mardi 25 novembre 2008 par Notre Voie

Il est souvent fait état de difficultés relatives à la corruption en Côte d'Ivoire. Autant ces difficultés sont réelles, autant les causes et les raisons sont diversement interprétées. Nous proposons un large aperçu de la situation des différents acteurs pour permettre de comprendre leurs impacts.

a) La corruption

Au niveau régional, la Côte d'Ivoire, comme les autres pays, a droit normalement à des réserves au niveau de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). La Côte d'Ivoire étant en situation de crise, on peut considérer qu'elle a épuisé aujourd'hui toutes ses réserves, d'où ses difficultés à pouvoir bénéficier du support de cette Banque Centrale, même si son gouverneur est un Ivoirien.
Au niveau interne, la Côte d'Ivoire peut également faire appel aux banques commerciales qui sont sur son territoire, et, bénéficier de certaines liquidités. Confrontée à un déficit structurel du budget du fait de la situation de crise, la Côte d'Ivoire a fait appel à des emprunts obligataires. Pour participer politiquement à la normalisation du pays et également dans une optique pécuniaire, les maisons d'assurances et les banques ont souscrit massivement à cet emprunt. Du coup, elles ont investi leurs liquidités et ne peuvent plus aujourd'hui répondre aux demandes de l'Etat de Côte d'Ivoire. Elles n'attendent plus que le remboursement de cet emprunt. On peut donc dire qu'au niveau national comme au niveau régional, le pays est dans une situation difficile.
D'ailleurs, toujours au niveau régional, on peut remarquer également le mélange politico-économique par rapport à la situation de la Banque africaine de Dévelop-pement (BAD). La BAD, qui avait commencé son mouvement de repli de la Côte d'Ivoire bien avant le déclenchement de la guerre, se trouve aujourd'hui dans une logique de décentralisation de l'ensemble de ses services. Bien plus, suivant en cela le FMI, elle a exigé de la Côte d'Ivoire le remboursement de ses dettes. D'ici fin 2008, la Côte d'Ivoire aura fini d'épurer tout ce qu'elle doit à la BAD. Ici, on parle de politique en ce sens que des pays comme la République démocratique du Congo (RDC), le Sénégal, le Liberia etc., ne se sont pas vu imposer le remboursement de leurs dettes au niveau de la BAD. Aujourd'hui, la Côte d'Ivoire ne peut plus avoir des ressources additionnelles de la BCEAO, de la BAD et des banques commerciales pour faire face à ses exigences de sortie de crise. Voilà en fait la situation à laquelle elle doit faire face au niveau interne et régional.
Au plan international, la Côte d'Ivoire se trouve confrontée à la Banque Mondiale et au Fonds Monétaire international, bêtes noires de tous les pays en voie de développement, qui ont également demandé le remboursement des dettes. En contre partie de ses remboursements, elle pourrait bénéficier de nouveaux prêts. Sur instructions personnelles du président de la République, ces dettes ont été totalement épurées. Malheureusement, ça a été un coup de pied dans l'eau puisqu'en contrepartie, l'appui nécessaire pour le fonctionnement budgétaire, ou pour les dépenses additionnelles liées à l'identification, à l'enrôlement, bref à tout ce qui est lié au processus électoral, n'est pas venu.
Par ailleurs, ces grandes Institutions ont laissé comprendre et ont même dit qu'elles n'appuieraient la Côte d'Ivoire que dans le cadre de la réfection de l'état civil. Laquelle réfection pourrait durer jusqu'en 2012 ou même 2014. Pour exemple, l'octroi en octobre 2008 de 300 véhicules 4X4 au corps préfectoral s'est fait dans le cadre des opérations de réfection de l'Etat civil, et non dans celui du redéploiement de l'Administration ou des opérations d'enrôlement. Il y a manifestement une volonté de ne pas aider notre pays à rétablir son équilibre et à retrouver son fonctionnement normal, économique et politique.

Alors, à quel moment intervient la corruption ?

