jeudi 14 août 2008 par RFI

A mille lieux des célèbres polyphonies corses, Antoine Ciosi met en valeur la beauté de l'île à travers sa tradition d'histoires chantées, récoltées aux quatre coins de la Corse. Pour les préserver de l'oubli, il a enregistré à Pigna un nouvel album, A Voce Piena, où il chante à pleine voix le quotidien et les particularités de l'identité corse.

Antoine Ciosi, avec ses cinquante années de carrière dans la chanson, fait lui-même partie du patrimoine corse. Avec A Voce Piena il a voulu protéger de l'oubli un genre musical mal connu : la poésie chantée, qui se transmet de génération en génération depuis plusieurs siècles et qui raconte avec finesse et poésie, le temps qui passe sur l'Ile de Beauté.

Exil

Enregistré à Pigna, un village paisible de Balagne en Haute-Corse reconnu pour son travail autour du chant et des instruments traditionnels, A Voce Piena rend hommage avant tout à la culture retrouvée. La Casa Musicale de Pigna, son studio, son amphithéâtre et les projets qui s'y défendent depuis plus de dix ans symbolisent en effet un vrai regain d'intérêt pour le patrimoine musical insulaire. "Dans les années 50, raconte Antoine Ciosi, l'exil avait vidé tous les villages de l'intérieur. On s'était entiché de la culture française et la nôtre était à l'abandon"

Antoine Ciosi en fait lui-même l'expérience, séduit par les lumières de Paris A vingt ans, il quitte sa région natale, au sud de Bastia, sans "rien connaître de son île". Le c?ur léger, il embarque vers la capitale, prend des cours de chant et se destine à l'opérette. Il débute à Mogador aux côtés de Tino Rossi en 1957 et chante occasionnellement au Châtelet

Mais bientôt, la Corse lui manque viscéralement. Il rentre au pays avec l'envie de se réapproprier la culture de son île "Ma chance a été de voir le jour dans une famille paysanne et d'avoir toujours gardé en moi la langue corse" se rappelle-t-il. Il décide de faire le tour de l'île avec un magnétophone et collecte tout : les vieux poèmes dans les bibliothèques, les chants des anciens, les airs traditionnels, etc. "Parfois j'étais reçu un peu froidement Je me rappelle bien d'une matrone qui, après m'avoir donné plusieurs poèmes m'a demandé très sérieusement : `Monsieur Ciosi, qu'allez-vous faire de ces vieilleries ?!`. Inlassablement, j'ai voulu empêcher ces chants de tomber dans l'oubli et la seule façon de sauver un chant, c'est bien sûr de l'enregistrer". Quarante ans après, l'enjeu reste le même. Voilà comment est né A Voce Piena.

Patrimoine

Les poèmes chantés résonnent en effet comme un véritable patrimoine populaire. Ils racontent toutes les choses de la vie, du berceau au cercueil. Bergers, instituteurs, pêcheurs, paysans, chantent avec subtilité et poésie les amours, l'exil, la nature, la politique ou la mort. Tous écrivent à leur façon une page de l'histoire de la Corse. "A mogli di u piscadore conte par exemple, l'histoire des Mazzi, père et fils, deux pêcheurs île-roussiens qui disparaissent en mer en 1962. François Vicenti, un poète de la région reconnu pour ses nombreux textes offre à la famille cette chanson, en forme d'hommage, de faire-part. Manetta est une chanson du sud profond, un chant traditionnel de la fin du XIXe siècle. C'est l'histoire de Manetta, alias Joseph Bartoli, qui naît dans une famille très pauvre du sud, devient agent électoral et fait finalement fortune à Ajaccio. Sa s?ur aînée, restée au village dans une misère noire lui rappelle d'où il vient avec un sens poétique hors du commun. C'est ça qui est incroyable, ce don des mots simples, des métaphores, très répandu finalement dans toute la Corse."

A Voce Piena ne compte qu'une seule création, en hommage au "pays des oliviers géants", la Balagne, région de la Haute-Corse. Ce morceau, Balagna Regina a été composé par un jeune professeur de corse au lycée de cette région, Olivier Ancey. Il y déclare son amour pour cette terre éclairée par une lumière de "matin du monde". "Les poètes existent toujours en Corse, bien sûr ! Nous avons des jeunes, une relève, comme ce compositeur de Balagne. Les anciens aussi : les frères Vicenti ont plus de 80 ans maintenant et sont très fatigués, mais ils ont donné à la Corse ses plus belles chansons contemporaines ! Il y a quelques années, ils offraient encore un magnifique chant à une famille endeuillée par un accident de moto. Aujourd'hui, malheureusement, beaucoup de jeunes ont tendance à se tourner plutôt vers la polyphonie, ou politisent trop leurs chansons. Beaucoup négligent la poésie chantée ou oublient qu'elle est d'abord faite de mots simples et beaux". Et qu'elle fait partie d'un patrimoine populaire à préserver, réinventer et surtout faire vivre.

Eglantine Chabasseur

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023