mardi 25 novembre 2008 par Le Nouveau Réveil

Le Barreau de Côte d'Ivoire entend, ici et là, des voix qui s'élèvent, s'étonnant, s'indignant même, de voir des avocats en robe, leur Bâtonnier en tête, manifester depuis plus de deux semaines au sein et aux abords du Palais et clamer haut et fort leur indignation à l'occasion de la tentative d'enlèvement et de séquestration dont a fait l'objet l'un des leurs.
Pour certains, cette situation serait incompatible avec la sérénité qui convient à l'?uvre de la justice et la tranquillité nécessaire à ceux qui la rendent, en l'occurrence les magistrats. Pour d'autres, elle serait antinomique avec le port de la robe et la dignité qui s'attache à la profession d'avocat.
Le Barreau de Côte d'Ivoire comprend que les manifestations de ces derniers jours aient pu constituer une gêne pour tous ceux qui, magistrats notamment, travaillent au sein du Palais de justice- Si, à l'occasion de ces manifestations, comme certains l'affirment, des propos désobligeants et prétendument " outrageants " ont été tenus à l'endroit des magistrats, le Barreau, de manière solennelle, tient à réitérer que son action n'est en rien dirigée contre les magistrats dans leur ensemble.
Mais le Barreau s'étonne aussi, à son tour, de constater que les réactions précitées ne s'attachent qu'à la forme et ignorent le fond en s'abstenant de se prononcer sur l'illégalité des actes commis par le Procureur de la République et la légitimité de la cause défendue par les Avocats, voire d'y faire référence.
La sérénité de la justice qui est alléguée ne dépend pas, ou très peu, des nuisances sonores et visuelles dont se rendent "coupables" les avocats qui, en manifestant comme ils le font, exercent un droit constitutionnel. Elle réside surtout dans la connaissance de la règle de droit, la manière de l'appliquer et l'esprit de sagesse et d'impartialité qui préside à cette application. Lorsqu'elles sont remplies, ces conditions sont la marque et la garantie d'une justice sereine et crédible. Sans elles, l'argument de la sérénité n'est qu'un alibi surtout lorsqu'il conduit à se solidariser de l'indéfendable.
La dignité de l'avocat n'est pas liée, non plus, au port de la robe qui n'en constitue que l'une des formes d'expression. La dignité de l'avocat réside à bien des égards dans la noblesse de la mission qu'il assure et la justesse de la cause qu'il défend. Sans ces conditions, la dignité de l'avocat est factice.
Enfin, le prétoire n'est pas nécessairement le lieu d'exercice de la mission de l'avocat. Le droit de s'exprimer et celui de manifester sont des droits constitutionnels. L'avocat, comme n'importe quel citoyen, ne s'interdit pas d'y avoir recours lorsque les libertés et garanties constitutionnelles, en particulier celle de l'inviolabilité du domicile professionnel, sont bafouées par ceux-là mêmes qui doivent veiller à leur application.
Il n'y a donc rien d'anormal, encore moins d'indigne, pour un avocat, à manifester en robe, dans ou en dehors de l'enceinte du Palais, dès lors qu'il le fait pour une cause noble et surtout juste.
Et ici assurément, la cause est noble et juste. Le recours à la force publique pour contraindre une personne à exécuter une décision civile constitue un abus de pouvoir manifeste et viole les droits les plus élémentaires que garantit notre Constitution. Ce procédé est d'autant plus intolérable qu'il est le fait d'une autorité, le Procureur de la République, dont le rôle consiste précisément à protéger les citoyens contre de tels abus.
La cause dépasse donc de très loin le cas de Maître Emmanuel Assi, ancien Bâtonnier de l'Ordre, et met en jeu les droits fondamentaux de chaque ivoirien. L'attaque dont Maître Assi a fait l'objet vient simplement illustrer le comportement d'une autorité judiciaire qui s'est écartée peu à peu de son rôle en s'arrogeant des droits qu'elle n'a pas ; ce qui constitue un véritable danger pour tous les citoyens.
L'avocat, de par sa fonction, est, plus que tout autre, placé en situation de sentinelle. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, il en vient à constater qu'une institution se dévoie et, d'une certaine façon, prend en otage la justice, l'avocat a le devoir, et doit avoir le courage, de s'élever et de manifester pour alerter les pouvoirs publics afin que soient prises les dispositions nécessaires à l'effet de mettre un terme aux dérives qu'il dénonce.
En le faisant, l'avocat contribue non seulement à la sauvegarde des libertés publiques mais aussi, à sa manière, dans le contexte actuel, au processus de normalisation du pays engagé par les autorités.
Ce retour à la normale ne passe pas, en effet, uniquement par le désarmement, l'enrôlement et l'identification. Il signifie aussi que, dans de nombreux secteurs, des comportements et des dérives qui ont pu être tolérés dans les moments sombres de notre histoire doivent être désormais proscrits.
La Justice, fortement décriée par les opérateurs économiques et identifiée comme un enjeu incontournable pour l'attractivité de la Côte d'Ivoire et le retour des investisseurs, n'échappera pas à son "aggiornamento".
Les plus hautes autorités ivoiriennes ont montré la direction en affichant haut et fort leur détermination à lutter contre les maux qui minent notre société et en posant courageusement des actes forts dans ce sens. Le Barreau de Côte d'Ivoire, en dénonçant les méfaits qu'il constate, n'agit pas autrement et concourt aussi à l'?uvre de renforcement des institutions et ce, dans l'intérêt de tous, y compris les magistrats eux-mêmes.
Il convient donc de ne pas se tromper d'enjeu.
L'enjeu n'est pas la tranquillité du Palais de Justice ni les conditions d'utilisation du port de la robe de l'avocat. L'enjeu est bien celui de l'Etat de droit et toute recherche de solution doit intégrer cette exigence.
Le Barreau enfin remercie toutes les bonnes volontés qui ont offert et continuent de prêter leur concours pour permettre un dénouement satisfaisant à cette crise prenant en compte l'exigence de l'Etat de droit. Le Barreau confirme sa disponibilité pour aller dans ce sens, mais pour l'heure, poursuit ses manifestations.

Fait à Abidjan, le 24 Novembre 2008

Ordre des Avocats
Le Bâtonnier
Claude MENTENON

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