On pourrait facilement considérer que l'ensemble de ces banques, y compris les Institutions internationales, veulent punir? la Côte d'Ivoire, en menant un combat politique contre le gouvernement actuel. Peut-être. En vérité, cependant, ces Institutions ne font simplement pas confiance à la Côte d'Ivoire, notamment à son gouvernement parce qu'il s'agit, selon eux, d'un gouvernement qui est totalement corrompu.
Ces Institutions considèrent que, même si le pays est coupé en deux, les recettes issues du travail extraordinaire fourni par la Douane et le Trésor, ainsi que celles liées à l'exportation du café, du cacao et du pétrole, seraient suffisantes à équilibrer le budget de fonctionnement, et à répondre aux exigences liées au financement du processus électoral. On pourrait donc dire que ces institutions estiment qu'il y a une partie de l'argent qui aurait pu servir au financement de la sortie de crise qui disparaît, qui devient de l'argent ?'gris''.
Voilà pourquoi nous tenons, de ce premier point, à dire qu'il peut y avoir une relation entre le niveau de corruption atteint en Côte d'Ivoire et les difficultés pour faire face aux problèmes du financement de notre processus électoral.
En effet, les observations empiriques montrent qu'en Côte d'Ivoire, plus on s'approche des élections, plus le niveau de corruption tend à augmenter, parce que les gens se comportent un peu comme des rats avides de manger le maximum avant que le navire ne coule.
Cependant, plutôt que de parler de corruption, on pourrait aussi parler ? et c'est là le problème politique - d'une désapprobation des choix de politique économique que fait le gouvernement de Côte d'Ivoire. Deux aspects dans cette question doivent être mis en avant. Le premier aspect : c'est l'attitude du Premier ministre et le deuxième : ce sont les grands chantiers financés par l'argent public en Côte d'Ivoire.

b) La désapprobation de l'attitude du Premier ministre

En Côte d'Ivoire, le Premier ministre en exercice, qui est issu de la rébellion, continue de gérer la ?Centrale?. La Centrale est une structure parallèle, l'équivalent du Trésor, mise en place par la rébellion pour gérer les fonds issus des divers ?'impôts'' en zone Centre, Nord et Ouest (CNO). Le Premier ministre se trouve dans la situation confortable où il gère à la fois les caisses publiques de l'Etat de Côte d'Ivoire, et les sous générés par sa propre Centrale.

Où va cet argent ?

Ces sommes, dans le cadre de l'unicité des caisses, auraient dû normalement être versées dans les caisses de l'Etat. Des messages ont été transmis directement ou indirectement par les institutions internationales pour demander à la Côte d'Ivoire de procéder à l'unicité des caisses de l'état. Malgré cela, ni le gouvernement, ni le Premier ministre, ni les leaders politiques n'en parlent. Que cache ce silence coupable ?
Malgré le colloque organisé par le Comité national de Pilotage du Redéploiement de l'Administration (CNPRA) en 2008 relatif au retour des douanes en zone CNO afin d'unifier la gestion des flux frontaliers de la Côte d'Ivoire, les douaniers se sont vu opposer un refus ferme et poli de la part des chefs de guerre quand ils ont voulu installer la douane et exercer. Le silence qui a suivi cet épisode est d'autant plus parlant, quand on constate l'absence de réaction officielle du Front populaire ivoirien (F.P.I), le parti présidentiel.
Pourquoi est ce que le gouvernement de Côte d'Ivoire ne s'implique-t-il pas à réaliser pleinement l'Accord politique de Ouagadougou, en réalisant l'unicité des caisses de l'Etat ? Où vont les 40 milliards de francs générés chaque mois par la Centrale, et qui suffiraient déjà au financement du processus électoral ?
Ce sont les raisons du premier aspect d'une opposition à la politique économique du gouvernement menée par ces institutions. Ces institutions font mine, cependant, d'oublier qu'en définitive, leur appui au désarmement des rebelles avant les élections, comme le réclame la Première Dame, est indispensable pour la tenue d'élections vraiment libres.

