que nous ayons son aval. Sinon, l'argent que vous partez prendre ailleurs est d'abord une dette de l'Etat avant d'être celle du Conseil général. On ne peut donc pas y aller sans que l'Etat dise qu'il se porte garant de ce que nous sollicitons. Nous avons eu des rencontres avec un institut de recherche agricole qui est prêt à venir à Vavoua, pour mettre en place un certain nombre de microprojets. Ce qu'il faut au-delà de tout cela, il faut trouver des solutions internes pour que les Conseils généraux aient des financements et des crédits qu'ils peuvent rembourser à partir de leurs propres ressources. Quand le Président de la République a dit qu'il fera en sorte que les ressources des différentes régions leur reviennent, nous avons applaudi. Si on trouve du diamant ou du pétrole, il y a une partie qui doit revenir à la région à travers le Conseil général pour servir à son développement. Il devrait en être de même pour le cacao et le café dont les ristournes doivent bénéficier aux régions productrices. A Vavoua, il semble que l'occupation illicite des terres est un problème qui mine le département. Qu'en est-il exactement ?
Ce problème est très délicat dans le département. Quand il y a eu la guerre, des gens sont partis abandonnant beaucoup de choses. Parmi ces choses, les plantations. Après leur départ causé par la guerre, des personnes sont venues s'installer de façon illicite et clandestine. Ils le font avec les armes parce qu'il n'y a pas l'autorité de l'Etat. Il faut dire que certains de nos frères venus du Burkina ont été trompés au départ. On leur a dit qu'ils étaient marginalisés donc, aux côtés de nos frères ivoiriens, ils ont pris les armes. Et quand vous avez les armes, vous pouvez occuper les terrains sans que personne ne lève le petit doigt. C'est donc une situation explosive qu'il faut vite dénouer. Il y a d'autres qui sont venus qui n'ont pu trouver des plantations, mais qui se sont rués sur les forêts classées en y créant des plantations. Aujourd'hui, ils sont des producteurs de café ou de cacao. A la faveur des audiences foraines, je suis allé d'un village à un autre. Avant, c'est la forêt dense que nous traversions pour y aller. Mais j'avoue que les plantations y ont poussé comme des champignons. Sur 41 km, ce sont des plantations que j'ai vues. C'est une autre situation qu'il faut gérer. Evidemment, il y en a qui avaient cédé leurs terres, avec des contrats, malgré tout, là où on leur donne un hectare par exemple, les gens font 10 hectares sans l'accord du propriétaire des lieux. Pour dénouer définitivement ce problème, il faut commencer par appliquer la loi sur le foncier rural qui est aussi clair. Et c'est ce que le ministère de l'agriculture a commencé à faire. Il faudra avant tout un travail de sensibilisation en mettant en place des comités régionaux de réconciliation et de règlements des litiges comprenant les préfets, les élus et cadres des régions qui feront en sorte de ne léser aucune partie. Les cas de ceux qui sont dans les forêts classées seront réglés par l'Etat puisque, c'est à lui qu'appartiennent ces forêts. La SODEFOR et nous autres verrons dans quelle mesure des contrats peuvent être signés avec ceux qui occupent ces terrains et les faire partir de façon progressive. Quand il y a eu les événements à Vavoua et à Séguéla, dans la dernière ville, les populations ont marché pour dénoncer le comportement des ex-rebelles. Mais à Vavoua, rien n'a été fait, pourquoi ?
Il ne s'agit pas de crier son ras-le-bol. Cela ne règle pas le problème. Cela ne veut pas dire que les gens sont d'accord avec ceux qui ont pris les armes. Sachez que la guerre est terminée et que la période de belligérance est derrière nous. Les gens n'ont pas marché à Vavoua, il faut mettre cela sur le compte de la peur. Ce qu'il faut savoir, c'est que les populations de Vavoua n'ont jamais été d'accord avec cette occupation de leur département par les rebelles. Nous avons tellement accueilli les populations étrangères que les populations autochtones sont minoritaires. Sur 286000 habitants, nous sommes seulement 40000 autochtones. C'est-à-dire 15% de la population. Il faut éviter les polémiques inutiles et voir comment nous allons sortir de la crise et faire renaître la confiance entre nos parents.

Interview réalisée par
Pierre Legrand et Yacouba Gbané

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