c) La désapprobation de la politique de grands travaux

Ces institutions, comme beaucoup d'observateurs impartiaux, ne comprennent pas non plus, qu'en même temps que la Côte d'Ivoire, pays indépendant'', fait appel à l'aide internationale pour sa sortie de crise, elle lance une politique de grands travaux, extrêmement coûteux.
On peut citer quelques projets : la construction du pont Laurent Gbagbo, la construction du Sénat, de la Présidence et de la Maison des Députés à Yamoussoukro, l'extension du Port autonome d'Abidjan, la restructuration du Port autonome de San Pedro, etc. Dix grands chantiers, financés certainement à partir des fonds issus de la vente du pétrole, qui sont autant de réformes structurelles indispensables à la modernisation de l'économie et de la vie politique ivoirienne, mais qui posent le problème de leur financement aujourd'hui.
Car cet argent n'aurait-il pas pu permettre le financement du processus électoral, tel que envisagé par les Ivoiriens eux-mêmes à l'issue de l'Accord politique de Ouagadougou ? Comment ces institutions, et les gouvernements occidentaux pourraient-ils être prêts à financer le processus électoral, alors qu'ils pensent la Côte d'Ivoire suffisamment solide pour autofinancer un tel processus ?
Il est clair que, sans forcément remettre en cause le choix de politique économique émanant de la présidence de la République, cette tension de trésorerie constatée amène à s'interroger sur la capacité des gestionnaires actuels des finances publiques à anticiper, à mobiliser les fonds et à mettre en ?uvre les directives et la vision élaborées par la hiérarchie. Là encore, les institutions financières font mine d'oublier que leur soutien à la rébellion en Côte d'Ivoire, a sans cesse obligé la présidence ivoirienne à composer avec des ministres, certes compétents, mais peut-être pas suffisamment politisés pour la gestion d'un pays en situation post-conflit. Surtout, elles font mine d'ignorer leurs promesses de financer le processus électoral à Marcoussis, en 2002, alors que les grands chantiers étaient déjà lancés. Ces promesses n'étaient-elles valables qu'à la condition expresse que le Président ivoirien ne soit politiquement mort ?

d) Les risques si perdure cette situation

Ces risques sont, à notre avis, que la Côte d'Ivoire se retrouve face à un dilemme économique. Si elle décide d'arrêter les grands chantiers au profit du financement du processus électoral, de la transparence et du rééquilibre du budget de l'éEtat, alors les fonds engagés jusque-là risquent d'être considérés comme perdus, du fait de la détérioration progressive des travaux avec le temps. Il faudra certainement, plus de fonds encore, à l'avenir, pour leur reprise, et à condition que le nouveau président élu, fut-il le Président Laurent Gbagbo, partage toujours cette vision.
Si elle décide, par contre, de continuer, alors la question piège est la suivante : jusqu'à quand tiendra-t-on ? Un an ? Deux ans ? Que se passera-t-il quand les salaires et les obligations régaliennes ne pourront être assumés, et quand auront donc lieu les élections ? Où va le navire ivoire ? Quel est le plan ?
Au niveau politique, un tel arrêt serait néfaste. Qu'aurait-on pensé, par exemple, si le président Houphouët-Boigny n'avait construit la Basilique Notre Dame de la Paix qu'à moitié ? Cet arrêt porterait un grand coup à la crédibilité du président Laurent Gbagbo et servirait d'argument à une opposition aux aguets, qui voudra démontrer que le président ivoirien aurait sacrifié inutilement, pendant de nombreuses années de souffrances pour le peuple, le bien-être des populations au profit de projets pharaoniques et inutiles.
Au plan politique toujours, cette ?période de latence'', favorise les man?uvres des hommes neufs, tels que le leader patriotique Charles Blé Goudé et le leader des Forces Nouvelles, Guillaume Soro. L'assem-blée nationale à venir est en effet dans la ligne de mire de tous les futurs ?'honorables'', qui se disent prêts à meubler leurs formations politiques à venir et qui n'ont pu trouver de place au sein des grands partis politiques traditionnels (FPI, RDR, PDCI-RDA). De telles man?uvres, surtout de la part du Premier ministre, lèvent peut-être un coin de voile sur l'usage qui est fait de la Centrale. Mais que gagne notre population qui souffre et s'enfonce dans la misère tous les jours un peu plus ?
Au plan sécuritaire, la prolongation de cette situation de ni paix ni guerre, liée à l'impossibilité d'effectuer dans les temps impartis l'identification, et au report des élections générales devant normalement avoir eu lieu en novembre 2008 créent un vide.
Or, la nature a horreur du vide. Du coup, à Bouaké comme à Man, ou à Bloléquin, des personnes, anciennement désarmées, reviennent peu à peu, de l'extérieur de la Côte d'Ivoire comme de l'intérieur, reprennent qui une kalach, qui un fusil de chasse, réinstaurent l'insécurité pour les populations, et réclament -à nouveau- des primes de désarmement.
C'est donc une mauvaise politique de n'avoir pas organisé les élections aux dates indiquées par les Ivoiriens eux-mêmes, pour quatre raisons principales : (a) perte de crédibilité vis-à-vis des pays qui soutiennent la Côte d'Ivoire au plan international, (b) perduration de la souffrance des populations qui vivent très mal aujourd'hui (c) augmentation des risques d'insécurité et de conflits intercommunautaires (d) généralisation de la corruption dans l'appareil d'Etat, à la base et au plus haut sommet, tous partis politiques confondus, afin de se constituer des cagnottes.

Allons-nous vers un Accord de Ouagadougou II ?


e) Quelques solutions

Premier point, il y a nécessité de dissoudre immédiatement la Centrale et de procéder à l'Unicité des caisses de l'Etat. Dès que le président de la République prendra ses responsabilités pour l'exiger du Premier ministre et des ministres compétents, il regagnera en crédibilité. Il faudra aussi procéder au redéploiement effectif des Forces de défense et de sécurité. Cela est indispensable au retour de la confiance.
Deuxième point, il importe de statuer clairement et définitivement sur la question des chefs de guerre et de leur désarmement avant les élections. Ils ne sauraient continuer à lever l'impôt comme des Seigneurs. Le Premier ministre doit donc faire un choix : finir au Panthéon de la paix ou aux oubliettes des horreurs.
Troisième point, il importe de continuer le travail anti-corruption en Côte-d'Ivoire, et d'en faire une large publicité. Les mots ne sont rien contre ces maux, encore faut-il des actes. L'emprisonnement de Tapé Doh et consorts doit être suivi de l'emprisonnement de tous les autres acteurs de la filière impliqués dans ces malversations au détriment des paysans. La justice doit triompher, les paysans doivent être dédommagés.
Quatrième point enfin, il faut donc d'une manière générale, de la transparence dans la gestion des fonds produits par les flux pétroliers et agricoles, et une bonne dynamisation de l'équipe en charge des finances publiques.
Cinquième point pour conclure, nous proposons une rencontre tripartite entre Blaise Compaoré, facilitateur de la crise en Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, et Nicolas Sarkozy. Cette rencontre devrait aboutir à un accord de principe selon lequel la Côte d'Ivoire demanderait à l'ONU de prendre en main la pacification de la zone Centre, Nord et Ouest (CNO). Cela, comme la Grande Bretagne en Sierra Léone, permettrait à la France, au nom de l'ONU, d'intervenir directement pour procéder au désarmement des ex-combattants. La Côte d'Ivoire est dans le pré carré de la France, et cette rébellion est sa création ; à elle de la démanteler, en toute responsabilité.
Qu'on ne se voile pas la face, aucun Ghanéen, Bangladeshi ou autres membres de ces pays frères, mais pauvres, ne risquera réellement sa vie pour le désarmement des rebelles ivoiriens.


Michel Gbagbo michelgbagbo@hotmail.com

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